« Le moi, sous une autre forme continue l’œuvre de l’existence » Gérard de Nerval.
Le mardi 17 Mars à 12h, les autorités ont déclenché une opération d’envergure, celle du confinement. Une initiative visant à endiguer la propagation du coronavirus encore appelé COVID-19. La procédure mise en place ouvre à de nombreuses interrogations touchant aux libertés individuelles et aux périmètres d’autonomie citoyennes. Plus que d’une épidémie, il s’agit d’une pandémie laquelle traverse nos frontières, bouscule nos valeurs, et touche aux individualités dans ce qu’elles ont de plus précieux et que les états ont mission de préserver car ce n’est rien moins que la survie des populations qui se trouve remise en question. En cela on peut parler de crise sanitaire rendant obligatoire ce qui est encore appelé « distanciation sociale ».
A quelle gymnastique de la pensée se voient donc confrontées nos figures d’autorité quand, hier encore, elles devaient concilier, face à la vague terroriste, ce qui paraissait inconciliable : La Sécurité avec la Liberté, et aujourd’hui résoudre cette même équation : La Santé avec la liberté ?
Sur le confinement
Qu’est-ce donc que ce confinement ? Pris au sens strict, celui des lieux fermés, il est une mise à l’écart. Il correspond à une mesure d’isolement, à une mise en retrait de l’un ou d’une minorité pour assurer la tranquillité ou préserver les valeurs sinon la vie du plus grand nombre. Il peut aussi correspondre à une sanction supplémentaire s’ajoutant ou se conjuguant à une sanction déjà prononcée. Cette mesure de confinement est une autre définition du mitard, celui des maisons d’arrêt, Centres de détention ou maisons centrales. Ou encore des chambres d’isolement. Il semble s’agir d’une peine qui s’ajoute à une autre peine, ou vient préciser (confirmer ?) une mesure déjà prise. En somme, le confinement est la mise à l’écart d’un individu ou groupe d’individus, d’une collectivité pour laquelle le ou les mis en cause représentent un danger. Cette mesure renvoie de la même manière à la peine de relégation abrogée en 1974. Une peine correspondant â une mesure de bannissement du délinquant de son pays d’origine. Pour ces raisons, toutes ces raisons, la notion de confinement entraine des réticences. Mieux vaut lui préférer ces termes de « distanciation sociale » beaucoup moins menaçants et, en raison, plus adaptés à la situation d’aujourd’hui qui est de se protéger en protégeant les autres. Il faut relire avec attention les termes de cette attestation pour comprendre que chaque déclarant s’autorise de lui-même en signant cette déclaration. Qu’on se rappelle cette formule passe partout : « le psychanalyste s’autorise de lui même » en nous laissant oublier la suite... et de « quelques autres ». Et il est vrai que dans la formulation le déclarant s’autorise de lui-même, mais il soumet aussi son engagement aux autorités de contrôle, tout comme tous les autres qui ne sont pas lui ou elles, mais qui sont comme lui ou elles, soumis aux mêmes impératifs. Cela veut signifier, à mon avis, que tous les autres, via les contrôleurs, le reconnaissent comme tels, soumis aux mêmes exigences. En cela il faut reconnaître l’intelligence du législateur qui a su doser l’engagement de chacun en termes démocratiques, d’une démocratie renforcée, d’une réponse à une aporie, en rendant conciliable ce qui, en première analyse, n’allait guère de soi. Ce faisant, on aboutit à une responsabilité partagée reposant et s’inspirant du discernement citoyen.
Sur le discernement
Partant de la mise à l'écart, du confinement, nous poursuivons notre cheminement pour aboutir à la séparation, à « la mise à part », au « faire la part des choses », au discernement. C’est bien sur cette faculté de juger que repose la responsabilité et l’engagement citoyen tel que nous l’enseigne les événements d’aujourd’hui, voire même les applaudissements de 20h en rappel d’une adhésion des citoyens en hommage au dévouement d’une partie des actifs engagés de la santé. Est-ce là une restauration de la fonction symbolique de nos institutions, hier encore fortement mise à l’écart ? Il n’y a pas de réponse satisfaisante sinon à retenir que se sont nos autorités qui nous invitent, nous incitent même à faire preuve de discernement dans et à partir de cette barrière initiale : le confinement. Est-ce une incitation à l’introspection, à un retour sur soi, à un partage de responsabilités auxquels incitent ces gestes barrières élémentaires qui relèvent surtout du bon sens ? Mon engagement repose sur l’engagement d’autrui, et c’est cette implication qui permet la construction de cette chaine de solidarité-sécurité à partir de cette posture solitaire qui fait le confinement. En somme, il s’agit de dire et manifester son adhésion autour d’une réduction consentie des périmètres d’autonomie et des libertés et ce afin de préserver-protéger les libertés de tous.
