Auteur(s) : De Azambuja Miguel
Présentation
À propos de Black Bird, une minisérie en six épisodes de Dennis Lehanne, à découvrir sur Apple TV+.
Détail de l'article
J’ai pensé d’abord aux oiseaux de malheur, à la vie obstinée des superstitions, à la chanson des Beatles que l’on trouve dans le White Album, une merveille (Blackbird singing in the dead of night…). Je ne savais pas que Charles Manson avait trouvé dans ses paroles, ainsi que dans Piggies et surtout Helter Skelter – d’autres morceaux du même album–, des versions mélodieuses de la guerre raciale apocalyptique qu’il souhaitait déclencher. Dans la seconde nuit meurtrière de la famille Manson, lorsqu’ils tuent sauvagement le couple Labianca, l’un des dérangés écrira sur le frigo avec le sang d’une des victimes « Healter skelter », avec faute d’orthographe incluse. Le toboggan en spirale auquel la chanson faisait référence était devenu désordre, chaos, et les Beatles les quatre chevaliers de l’apocalypse. Manson dira, en parlant des Beatles, que « cette musique déclenche la révolution, la chute non organisée de l’ordre social. Les Beatles savent ce qui se passe, dans le sens où le subconscient le sait ». Le songe de la raison produit des monstres, aurait pu dire Goya *.
J’étais près et loin en même temps. Black Bird est une minisérie basée sur le roman autobiographique de James Keene, Avec le diable. L’histoire est incroyable et elle nourrit le mythe américain : fils de la classe moyenne, James est charmeur, sûr de lui, prêt à s’emparer par tous les moyens de tout ce que le monde lui offre – dans son échelle des valeurs : l’argent, les femmes, le luxe – et à créer un récit où il se voit au centre de tout et ne voit pas l’immense solitude qui en découle. Il deviendra trafiquant de drogues et, capturé par la police, devrait purger une peine de dix ans en prison. Et c’est là où l’histoire sort de ses sillons habituels : peu de temps après son arrivée en prison, il est contacté par le FBI qui veut lui proposer un deal singulier : être transféré dans l’une des prisons les plus dangereuses, là où se trouve Larry Hall, présumé tueur en série de jeunes filles adolescentes. Celui-ci nie les faits, affirme être passé aux aveux pour qu’on le laisse tranquille. Puisqu’il n’y a pas de preuves contre lui, il fera bientôt appel, convaincu qu’il sera remis en liberté le moment venu. James Keene devra s’approcher de lui, gagner sa confiance, réussir à ce que cet esprit détraqué s’ouvre à lui et lui montre sa nuit. Obtenir ainsi des informations qui permettront, cette fois, que sa condamnation soit définitive. S’il atteint ce but, si la nouvelle amitié rend possible l’obtention des aveux, sa peine de prison sera annulée et il pourra retrouver sa liberté. En parallèle, à l’extérieur de la prison, l’enquêteur, Brian Miller, et l’agent du FBI, Lauren McCauley, revisitent le parcours meurtrier de Hall, à la recherche des indices négligés, des pistes omises par inadvertance. J’ajoute, je ne veux pas l’oublier, que le père de Keene est joué par Ray Liotta, l’inoubliable Henry Hill de Goodfellas, qui fut l’un de ses derniers rôles.
L’autre nom important est celui de l’écrivain américain, Dennis Lehane, qui est le responsable artistique de la mini-série. Shutter Island, Mystic River et Gone Baby Gone sont quelques-uns des romans qu’il a écrits et qui ont été adaptés à l’écran. Si vous avez lu ou vu ces œuvres, vous avez dû vivre l’expérience étrange de rentrer avec l’auteur dans un monde sombre, malaisant, qui laisse des traces et vous perturbe. C’est d’ailleurs en ces termes que l’on pourrait parler de la relation entre Hall et Keene (les deux acteurs, impeccables), noyau central de l’œuvre, ce jeu malsain entre les protagonistes où les frontières entre les deux hommes sont les plus minces et où la noirceur semble se répandre de plus en plus. La référence ultime dans ce domaine est probablement Le Silence des agneaux, mais j’ai pensé aussi, métier oblige, au film de David Mamet, House of Games (dont le titre français est Engrenages) : une psychanalyste veut aider un patient addict au jeu et ayant des idées suicidaires. Elle ouvre ainsi, sans le savoir, la porte à une passion refoulée qui viendra bouleverser sa vie pour toujours.
Il est vrai, l’abondance actuelle des documentaires et des films sur les tueurs en série nous invite à être prudents, parfois les œuvres se transforment en appâts et l’exploration en profit, et la vie opaque de ces assassins est un prétexte pour nous enfermer et non pour chercher quelques issues. Néanmoins, si la rencontre se produit, si nous pouvons explorer aussi notre part d’ombre, nous pourrons, et je cède ici la parole à Dennis Lahane, « donner au récit une dimension quasi mythologique en suivant l’épopée d’un homme qui prend le risque d’aller dans une grotte pour débusquer un monstre au fond des ténèbres et qui réussit à revenir vers la lumière ».
Note
* El sueño de la razón produce monstruos est une gravure de la série Los Caprichos, réalisée par Francisco de Goya en 1799.
Publié le 03/10/2022