Dossier : journal des psychologues n°253
Auteur(s) : Barbot Baptiste
Présentation
La disparition dans le WISC-IV de deux subtests de l’échelle Performance amène l’auteur à s’interroger sur la place laissée à l’observation clinique dans cette nouvelle version. Il n’écarte pas le risque pour la profession d’être réduite à un rôle psychotechnique.
Mots Clés
Détail de l'article
Daniel Wechsler (1944) définit l’intelligence générale comme la capacité globale de l’individu d’agir dans un but déterminé, de penser rationnellement et d’entretenir des rapports efficaces avec son environnement. Partant de cette définition, cet article se centre sur la disparition des subtests Arrangement d’images (AI) et Assemblage d’objets (AO) dans la dernière édition du WISC (une des premières échelles à ne pas avoir bénéficié de la supervision du fondateur initial…), disparition qui, selon nous, illustre bien comment l’approche sous-jacente au WISC-IV marque une rupture avec la tradition de l’évaluation de l’intelligence défendue par D. Wechsler, ainsi qu’avec sa signification théorique et pratique.
Tout d’abord, la composition du WISC-IV marque une première limite par rapport aux précédents WISC, en abordant moins la situation d’évaluation comme un contexte propice à l’observation clinique et pas seulement comme un dispositif de recueil d’informations chiffrées. D’autre part, et outre l’aspect plus concret des subtests AI et AO, les capacités d’adaptation au social et à la réalité de se situer dans le temps et l’espace, d’organiser et planifier des séquences temporelles qui impliquent une forme de souplesse de la pensée, sont vraisemblablement reflétées dans une moindre mesure par les échelles du WISC-IV. Ce second point met en question les choix sous-jacents à la nouvelle composition de la batterie. Choix défendables dans la mesure où un échantillonnage exhaustif des aptitudes qui interviennent dans les comportements intelligents s’avère irréalisable, mais discutable en ce qu’il évince des aspects plus concrets et probablement plus sensibles à un ensemble de facteurs « non intellectifs » (enthousiasme, persévérance, par exemple) qui, selon D. Wechsler, font partie intégrante de l’intelligence générale. Ainsi, ce double constat rejoint le débat concernant la nouvelle structure du WISC et la disparition de la distinction QIV/QIP. Distinction qui trouvait principalement sa légitimité dans des considérations davantage pratiques que théoriques et qui semblait plus congruente avec la conception originelle de D. Wechsler, envisageant l’intelligence générale comme l’organisation d’une large variété d’aptitudes et non comme la somme de fonctions cognitives spécifiques.
Conception de l’intelligence selon D. Wechsler
Quelles qu’en soient les adaptations ou les versions, il semble fondamental, pour les utilisateurs, de connaître les idées qui président à la construction des échelles de Wechsler et la conception de l’intelligence qui s’y rattache (Grégoire, 2000). Or, D. Wechsler a très peu publié sur sa définition de l’intelligence, et le manuel du WISC-III (Wechsler, 1996) n’offrait qu’une dizaine de pages consacrées à celle-ci, dans un chapitre intitulé « Conception sous-jacente de l’intelligence ». Dans le manuel de la version IV (Wechsler, 2005), ce chapitre a littéralement disparu au profit de la section « Tendances actuelles ». Cette nouvelle section, fort intéressante et bien documentée, fournit notamment des éléments sur le nouveau modèle théorique adopté, mais semble en même temps évincer des éléments traditionnels de l’ère wechslerienne qui soulignaient également tout l’intérêt clinique de ces échelles. Ce simple constat illustre bien le changement drastique qu’a connu le WISC-IV et qui, selon nous, modifie en partie le sens de l’outil et la conception même de l’intelligence qui s’y rattache.
Initialement, pour D. Wechsler (1944), l’intelligence n’est pas une aptitude particulière, mais représente « la capacité complexe ou globale de l’individu d’agir dans un but déterminé, de penser rationnellement et d’avoir des rapports efficaces avec son environnement ». C’est une capacité complexe, car elle est composée d’éléments ou d’aptitudes qui, bien que non entièrement indépendantes, sont différenciables du point de vue qualitatif. L’idée de capacité globale proposée par D. Wechsler renvoie à la configuration, la façon particulière dont ces aptitudes se combinent et qui caractérise le comportement de l’individu comme un tout.
