Choisir une spécialité médicale : la gynécologie-obstétrique *

Le Journal des psychologues n°237

Dossier : journal des psychologues n°237

Extrait du dossier : La scolarisation précoce : quel bénéfice pour l’enfant ?
Date de parution : Mai 2006
Rubrique dans le JDP : Université > Recherche
Nombre de mots : 1700

Auteur(s) : Belgacem Imem

Présentation

Cette thèse, remarquable par les résultats induits par la méthode retenue, montre que c’est à l’épreuve de la relation au patient que les jeunes médecins sont confrontés à la part obscure de leur choix de la médecine et de la spécialité, souvent dans la solitude et l’angoisse, car leurs études ne les y ont pas préparés.
Le mérite de l’analyse est de respecter la complexité et l’inachèvement des éléments intimes et singuliers, intriqués aux arguments rationnels du choix professionnel, et d’en dégager des lignes de force générales mises en perspective d’une psychologie du sujet, conditionnant pour chacun son engagement dans l’exercice professionnel.

Dominique Weil,
Professeur émérite en psychologie

Détail de l'article

Lors de son exercice professionnel, le médecin spécialiste gynécologue-obstétricien, homme ou femme, observe et touche le corps féminin dans tous ses états : transformé, nu, ouvert, etc. Le gynécologue est confronté à la sexualité, à la conception humaine, à la naissance, mais aussi aux maladies qui affectent les organes génitaux. S’ajoute à cela un héritage social et culturel qui se rapporte à la nature de la pratique même de cette spécialité. Ce travail de thèse est destiné à éclairer les aspects psychologiques et subjectifs dans le choix et la pratique de la gynécologie-obstétrique, une spécialité médicale entièrement consacrée aux femmes, à partir du discours de médecins hommes et femmes français. La recherche prend en compte les aspects informatifs et raisonnés du discours et tend à dégager ses implicites et à analyser les aspects subjectifs qui y affleurent et se signifient dans l’énonciation personnelle. Elle pointe l’acte subjectif singulier dans une démarche d’orientation et d’exercice professionnel médical commune à tous. L’intérêt est focalisé sur les motifs d’implication du médecin en formation dans cette spécialité. Comment un médecin gynécologue avait-il opté pour le choix de cette spécialité plutôt que pour une autre ? Que dit-il de la réalité et du vécu de ses études et de sa pratique ? Comment vient-il signifier son malaise, son enthousiasme, son angoisse ? Comment exprime-t-il ses positions personnelles ? Comment les récits ou les évocations qui traversent ses propos dépassent-ils ses déclarations objectives ? Quelle est la part des circonstances et des opportunités dans le choix de l’étudiant en médecine, et quelle en est l’assise dans son histoire personnelle et sociale ? Quelle conscience en a-t-il ? Les hommes et les femmes expriment-ils les mêmes choses ?

 

Hypothèse

L’hypothèse est que son implication renvoie aux questions fondamentales de la maladie et de la mort, mais aussi et spécialement à celle de la sexualité humaine telle qu’elle se manifeste à l’occasion de la procréation et de la naissance. Chaque médecin se trouve confronté pour lui-même à l’approche du corps sexué, et du sujet sexué, dans ce contexte particulier.

 

Méthodologie

La recherche s’appuie sur une enquête par entretiens auprès d’une population de médecins en formation et en exercice en milieu hospitalier.
1. Préenquête : réalisée auprès des médecins gynécologues-obstétriciens exerçant en hôpitaux universitaires, afin de préciser les thématiques abordées et élaborer une grille d’entretien pour l’enquête.
2. Enquête : les entretiens individuels semi-directifs à visée de recherche auprès des médecins gynécologues-obstétriciens en poste au CHU, incluant l’implication subjective singulière dans le choix de la spécialité.
Ces entretiens sont destinés à déployer les questions de la recherche au fil de la parole singulière de chacun, selon sa logique propre. Ils restituent le contexte personnel et subjectif des éléments d’information exposés et font apparaître ainsi la complexité, l’ambiguïté, voire les contradictions du discours, dans son propre développement.
La population de l’enquête comprend des médecins, hommes et femmes, de vingt-cinq à cinquante et un ans, avec un statut variable : internes, chefs de clinique, praticiens hospitaliers, médecins attachés. La période de collecte de données est comprise entre 2000 et 2003, pour tenir compte de la rotation semestrielle des internes dans les services hospitaliers.

