La crise sanitaire et le secteur médico-social : quelle prise en charge psychologique possible ?

Papiers Libres le 29 avril 2020

Bouleversement des habitudes, travail à distance, gestion de nouvelles problématiques, telles sont les réalités de travail  imposées par les mesures de confinement. Mais peut-on toujours répondre à distance lorsqu’il s’agit d’aider le  travail des équipes ? Peut-on accueillir les manifestations d’angoisse sans une réelle présence ? Devant la crise sanitaire, les modalités de réponse dans le médico-social sont forcément variables et incitent au renouvellement des pratiques.

Les mesures de confinement et de distanciation sociale imposées par le gouvernement pour répondre à la crise sanitaire ont bouleversé les pratiques des établissements médico-sociaux. Malgré les recommandations générales, l’urgence de la situation a conduit chaque structure à s’adapter à cette nouvelle réalité de façon singulière en accord avec les possibilités de chaque service. En ce qui concerne le rôle du psychologue et la consigne d’éviter les consultations présentielles tout en mettant en place un suivi psychologique par téléphone ou visio-conférence, nous pouvons constater que la réalité de l’accompagnement dans les établissements requiert une réflexion bien différente. 

Nous travaillons dans un établissement qui accueille des personnes en situation de déficience intellectuelle, de moyenne à légère. La plupart d’entre elles présentent aussi des troubles associés, somatiques ou psychiques et parfois les deux. Nous fonctionnons en trois structures distinctes : un ESAT (établissement et service d’aide par le travail), un foyer d’hébergement et un service d’accueil de jour et foyer occupationnel. Cela signifie que les personnes accompagnées présentent des profils et situations très différentes et il a fallu mettre en place des actions spécifiques selon chaque structure.

Au foyer d’hébergement, la présence du psychologue in situ est fondamentale pour aider à la réflexion et à la mise en place d’actions qui vont établir des conditions favorables pour que les capacités d’ajustement et d’adaptation à la situation soient le plus effectives possible : 

- Contribuer à diminuer les risques du développement des réponses inadaptées à une situation qui est en soi potentiellement traumatogène.

- Garantir la continuité de la prise en charge individuelle présentielle pour répondre aux besoins spécifiques de chaque personne ainsi qu’à ses limitations cognitives.

- Participer à des actions collectives, comme la création d’espaces pour les aider à comprendre ce que nous vivons tous et aussi pour qu’ils puissent intégrer et manifester leurs ressentis à propos de ce qu’ils regardent ou entendent à la télé de façon à éviter que des troubles du comportement puissent apparaitre comme manifestation des sentiments d’angoisse, de peur ou d’anxiété. 

Une des problématiques majeures de ces personnes réside justement dans le manque de ressources sociales, condition aggravée par la déficience intellectuelle qui entraine un manque d’habilités sociales pour les développer. La relation est ainsi une composante importante dans leur accompagnement surtout pendant cette période de confinement. Il faut souligner l’engagement et la créativité de l’équipe éducative pour porter des solutions à un isolement social encore plus prononcé compte tenu du contexte.

D’autres actions d’accompagnement psychologique se sont déployées pour les personnes qui sont confinées seules dans leurs logements ou en famille. C’est le cas de l’accueil de jour et l’ESAT. Un travail collectif avec les équipes s’est mis en place pour contacter les personnes et leurs familles de façon quotidienne et ainsi pouvoir prévenir des dysfonctionnements et prendre en charge les situations de détresse psychologique. Le confinement fait accroitre les fragilités psychiques de personnes qui sont déjà en situation de vulnérabilité psychosociale et qui portent dans leurs bagages des histoires très difficiles. Ici la place du psychologue est celle d’une aide à l’évaluation des besoins et d’accompagnement psychologique en téléconsultation.

Ce changement de cadre – l’accompagnement psychologique à distance - pousse à des interrogations sur notre pratique. Mais l’efficacité de cette modalité dépend de plusieurs facteurs et elle se montre partiellement inefficace à mesure que le confinement se prolonge. Nous avons dû faire face à des épisodes aigus d’angoisse, comme la situation de M. L. qui vivant seul dans son logement décrit ainsi une crise qui a nécessité l’intervention des pompiers à son domicile : « vous savez, c’est comme si on perdait la notion du temps, on ne sait plus qui on est, où on est ni quel jour nous sommes, on perd la tête complètement ». Ou encore celle de Mlle T. qui, confinée avec sa famille, nous appelle en grande détresse vu les difficultés et dysfonctionnements amplifiés par le confinement. Des situations pour lesquelles un accompagnement psychologique à domicile a dû se mettre en place et où l’utilisation d’une approche en thérapie systémique et familiale a permis aussi l’accompagnement de la famille quand cela s’est avéré nécessaire.

Pour prévenir des souffrances majeures, des visites à domicile sont maintenant programmées et effectuées, soit par un membre de l’équipe soit par le psychologue selon une évaluation de la situation de chaque personne. 

Nous devons encore tenir jusqu’à la fin du confinement et aurons aussi certainement à gérer les conséquences d’un après. La spécificité des personnes que nous accompagnons exigera ainsi des actions adaptées.

Notre expérience démontre que la crise sanitaire a introduit différents éléments dans le quotidien de l’établissement et a créé le besoin de construire des nouveaux repères dans l’espace institutionnel. La nécessité de trouver un nouvel équilibre a ouvert les portes pour une réflexion sur des nouvelles pratiques et modalités d’accompagnement. Le contexte sanitaire qui s’impose à tous les acteurs institutionnels a permis d’appréhender et intégrer une réalité émotionnelle qui parfois est négligée dans les prises en charge.

Un regard systémique permet d’envisager cette crise comme une opportunité de faire appel à la créativité et d’introduire une nouvelle dynamique dans les relations de soin, et ainsi renouveler des pratiques ancrées depuis trop longtemps.

Et nous devrions toujours espérer que ce mouvement puisse un jour être introduit dans les politiques publiques en matière de santé mentale.

Sheila Benoit-Gonin

Psychologue

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