Dans cette perspective, il est donc nécessaire d’évaluer les différents aspects des aptitudes qui interviennent dans les comportements intelligents. Pour cette raison, les subtests des échelles de Wechsler ont, jusqu’à sa mort, été sélectionnés de façon à mobiliser des aptitudes mentales diverses qui, réunies, devaient refléter un fonctionnement intellectuel global chez le sujet. Mais, de toute évidence, les tests d’intelligence ne peuvent pas mesurer tout de l’intelligence (Wechsler, 1944) ou couvrir tous les aspects de l’intelligence d’un individu. Cela va impliquer des choix, toujours discutables, de tâches intellectuelles incluses dans la batterie (Grégoire, 2000). On peut comprendre que ces choix soient parfois guidés par des « tendances actuelles », car « les aptitudes mises en jeu par les subtests sont valorisées à des degrés différents par notre culture » (Wechsler, 1996). À cet égard, nous nous interrogerons plus loin sur les caractéristiques des subtests supprimés dans le WISC-IV. Conscient des limites de l’échantillonnage de ses tâches, D. Wechsler considérait que les aptitudes intellectuelles représentées dans ses échelles pouvaient être considérées comme les déterminants essentiels d’un comportement intelligent.
Dans sa conception, D. Wechsler (1950) a également beaucoup insisté sur les « facteurs non intellectifs de l’intelligence » qui, selon lui, concourent à l’efficacité du comportement intelligent et, par conséquent, sont à prendre en compte dans toute conception globale de l’intelligence elle-même. Ces facteurs, essentiellement d’ordre conatif (1) (comme la conscience du but, l’enthousiasme, le trait de dépendance-indépendance à l’égard du champ, l’impulsivité, l’anxiété, la persévérance, l’intérêt ou le désir de réussir) interviennent dans les modalités d’expression des aptitudes intellectuelles et doivent, selon D. Wechsler, être pris en compte dans l’évaluation, en ce qu’ils vont refléter certaines ressources non mesurées directement par les mesures d’intelligence. Notons ici que très peu de références explicites à ces facteurs apparaissent dans le manuel du WISC-IV, contrairement à son prédécesseur. À l’inverse, les auteurs de cette nouvelle version citent D. Wechsler lui-même se prononçant à propos d’autres facteurs de nature plus concrète : « Ces facteurs […] peuvent avoir une influence dans la performance aux tests d’intelligence, mais ils peuvent être mieux mesurés par des tests séparés. » La question de l’évacuation de ces facteurs dans le WISC-IV est alors posée. Ainsi, les choix faits par les auteurs du WISC-IV vont s’inscrire dans ce terme générique – et par ailleurs peu discuté – de « tendances actuelles ».
Changements dans l’échelle
Lors de la sortie du WISC-IV, en 2005, de nombreux cliniciens et chercheurs utilisateurs des échelles de Wechsler se sont interrogés sur les raisons de la disparition et de la mise en optionnel de certains subtests, allégeant dans le même temps le poids de la mallette…
Si nous traitons ici la disparition des subtests AI et AO, nous n’aborderons pas les subtests mis en optionnel, qui gardent l’avantage de posséder un étalonnage récent, ce qui n’est pas le cas pour les subtests supprimés. Néanmoins, la mise en optionnel (notamment celle de Complètement d’images et d’Information) les rend subalternes dans un processus d’évaluation de plus en plus minuté, et donc pas toujours propices à l’administration des subtests complémentaires.
Arrangement d’images (AI)
Dans ce subtest, le psychologue présentait au sujet une série de cartes qu’il devait arranger dans un certain ordre afin qu’elles racontent une petite histoire ayant un sens. Ce subtest impliquait la capacité de comprendre des situations dans leur ensemble (Wechsler, 1944) et contribuait à mesurer, avec le subtest de Compréhension, des aspects émotionnels et sociaux dans les relations interpersonnelles ; une forme d’intelligence appliquée aux situations sociales (Rozencwajg, 2006). L’aptitude à sérier, à planifier et à organiser les séquences temporelles y était prédominante et supposait l’intégration des concepts temporels d’« avant » et d’« après », tout comme la représentation de l’idée de durée (Grégoire, 2000). En outre, l’arrangement d’images sollicitait à la fois un processus convergent et divergent qui consistait à envisager de multiples solutions à partir d’un problème unique (à l’exception de quelques items où différents arrangements étaient acceptés). Ainsi, ce subtest mobilisait une souplesse de la pensée, une flexibilité nécessaire pour s’adapter à l’environnement, parfois qualifiée de créativité (Kaufman, 1979). L’exploration du matériel, associée au jeu et à la créativité, était d’ailleurs sollicitée et facilitait la performance (Sipps, Berry et Lynch, 1987). Enfin, les verbalisations – ou mises en récit – suggérées par la tâche pouvaient avoir un effet facilitant. De nombreux cliniciens l’utilisaient à ce titre comme une situation projective (Segal, Western, Lohr et Silk, 1993), enrichissant et complétant ainsi l’examen cognitif.
