Maladies psychiques et milieu carcéral : un débat sans fin

Actualités professionnelles le 21 décembre 2018

C'est une affaire qui a secoué la France entière. Le 9 janvier 1993, Jean-Claude Romand tue sa femme, ses deux enfants, ses parents et leur chien, puis tente en vain de se suicider. Motif ? La peur terrible d'être démasqué. Car Jean-Claude Romand n'est pas médecin comme il le prétend depuis dix-huit ans. L'homme est le prototype tragique du mythomane. Comme nombre d'entre eux, sa personnalité s'est construite dans un milieu familial et culturel où la carence affective s'est cruellement fait sentir. Désirant planter du bonheur dans l'esprit et le cœur de ceux qu'il aime, il décide, jour après jour, de construire son propre mythe. Un mythe à la hauteur des espérances de ses proches. Quelques années plus tard, interviewé sur le sujet, Boris Cyrulnik, psychiatre et éthologue, affirmait : « Je suis convaincu que cet homme ne serait jamais devenu mythomane  s'il avait évolué dans un univers de créativité ou s'il avait pu avoir accès à la culture par de véritables rencontres. D'ailleurs, le cadre de la prison, offrant certains lieux d'expression, lui a permis de guérir ! ».

Ainsi, notre système carcéral,  tant décrié quant à ses possibilités de proposer une politique pénale reconstructive pour l'individu et la société, pourrait parfois faire émerger des cas isolés de « guérison »... Pour la majorité des psychiatres et psychologues exerçant dans des centres pénitentiaires, l'aménagement du cadre thérapeutique pour les soins psychiques et psychiatriques est encore loin d'être satisfaisant eu égard aux modèles mis en place par les pays du nord de l'europe, avec notamment leurs prisons « ouvertes ». Aussi, attendent-ils avec impatience les propositions issues de l'examen de la réforme de la justice lancé début octobre par le Sénat.

Car aujourd'hui, le constat s'impose : face à l'explosion des pathologies mentales en milieu carcéral, ce n'est pas la construction de nouvelles places de prison qui changera la donne. Car « la prison est dangereuse, quand elle n'est pas inutile »*. Aussi faut-il agir vite et repenser un modèle pour le moins désuet. Dans une tribune du Monde datée du 10 octobre 2018, Nathalie Delattre (Sénatrice Rassemblement démocratique et social européen de la Gironde) et Pierre-Oliver Sur (Ancien bâtonnier du barreau de Paris) plaidaient en faveur de cinq grandes réformes pour moderniser le système carcéral. Outre la réservation de la détention provisoire avant jugement aux délits les plus graves (moins de 10% des 28% de prisonniers y ont actuellement leur place), l'une d'entre elles nous intéresse tout particulièrement. A savoir, la création d'unités médicales dédiées aux malades mentaux et personnes atteintes de troubles psychiatriques qui permettrait enfin de déplacer la prison vers l'hôpital psychiatrique. Car c'est là que le bât blesse.  La majorité des détenus sont suivis en ambulatoire par des psychiatres et des psychologues exerçant à temps partiel et débordés par les demandes. Ainsi, un détenu peut attendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant une consultation. Sans compter la spécificité d'un milieu où la violence supplante presque toujours la parole, le « turn over » des praticiens, peu propice à l'alliance thérapeutique si importante en psychiatrie, et les  obstacles inhérents à la vie carcérale...

Sandrine Letellier.

* Surveiller et punir, Michel Foucault, Gallimard, 1975

 

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