À l'automne 2018 s'étaient tenus les premiers états généraux Psy sur la radicalisation. Associés aux réflexions portées lors de ces journées, d'autres horizons et disciplines étaient conviés : spécialistes en sciences humaines et sociales, praticiens d'autres champs professionnels, responsables politiques... À l'issue de cette première session riche d'échanges autour des bonnes pratiques à mettre en oeuvre se dégageait un consensus entre toutes les parties prenantes réunies : il y avait urgence à trouver ensemble des réponses adaptées à l'ampleur prise par le phénomène de radicalisation !
Mais les attendus de ces journées ont déjà été fortement fragilisés avec le dernier épisode du feuilleton du fichier Hopsyweb qui n'en finit pas de venir jeter de l'huile sur le feu. Rappel des faits : la Fédération française de psychiatrie, qui regroupe associations scientifiques et syndicats de psychiatres, s'interrogeait déjà à la création de Hopsyweb, nouvel outil de traitement de données à caractère personnel pour le suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement : « Les personnes hospitalisées en psychiatrie seraient-elles toutes considérées comme suspectes a priori de terrorisme et leurs médecins complices, puisque le mail de tous les médecins les ayant suivies devrait être aussi communiqué à la préfecture ? ». La parution du décret publié au Journal Officiel du mardi 7 mai dernier, qui autorise l'échange d'informations entre le fichier Hopsyweb et le fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), ne laisse désormais plus guère planer le doute, puisqu'elle jette d'emblée une suspicion inacceptable sur les personnes les plus vulnérables touchées par la maladie mentale dans notre pays.
Aussi, c'est dans un communiqué commun que 23 organisations signataires représentant les usagers, les psychiatres et les psychologues ont appelé le 11 mai dernier à l'abrogation pure et simple de ce décret faisant « un amalgame indigne entre le champ sanitaire et celui de la prévention de la radicalisation ». Les signataires font également le parallèle entre ce nouveau décret et le fichage des gilets jaunes blessés dans le logiciel Si-Vic. Selon eux, tous ces dispositifs nuisent aux libertés fondamentales de l'individu et viennent renforcer le phénomène de dérive sécuritaire, "la mise en concordance d'informations du ressort du domaine médical et de renseignements du domaine de la lutte contre le terrorisme, et ce à l'insu de la personne concernée, représentant une atteinte grave du secret professionnel qui ne saurait être tolérée." Dès lors, les recours au Conseil d'Etat contre ce décret ne cessent de se multiplier : après le Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM), c'est maintenant le Syndicat des psychiatres des hôpitaux et l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentaire (ASPMP) qui viennent de solliciter les voies juridiques pour stopper une mesure jugée inique et stigmatisante. A suivre...
Sandrine Letellier.