En Décembre 2017, dans un de ses rapports, l’UNICEF déconseille de mêler addiction et technologies. Cela rejoint le point de vue de certains professionnels qui estiment que l’addiction aux jeux vidéo n’existe pas, préférant le terme de « pratique excessive ».
L’Organisation Mondiale de la Santé met en ce moment à jour la onzième version de la Classification Internationale des Maladies (CIM-11) qui devrait paraître mi-2018. Dans ce projet, le « trouble du jeu vidéo » ou « gaming disorder » y figure comme un « trouble lié aux comportements addictifs avec plusieurs caractéristiques de la dépendance ».
La mise en place de critères de repérage pourrait, certes, permettre une meilleure identification, par les usagers et les professionnels, des troubles liés aux jeux vidéo favorisant ainsi les recherches et l’accès au soin psychique. Toutefois, ne risque-t-on pas de considérer que toute utilisation régulière du jeu vidéo relèverait nécessairement du champ pathologique, éludant ainsi l’aspect récréatif, régulateur, voire thérapeutique qu’elle comporte ?
A ce titre, l’OMS prend des précautions. Il est précisé que le diagnostic peut être posé lorsque le comportement est : « d’une sévérité suffisante pour entraîner une altération non négligeable des activités personnelles, familiales, sociales, éducatives, professionnelles ou d’autres domaines importants du fonctionnement, et en principe, se manifester clairement sur une période d’au moins 12 mois ». Il est aussi rappelé, selon certaines études, que la pratique des jeux vidéo n’est que rarement associée à des difficultés notables et qu’elle aurait même, selon d’autres, des effets bénéfiques sur les facultés d’apprentissage des enfants. L’OMS invite finalement les joueurs à se montrer vigilants au temps qu’ils consacrent au jeu relativement à leurs activités annexes, ou encore à la survenue de modifications physiques ou psychiques qu’ils pourraient attribuer à la pratique du jeu.
Lors d’événements tragiques (ex. tuerie de masse aux États-Unis), on entend çà et là que les jeux vidéo attisent voire créent des comportements de violence et, par extension, poussent à l’agir dans la vie réelle. Au-delà de l’aspect quantitatif du temps passé derrière un jeu vidéo, une classification ne pourrait-elle pas risquer de donner crédit au fantasme que le jeu est problématique en soi, faisant fi de sa fonction, de sa nature et de la façon dont il s’articule avec l’histoire et le fonctionnement du sujet ? Si on se réfère au point de vue de Winnicott sur la fonction du jeu, jouer à être violent ne serait-il pas, au contraire, une tentative de symboliser ses pulsions plutôt que de les mettre en acte ?
Le Journal des psychologues avait consacré quelques dossiers thématiques à la question du jeu et du virtuel : « réalité virtuelle et adolescence » (2015), « robot et numérique : de nouveaux outils pour le psychologue » (2017). Rappelons ici les apports de Mickaël Stora ou de Benoît Virole qui ont mis à profit cette dimension thérapeutique du jeu vidéo pour en créer un outil de médiation dans le travail avec les patients, et mener une réflexion sur la place du jeu vidéo dans notre culture et notre éducation. Frédéric Tordo s’est penché sur la manière dont le joueur peut créer une aire de subjectivation en lien avec son avatar. Il en rend compte derrière les concepts « d’auto-empathie virtuelle », de « réflexivité ». Serge Tisseron nous invite plus particulièrement à être à l’écoute de ce que le jeu vidéo peut signifier symboliquement chez certains adolescents, il nomme la « dyade numérique » cette relation d’exclusivité qui peut naître avec le jeu à cette période de la vie. Le développement récent des programmes de réalité virtuelle dans certains lieux de soin est un autre exemple de l’aspect curatif à l’œuvre dans la virtualité.
Finalement, on peut se demander comment ce trouble du jeu vidéo comme comportement addictif va s’inscrire dans la pratique clinique du psychologue. Au final, addiction ou pas, le rôle du clinicien ne sera-t-il pas toujours celui d’être à l’écoute du sujet au-delà de ses symptômes ?
Anabelle DANIS.
Pour plus d’éléments :
Le « Trouble du jeu vidéo » selon la CIM-11 : http://www.who.int/features/qa/gaming-disorder/fr/
Rapport UNICEF “The State of the World’s Children 2017: Children in a Digital World” https://www.unicef.org/publications/index_101992.html
Le Journal des psychologues, 2015, « Réalité virtuelle et adolescence », 9, n°331.
Le Journal des psychologues, 2017, « Robots et numérique : de nouveaux outils pour le psychologue », 8, n°350.
Huerre P., Costantino C., 2017, Médiation numérique et prise en charge des adolescents, Lavoisier.
Tisseron S., 2008, « Le jeu vidéo à l'adolescence comme mise en scène de la famille imaginaire », Le Divan familial, 21,(2), 27-37.
Tordo F., 2010, « Désir d’intersubjectivité dans les jeux vidéo : entre auto-empathie virtuelle et relations interpersonnelles réelles », Psychotropes, 16 : 179-191.
Virole B. 2003, Du bon usage des jeux vidéo et autres aventures virtuelles, Paris, Hachette Littératures.
Winnicott D.W., 1975. Jeu et réalité ; l’espace potentiel, Gallimard, Réédition de 2002.