Assemblage d’objets (AO)
Dans ce subtest, le sujet devait, dans un temps limité, réaliser une série de puzzles représentant des objets familiers. D. Wechsler (1944) a lui-même souligné les qualités cliniques de cette épreuve, insistant sur les modes de pensée et les caractéristiques de la personnalité résonnant dans ce subtest. Outre les capacités de coordination visuo-motrices, ainsi que la flexibilité d’esprit en jeu dans la réalisation de la tâche, l’assemblage d’objets était sensible à la dépendance à l’égard du champ et permettait d’éclairer un possible ralentissement dépressif ou un contrôle obsessionnel. Enfin, il permettait également de mettre en lumière l’anxiété du sujet par le matériel (pièces de puzzle) qui pouvait susciter une angoisse de morcellement, orientant alors le psychologue vers un examen plus approfondi de la personnalité. Au-delà de la simple mesure intellectuelle, ce subtest impliquait donc les facteurs non intellectifs de l’intelligence, qu’il revenait au clinicien d’apprécier. En effet, ce subtest, si nous nous en tenons à lui seul, était un outil diagnostic apprécié des psychologues et permettait, au-delà de l’application psychométrique, une lecture clinique et personnelle du fonctionnement mental du sujet évalué.
Au regard des nombreuses qualités de ces subtests devenus classiques, leur suppression nous conduit à nous interroger sur les raisons qui sous-tendent ces choix. Le manuel du WISC-IV souligne la nécessité de l’introduction de nouvelles épreuves ayant rendu nécessaire l’élimination d’anciens subtests dans la version finale (AI, AO et Labyrinthe). De plus, la suppression de ces subtests permettait d’écourter la durée de passation du WISC-IV et de disposer de plus de temps pour procéder à des examens complémentaires, ce qui, dans la pratique, peut s’avérer difficile à mettre en œuvre. Des éléments additionnels relatifs à cette suppression ont été mentionnés lors d’une journée d’étude de l’ARCOP (2005). Selon H. Barbot (2005), coordinatrice nationale de l’ARCOP pour l’expérimentation du WISC-IV avec les ECPA, la suppression de ces subtests serait due à une volonté de réduire l’impact de la rapidité et de la dextérité manuelle dans les résultats ne correspondant plus aux nouveaux modèles théoriques adoptés. Ainsi, l’objectif aurait peut-être été aussi de rendre les indices factoriels de Vitesse de traitement (IVT) et de Raisonnement perceptif (IRP) plus indépendants (2). Enfin, il convenait de présenter des tâches essentiellement intellectuelles et non concrètes, où la manipulation devenait subalterne. Mais ce nouveau modèle théorique semble s’éloigner peu à peu de la conception de D. Wechsler dans laquelle il faut équilibrer les items faisant appel au langage, par des items dits de « performance », où la capacité de résoudre des problèmes peut être évaluée à travers la manipulation d’un matériel concret (Huteau et Lautrey, 1997).
Quelles conséquences ?
Ainsi, la suppression des subtests AI et AO limite largement la possibilité offerte aux sujets de manifester leurs capacités concrètes et kinesthésiques par le peu de manifestations mobilisées par le matériel (à l’exception du subtest de Cubes). En effet, ces tâches suscitaient des comportements exploratoires et des verbalisations du sujet et constituaient, à cet égard, une riche source d’observations cliniques (dont l’intérêt a d’ailleurs été souligné par D. Wechsler). Les manipulations du matériel, discrètes dans le WISC-IV, représentaient aussi une occasion d’observer une « intelligence en activité », pour reprendre l’expression de A. Binet et T. Simon (1908). L’exploration du matériel, en jeu dans les subtests AI et AO, renvoie à un stade précoce du développement qui s’associera plus tard au jeu et à la créativité (dimension ludique) et qui éclaire sur les fondements mêmes de l’expression psychique du sujet en activité de pensée. Par exemple, le subtest AO pouvait exposer une angoisse de morcellement, permettant ainsi d’orienter le bilan psychologique du sujet évalué, comme nous l’avons mentionné précédemment. En effet, plusieurs chercheurs ont montré l’impact des préoccupations concernant l’intégrité corporelle sur la performance à ce subtest, soulignant ainsi le truchement de variables affectives dans le fonctionnement cognitif.
