L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a retiré en 2018 la transidentité de sa liste des troubles mentaux pour la classer dans le chapitre de la santé sexuelle. La France avait été le premier pays au monde à sortir la transidentité de la liste des affections psychiatriques, en 2010. Ce sujet, qui fait couler beaucoup d’encre et suscite de nombreux débats, pose de nombreuses interrogations, tant d’un point de vue sociétal, psychologique, médical, juridique, éthique et philosophique. Deux psychologues souhaitent aujourd’hui adresser « une lettre ouverte aux psychologues et professionnels de santé » visant à dénoncer « l’injonction à se taire et à être transaffirmatif-ve », et afin de « protéger les enfants ».
Corinne Guyonnet est psychologue et conseillère en santé sexuelle en centre hospitalier et en maison d’arrêt. Elle travaille également en CMP. Marie-Noëlle Gérolami, également psychologue à Paris, n’est actuellement plus en activité. Toutes deux ont fait connaissance lors d’échanges au sein du réseau WDI[1].
Dans cette lettre ouverte, elles affirment : « Nous observons dans nos consultations différentes motivations à la demande de transition : le rejet de sa féminité ou de sa masculinité, des rôles sociaux-sexuels et des stéréotypes aliénants, la gynophobie intériorisée. Prendre les codes de l’autre sexe et nier son empreinte biologique revient, contre toute attente, à renforcer les stéréotypes de genre ; le rejet de son orientation sexuelle, l’homophobie intériorisée : devenir l’autre sexe permet de rester dans l’hétéronormativité et de fuir son orientation en tant que lesbienne ou gay »
Marie-Noëlle Gérolami et Corinne Guyonnet avancent que de plus en plus de jeunes, souvent des filles, se disent « en inadéquation avec leur corps, leur ressenti et souhaitent transitionner ». Corinne Guyonnet précise : « Dans nos statistiques, nous n’avons pas différencié les filles des garçons. Mais il y a beaucoup plus de filles qui ont cette problématique. Nous avons ¾ de filles pour ¼ de garçons. »
Protéger les enfants
Les deux cosignataires en appellent à la « responsabilité des adultes », en listant plusieurs arguments : « Les transitions notamment médicales ne sont pas anodines. Nous observons différents stades dans la transition :
- Le simple changement de prénom et de pronom, encouragé par l’institution scolaire (en référence à la circulaire de l’éducation nationale de septembre 2022) reste réversible à tout moment.
- Les bloqueurs de puberté avec des conséquences irréversibles sur le développement des gonades, des organes génitaux, sur la densité osseuse, avec les mêmes conséquences que la ménopause.
- L’hormonothérapie avec la prise d’hormones féminisantes ou masculinisantes induisent des changements irréversibles dans l’organisme.
- Les mutilations : mastectomie, chirurgie de réassignation conduisant à des dommages irréversibles. Des organes sains sont mutilés ayant pour conséquence une médicalisation à vie. »
Comme ajoute Marie-Noëlle Gérolami : « Il faut peser les conséquences d’une médicalisation à vie, surtout lorsque la maturité biologique n’est pas terminée, et que le cerveau se développe jusqu’à l’âge de 25 ans. On ne protège pas les enfants et les médecins, institutions et médias vont dans le sens de la permissivité, sans prendre de recul. Parfois, le changement d’identité est un rejet de l’homosexualité, où les parents préfèrent que leur enfant change de sexe. » Corinne Guyonnet abonde : « Il faut respecter le rythme de croissance et les droits des enfants et des adolescents. Il est difficile de réfléchir à ce sujet sans être taxé de transphobie. »
Les « bonnes pratiques » de la CAF concernant la transidentité sont également au centre de leurs interrogations.
Un « phénomène d’allure épidémique »
Dans leur lettre ouverte, les deux cosignataires se rangent derrière un communiqué de l’académie de médecine[2], daté du 25 février 2022 : « (…) aussi, face à une demande de soins pour ce motif, est-il essentiel d’assurer, dans un premier temps, un accompagnement médical et psychologique de ces enfants ou adolescents, mais aussi de leurs parents, d’autant qu’il n’existe aucun test permettant de distinguer une dysphorie de genre ”structurelle” d’une dysphorie transitoire de l’adolescence. De plus, le risque de surestimation diagnostique est réel, comme en atteste le nombre croissant de jeunes adultes transgenres souhaitant « ”détransitionner”. Il convient donc de prolonger autant que faire se peut la phase de prise en charge psychologique. »
Des risques suicidaires accrus ?
Enfin, les deux psychologues alertent sur le risque de suicides d’adolescents après leur transition, avançant que ce risque survient entre 5 à 7 ans après la transition. « Il n'existe aucune étude et aucune statistique. Ce sujet n'est pas étudié. Les suicides, quelques années après la transition, est plutôt un constat et une observation dans la clinique des psychologues, notamment en psychiatrie », concluent-elles.
Leur lettre ouverte a été adressée à des médecins, psychologues, syndicats et à quelques médias.
Guillaume Bouvy.
[1] La Women's Declaration International (WDI) est « un groupe de femmes bénévoles du monde entier dédiées à la préservation de nos droits fondés sur le sexe biologique. [Ses] bénévoles sont des chercheuses et universitaires, des écrivaines, des organisatrices, des militantes, et des professionnelles de la santé, qui visent à représenter un large éventail du vécu féminin. »
[2] Fondée en 1820 par Louis XVIII, cette société savante est composée de 130 membres titulaires élus. Elle s’administre librement, est en partie financée par l’État mais ne fait pas partie de l’Institut de France, contrairement à l’Académie des sciences. Le rôle de l’académie de médecine nationale est de conseiller les pouvoirs publics lorsqu'ils lui demandent un éclairage. Selon ses statuts, elle peut s'autosaisir pour émettre un avis, en particulier sur les questions de santé publique et d'éthique médicale.