Héritage de Jean Oury, la clinique de psychologie institutionnelle de la Chesnaie, située dans le Loir-et-Cher, avait ouvert ses portes en 1956. L’établissement est en vente sous forme d’appel d’offres depuis mai dernier.
Le modèle de la Chesnaie est assez unique en son genre, dans un esprit d’ouverture et de transmission : pas de blouses pour les soignants, les patients laissés en liberté dans le château et au sein du parc arboré de 55 hectares… en somme une harmonie qui profitait à toutes et à tous. Les soins étaient réalisés de concert avec les associations, à l’instar du Club de la Chesnaie, qui proposaient des activités culturelles (spectacles, concerts, invitation d’artistes…), allant bien au-delà du département, puisque des noms comme Mano Solo, Yann Tiersen ou encore Jacques Higelin ont pu s’y produire. Mais le modèle pérenne de l’établissement, qui compte 101 lits d’hospitalisation et emploie près de 90 personnes, appartiendra peut-être bientôt au passé.
Le Dr Jean-Louis Place, directeur de l’établissement depuis 1988, ne souhaite pas s’exprimer publiquement tant que la vente ne sera pas réalisée. Il a fait appel au cabinet d’affaires la Baume Finance afin d’organiser l’appel d’offres. Il s’agit d’une banque parisienne qui a notamment permis au groupe Korian de reprendre en 2021 le centre de psychothérapie d’Osny, dans le Val-d’Oise. Comme en témoigne cette tribune publiée en août, le projet de coopérative soutenu par 80% de l’équipe soignante et médicale se retrouve en concurrence dans cet appel d’offres, faisant face à des groupes, associations ou fondations extérieures au mouvement de la psychothérapie institutionnelle. Le collectif Les Ami.e.s de La Chesnaie, créé dans cette optique de reprise, souligne ainsi : « La Chesnaie est un espace ouvert, un petit village où le vivre ensemble au sein de l’institution met sans cesse au travail l’aliénation psychique tout autant que l’aliénation sociale. En effet, les soignants et les soignés réalisent ensemble les tâches de la vie quotidienne (cuisine, service de table, ménage, etc.). Cette organisation des soins et du travail a pour vocation de lutter contre les aspects les plus négatifs de l’aliénation sociale : l’effacement de la personne derrière son statut, sa fonction, l’assujettissement et les non-dits liés à la hiérarchie » Et d’ajouter en conclusion : « Nous défendons une psychiatrie artisanale respectueuse à la fois de la subjectivité des soignés et des soignants, autant sur le plan individuel qu’à l’échelle collective. » La grande majorité des patients qui y sont accueillis sont adressés par l’hôpital public et souffrent de troubles graves.
Logique de rentabilité versus humanité ?
Parmi les inquiétudes soulevées par les soignants de la Chesnaie, dans le cas où un groupe reprendrait la clinique, figurent les logiques de rentabilité et de gestion managériales considérées comme facteurs de dégradations des conditions de travail, d’accueil et de soins. Évoquant une « culture chesnéenne » qui s’est développée depuis sa création, les équipes martèlent : « La protocolisation et l’homogénéisation des pratiques entraînent une perte de sens, un sentiment d’impuissance et entravent la créativité nécessaire à l’accueil de la folie ». L’équipe de la clinique n’a pas réussi à entrer en contact avec La Baume Finance. « On ne sait pas quel va être le cahier des charges. On espère une clause contractuelle obligeant à garder le projet tel qu’il est… En tout cas, le bien ne sera pas forcément facile à vendre. Il y a beaucoup de travaux à faire, comme, par exemple, une mise aux normes pour les personnes handicapées ou la rénovation des chambres », indiquait un moniteur au journal Le Monde en mai 2022.
Le Conseil régional de Loir-et-Cher, très attaché à la psychothérapie institutionnelle, figure parmi les potentiels repreneurs pour le bâti, mais pour l’heure rien n’est moins sûr.
Guillaume Bouvy
Pour aller plus loin, voir aussi le dossier du Journal des psychologues consacré aux institutions soignantes : https://www.jdpsychologues.fr/revue/le-journal-des-psychologues-ndeg384