La dépression, une maladie genrée ?

Actualités professionnelles le 8 juillet 2024

 

De récentes études alertent sur la détérioration post-covid de la santé mentale des adolescentes. Est-ce que les femmes sont plus sujettes à la dépression, ou est-ce que l’expression de la souffrance et le diagnostic diffèrent selon le genre ?

 

Dans son rapport EnCLASS 2022 qui concerne plus de 9 000 élèves du secondaire, Santé publique France faisait un constat accablant : une lycéenne sur trois déclarait avoir eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois (contre 17 % chez les garçons). Sur la période 2018-2022, les collégiens et les lycéens ont connu une dégradation de leur santé mentale et de leur bien-être ; encore plus marquée chez les filles. Une autre enquête de la DREES faisait le constat d’une « hausse brutale » des femmes hospitalisées pour gestes auto-infligés, tentative de suicide et auto-agressions. Elles représentent aujourd’hui 64 % de ces patients.

Est-ce que les femmes évoluent dans un environnement qui les rend plus sujettes à la dépression, où est-ce que l’expression de la souffrance diffère selon le genre ? Un peu des deux, selon Marlène Bouvet, chercheuse en sociologie de la psychiatrie (Centre Max Weber, ENS de Lyon) : « Les femmes, bien qu’elles expriment plus facilement leurs émotions, vont paradoxalement plus intérioriser leurs troubles, retourner l’agressivité et la négativité contre elles-mêmes. » Chez les hommes, l’expression est dite plus « externalisée » : addictions, comportements violents ou à risque. Si les femmes sont effectivement plus touchées par la dépression, les hommes seront plus concernés par la dépendance alcoolique, montrait une recherche publiée dans La Revue française de sociologie[1]. Ils meurent également plus de suicides, bien que les femmes fassent plus de tentatives. « C’est plus souvent analysé comme un appel à l’aide, tourné vers l’autre. Mais ce taux de suicide plus faible s’explique aussi par les moyens qu’elles utilisent - médicamenteux – qui sont moins létaux. » ajoute Marlène Bouvet. « Dans une société de la performance et du travail, les hommes associent davantage la thérapie à un aveu de faiblesse, tandis que les femmes acceptent plus facilement le diagnostic et l’accompagnement. »

 

Une tendance aussi liée à la société

Outre un tableau clinique du mal-être qui diffère selon le sexe, les récentes évolutions de la dépression chez les femmes laisse entrevoir une tendance aussi sociétale. L’enquête EnCLASS 2022 montre un plus grand sentiment de solitude chez les adolescentes, solitude exacerbée lors des confinements successifs liés à la crise sanitaire du Covid. L’augmentation massive de l’utilisation des réseaux sociaux joue en leur défaveur : elles sont les principales victimes des agressions en ligne et sont souvent la cible d’attaques fondées sur leur réputation sexuelle.

En France, les victimes de harcèlement ou d’agression sexuelles sont majoritairement des femmes : plus d’une femme sur deux en a déjà été victime. Elles ont également cinq fois plus de probabilité que les hommes d’être victimes d’incestes. Le rapport de l’Observatoire National du Suicide, montrait un lien évident entre ces violences et la prévalence de suicide chez les femmes. Ainsi, 5,5 % de femmes qui n’ont pas été victimes de viol tenteraient de se suicider au cours de leur vie, contre 32,6 % pour celles qui en auraient subi un. Pour les hommes, on passe de 2,7 % à 28,7 %. Plus cette violence est précoce, plus la prévalence est élevée (fois quatre avant 11 ans).

Marlène Bouvet note : « on voit dans beaucoup de cas que la première personne à qui en parlent les victimes sont les psychologues. Elle-même fortement féminisée (85 % des psychologues sont des femmes), la profession joue de plus en plus ce rôle compassionnel, renversant la charge de la culpabilité. » Dans un article sur la place du genre en psychothérapie, les psychologues Aurel Soyez-Gayout, Nathalie Duriez et Denice Medico rappelaient : « la nécessité d’une démarche autoréflexive » pour des « professionnel·le·s qui ont intérêt à développer leur sens critique vis-à-vis de leurs propres biais et stéréotypes de genre. »

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