Distanciation psychologique
Ce coronavirus est devenu fléau, un fléau en cela qu’il vient interroger notre ignorance et attiser encore le feu de nos questionnements comme celui de nos certitudes. Autant de différends qui font le lit du développement du virus et de sa transmission, le transformant en authentique instrument de mort. Il s’impose de l’intérieur pour venir bouleverser, et nous amener à repenser nos organisations individuelles autant que nos organisations collectives. La question de l’extérieur, du collectif, relève de la distanciation sociale. Que faisons-nous de la distanciation psychologique ? Ce coronavirus est un étranger inattendu et implacable qui saisit les corps, nous en dessaisie, nous mine et nous mène de l’intérieur jusqu’aux désinvestissements de ces mêmes corps (les nôtres) et à leurs destructions. C’est le corps dans sa réalité qui se voit attaqué, un corps sans défense, en quête de bouclier, un corps épuisé dans ses dépendances, ses régressions, son culte de l’irresponsabilité. Un corps pompé, vidé, sans plus de consistance. Un corps désymbolisé aux prises avec ses retours d’enfance (patinettes et smartphone...) et qui ne sait plus sur quoi s’appuyer ou vers quoi se tourner. Où est le réel la dedans ? Au total, on pourrait se demander si l’irresponsabilité dans laquelle nous étions en train de nous enfermer n’est pas réveillée par la brutale survenue de cet étranger qui recèle toutes nos peurs. Sur ce terrai, me revient en mémoire une réunion de service regroupant les plus âgés du pavillon autour du thème : que faisions-nous hier ? C’était dans un temps où il faisait bon, pour les moins jeunes de finir à l’hôpital quand démonstration était faites de l’impossibilité de vivre ailleurs. On y venait. On y restait. Et la préoccupation, toujours répétée tournait autour de la fin d’un monde, de la fin de mon monde ou celui de mon univers, un rappel d’hier qui soutenait, pour chacun le présent. En cet espace pouvait se dire un vécu de la fin d’un monde dont cette réunion était le signe, celui du besoin de mettre en place de nouveaux repères, celui de pourvoir d’un sens ce nouveau territoire. Mais parler du vécu de la fin d’un monde suggère naturellement d’aborder cette autre question du vécu de la fin du monde chez la personne âgée, et de comprendre ce passage qui conduit du vécu de la fin d’un monde à celui de la fin du monde. Car la fin du monde, pour ce que le plus grand nombre en sait, est le moment de la disparition de l’univers de la terre ou de la seule humanité. On comprendra que ce passage est un terrain de fragilité qui peut rendre compte du taux élevé de mortalité chez les moins jeunes des maisons de retraite.
Une dernière réflexion pour dire, essayer de mettre en mots, cette idée que l’expérience de la maladie dans les institutions qu’elle produit n’est pas seulement individuelle. Chaque société a ses maladies, mais elle a aussi ses malades. « A chaque époque et en tous lieux l’individu est malade en fonction de la société où il vit et selon les modalités qu’elle fixe ». Pour dire tout ça autrement, et concernant cette pandémie qui nous préoccupe, sa croissance exponentielle telle que la présente le mathématicien Gérald Tenenbaum[1] risque ou est en train de donner corps à un panmédicalisme[2] qui pourrait ouvrir à, ou orienter vers des interrogations nouvelles aux risques de réveiller les revenants de notre histoire, et qui n’attendent que cela. Je pense là au biologique en train de devenir le destin de l’humain et, d’une certaine façon réhabiliter l’eugénisme, celui d'Alexis Carrel (1935)[3].
Serge G. Raymond.
Psychologue hospitalier honoraire, EPS Ville‑Évrard
Ancien expert judiciaire près la cour d’appel de Paris
Enseignant de psychiatrie légale, CHU du Kremlin-Bicêtre
Membre du comité de rédaction du Journal des psychologues
[2] A. Comte-Sponville : https://www.lejdd.fr/Societe/andre-comte-sponville-se-laver-les-mains-cest-tres-bien-mais-cela-ne-tient-pas-lieu-de-sagesse-3956874
[3] Carrel A., 1935, L’homme, cet inconnu, Paris, Plon.