Réflexions sur la prise en charge des psychothérapies par l’Assurance maladie

Papiers Libres le 24 mars 2021

La Haute-Garonne est l’un des quatre départements français qui a initié un dispositif expérimental jusqu’en 2022 pour limiter le recours aux psychotropes. Il permet d’accueillir des personnes orientées par un médecin : un bilan de 45 minutes remboursé 32 euros, 10 séances de « soutien » de 30 minutes remboursées à 22 euros, puis, après avis du psychiatre, 10 séances « structurées » de 45 minutes remboursées 32 euros.

L’intérêt de cette expérimentation est triple. Elle permet :

  • l’accès gratuit à des consultations de psychologues cliniciens ou psychothérapeutes en cabinet libéral,
  • un accès désacralisé aux soins. De la même manière qu’un médecin prescrit des séances de kinésithérapie, le patient se sent rassuré d’être orienté vers un psychologue,
  • une prise en charge rapide pour pallier l’engorgement des consultations en service publique.

Il y a quelques années, quand un patient souffrait d’un trouble psychique, deux possibilités s’offraient à lui : prendre rendez-vous avec un psychiatre dont la consultation était remboursée par la Sécurité Sociale ou rendre visite à un psychologue libéral à ses frais.

Dans le cadre de son dispositif expérimental, la CPAM a voulu associer les médecins traitants, les psychologues cliniciens, les psychothérapeutes agréés par l’ARS et les psychiatres libéraux dans l’idée qu’un parcours de soin en santé mentale pluridisciplinaire était plus intéressant pour le patient.

Pour ma part, j’ai adhéré à cette proposition, car à l’époque de sa conceptualisation, j’étais salariée de l’Administration pénitentiaire et j’avais éprouvé l’intérêt de la prise en charge des personnes placées sous-main de justice touchées à des degrés divers par des troubles mentaux.

Cette expérience m’a convaincue de la pertinence d’une approche complémentaire des différents champs professionnels et institutionnels (judiciaire, psychologique, psychiatrique et social) dans la prise en charge d’une personne nécessitant un accompagnement psychologique.

Sur le terrain, j’ai vite vu les limites de cet exercice, constatant que la population concernée par l’obligation de soins dans le cadre d’un parcours judiciaire se sentait exclue de l’accès aux structures de soins. Les mois d’attente en CMP et le prix exorbitant, à leurs yeux, des consultations en cabinets privés restaient le principal frein à la non mise en œuvre des mesures de justice.

Cette population n’est pas la seule à se sentir exclue d’un libre espace de soins adaptés à leurs problématiques.

Il faut reconnaître que l’accès au soin via le médecin est une entrée rassurante dans un parcours de santé mentale permettant au plus grand nombre d’en bénéficier. Pour les praticiens, c’est un moyen de diversifier sa patientèle tout en contribuant à l’intérêt général.

Une généralisation de ce dispositif permettrait la juste répartition de la prise en charge de la santé mentale et ainsi de différencier la psychologie de la psychiatrie.

On observe que des personnes ayant des pathologies légères, font trop souvent le choix de se diriger vers des psychiatres dont les consultations sont remboursées par la Cpam. Face à la demande de soin qui explose suite à la Covid-19, le fait que les instances envisagent de généraliser ce dispositif sur tout le territoire, apparait comme un signal positif prenant en compte la place des psychologues en France.

Ça fait deux ans que j’ai fait le choix de travailler dans ce dispositif et la majorité des patients sont toujours étonnés de l’opportunité de la rencontre thérapeutique, via leur médecin.

Je ne regrette pas mon choix, je ne pense pas brader ma pratique clinique, et si je perds du chiffre d’affaire, il est compensé par la rencontre avec des êtres en souffrances et le sentiment d’une juste et équitable entrée dans le soin psychique.

Pour les professionnels qui pensent que la thérapie se doit d’etre payante pour être opérante, je réponds, pour le vivre au quotidien, que les lourdeurs administratives permettant éligibilité du patient dans le dispositif - au moins quatre rendez-vous chez le médecin pour les différentes ordonnances plus la consultation psychiatrique - est un processus qui demande un bel effort et donc un investissement personnel qui donne à penser que ce n’est pas tout à fait gratuit non plus.

Je vois un intérêt à travailler en pluridisciplinarité et ainsi pouvoir rapidement ré-orienter un patient vers la psychiatrie si des éléments psychopathologiques apparaissent en début de suivi, prendre contact avec le médecin traitant si besoin, pouvoir penser le soin psychique et psychiatrique dans une continuité rassurante et dédramatisante.

Cela étant dit, je reste insatisfaite des tarifs de remboursements proposés et du nombre de séances (21 séances). Ce nombre pose la question de la temporalité psychique et de la méconnaissance du métier. Il faut veiller à respecter la subjectivité de chacun, garante de la prise en charge tout en lui permettant de déployer sa ou ses problématiques à l’aulne de son parcours de vie. Une demande pouvant en cacher une autre, le patient venant consulter pour une problématique de souffrance au travail, peut, par exemple, comprendre que les symptômes d’anxiétés et de stress au travail ne sont que la partie visible d’une problématique plus personnelle et plus profonde.

Commençons dès aujourd’hui un travail réflexif pour penser l’optimisation des modalités de ce dispositif expérimental en veillant dans un souci d’équité l’accès à la psychothérapie à toute personne éligible, tout en respectant la spécificité de la pratique du psychologue libéral. Il sera important de rester vigilant afin de laisser aux psychologues la liberté du choix de la part de leur activité qu’ils souhaitent consacrer à ces consultations remboursées.

C’est un vrai coup de projecteur et une mise en lumière sur la psychologie, sur sa spécificité et son intérêt !

 

Nicole Napierala-Hureaux.

Psychologue clinicienne et psychothérapeute,

Expert près la Cour d’Appel de Toulouse.

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