Ainsi, J. J. Glutting, T. Oakland et I. A. McDermott (1989) précisent qu’observer le comportement durant une passation de test est une activité clinique fondamentale. En effet, les indications chiffrées donnent des repères dont la signification dépend des autres éléments recueillis au cours de l’examen, y compris des observations faites au cours même de la passation d’un test d’intelligence : attitude devant la nouveauté, échec, réactions émotionnelles, verbalisations (Huteau et Lautrey, 1997). L’observation clinique permet d’identifier des attitudes et comportements qui pourraient se généraliser dans d’autres contextes. En outre, la « standardisation » de l’observation en situation de test rend possible les comparaisons d’un sujet particulier à d’autres enfants placés dans les mêmes conditions. Pour S. H. McConaughy (2005), les examinateurs peuvent ainsi considérer les effets des facteurs situationnels spécifiques (comme les encouragements) qui peuvent influencer le comportement des enfants, mais qui pourraient être absents dans d’autres situations (à l’école ou dans le contexte familial, par exemple).
Par conséquent, la lecture qualitative ne doit pas être oubliée dans l’évaluation de l’intelligence de l’enfant. La suppression des subtests AI et AO interroge la place de l’observation clinique dans le processus d’évaluation de l’intelligence à travers le WISC-IV, puisque c’était dans lesdits subtests que les comportements exploratoires et la dimension ludique étaient les plus sollicités. À partir de cette suppression, nous nous interrogeons également sur la prise en compte des facteurs non intellectifs de l’intelligence dans les mesures fournies par le WISC-IV, auxquelles les anciennes versions étaient probablement plus sensibles.
Conclusion
Bien qu’il soit nécessaire d’actualiser les échelles de Wechsler et de leur fournir des étalonnages récents, les choix théoriques adoptés dans le WISC-IV ont entraîné un certain nombre de modifications qui bouleversent, dans une large mesure, le sens de la notion d’intelligence. Parmi ces modifications, la suppression de AI et AO, tâches appréciées des cliniciens et des patients eux-mêmes, conduit à une conception de l’intelligence encore plus « verbo-conceptuelle », académique, qu’elle ne l’était déjà. Cette suppression réduit dans le même temps la variété des épreuves présentées. Or, l’important pour D. Wechsler n’est pas qu’un certain type de tâches soit toujours utilisé, mais qu’une échelle d’intelligence soit susceptible de mettre en œuvre un ensemble varié d’aptitudes cognitives et donc de refléter les multiples aspects de l’aptitude intellectuelle. En outre, cette suppression va de pair avec l’abandon de la distinction QIV/QIP, qui rompt avec une tradition de plus de soixante ans. En effet, AI et AO ont avant tout été supprimés pour consolider l’ancrage théorique de l’échelle autour de la notion d’indices factoriels. Malheureusement, ces deux subtests étaient vraisemblablement peu saturés par ces facteurs et comportaient une part importante d’erreur de mesure. Or, pour D. Wechsler, l’erreur de mesure renvoie justement à la sensibilité desdits subtests aux facteurs non intellectifs qui interviennent dans les modalités d’expression de l’intelligence. Par cette volonté de vouloir « nettoyer » les indices factoriels présents dans cette nouvelle mouture, l’influence des facteurs non intellectifs, maintenant amoindrie, ne réduit-elle pas quelque peu l’intérêt clinique de l’outil et la vraisemblance même de la conception de l’intelligence adoptée ? Bien que le cadre théorique bénéficie d’une actualisation, qu’en est-il de sa signification pratique ? En effet, d’un point de vue psychométrique, mesurer des facteurs purs dans des domaines restreints peut être utile pour la recherche, mais n’offre pas nécessairement d’informations utiles d’un point de vue clinique ou concret dans la vie courante (Zachary, 1990). La « tendance actuelle » serait-elle alors de reléguer la profession de psychologue à un « simple » rôle psychotechnique ? Quelques années de pratique et d’imprégnation de l’outil permettront peut-être de dépasser les fonctions diagnostique et pronostique, en offrant aussi des pistes utiles pour la remédiation.
Notes
1. Les facteurs conatifs renvoient à des traits, intérêts, façons préférentielles et-ou habituelles de se comporter.
2. Si tel était l’objectif, il semblerait qu’il n’ait pas été atteint. En effet, le coefficient de corrélation obtenu entre IVT et IOP est de .27 dans le WISC-III, et les corrélations obtenues avec leurs équivalents dans le WISC-IV se situent entre .13 et .47, selon les tranches d’âge, et se résument par un coefficient médian de .38.