 

Problématique et références théoriques

Les concepts psychologiques et psychanalytiques nécessaires sont abordés pour penser et comprendre l’interaction entre le développement du sujet et son espace de travail, voire son espace de vie, et pour dégager le rôle structurant de la culture dans le développement humain. Deux polarités sont importantes autour desquelles se construit le choix professionnel. D’une part, la question de l’origine et de la naissance : approche psychique du sexuel dans l’histoire personnelle et familiale ; fantasmes originaires qui visent l’origine du sujet, sa conception, l’origine de la sexualité et l’énigme de la différence des sexes, la proximité de la question de la naissance et de celles de la mort et de la maladie, etc. D’autre part, la question du corps comme corps de la sexualité d’un sujet : les questions du corps propre, de l’image spéculaire, du corps réel, du corps symbolique, et la difficulté commune au médecin et au patient de les parler ; la différence des sexes et la position personnelle du médecin par rapport à son sexe et à l’autre sexe ; et, par ailleurs, les identifications du sujet comme homme ou femme dans l’exercice de sa profession.
Les modalités de l’enquête par entretiens semi-directifs et de leur analyse s’étayent sur les résultats des travaux théoriques de l’analyse du discours, spécialement les travaux linguistiques et psychanalytiques sur l’énonciation et les formes singulières de la parole.
Sur le plan manifeste, les entretiens sont centrés sur l’évocation du parcours professionnel afin de capter les raisonnements et les logiques subjectives de l’interviewé par rapport à son choix pour la spécialité, le déroulement de sa formation médicale, son activité à l’hôpital, sa définition des actes médicaux et sa préférence pour certaines activités en gynécologie-obstétrique. Les médecins interviewés font allusion à de nombreux éléments biographiques ou d’opinions personnelles qu’ils sont invités à développer ou préciser.

 

Résultats

Les médecins exposent et explicitent leur choix en reprenant leur parcours de formation. Ils racontent leur choix pour la médecine, puis pour la spécialité de gynécologie-obstétrique. Les premières motivations évoquées sont floues, voire obscures. En fait, leur motivation leur échappe. Ils reprennent alors les représentations collectives relatives au métier de médecin, celui qui a le savoir et le pouvoir de guérir. Ils reprennent aussi des définitions médicales et théoriques enseignées dans le cadre de leur formation, pour tenter de formuler leurs choix en mots. En évoquant leurs motivations pour la spécialité, les médecins racontent leurs propres expériences professionnelles. Évoquer le premier contact avec la pratique et la réalité médicale leur facilite l’évocation de leurs propres vécus. Ils disent plus facilement leurs opinions sur la médecine, leurs attitudes face aux patientes, et les comportements qu’ils adoptent pour exercer leur fonction, leurs rapports à leurs confrères de l’équipe.
En parlant de leurs expériences professionnelles, leurs vécus personnels face à la maladie, à la sexualité et à la mort, leur histoire avec leurs entourages proches et lointains, leurs souvenirs d’enfance et leur éducation viennent infiltrer leurs discours et souvent s’imposer comme légitimité de leurs attitudes et de leur choix professionnel. Peu à peu, ils occupent le devant de la scène dans l’entretien.
En évoquant leurs propres expériences professionnelles, ils parlent de leur relation avec les patientes lors des examens médicaux et interrogent leur incompréhension des attitudes sociales culturelles, personnelles, de leurs patientes et de leurs proches face à leur fonction médicale. Ils racontent la relation clinique qu’ils établissent avec leurs patientes en consultation.
C’est dans la pratique médicale et lors des examens cliniques que le médecin en formation découvre la véritable relation clinique, ou plutôt la méthode clinique médicale, et approche véritablement la patiente : en l’accueillant, en l’écoutant, en l’observant et en la palpant afin de diagnostiquer et de soigner. Des attitudes qui définissent sa fonction de médecin.
C’est dans cet exercice technique que les questions existentielles et celles relatives à la complexité et à l’énigme de la sexualité humaine leur apparaissent parfois pour la première fois et les déconcertent, les déstabilisent, forcent leur intérêt et confortent leur choix professionnel ou, parfois, les en détournent ou les orientent vers des axes plus techniques et instrumentaux de la spécialité.
Une dernière partie développe les questions fondamentales en jeu dans le choix professionnel de la spécialité médicale de la gynécologie-obstétrique, au-delà de la spécificité scientifique et technique de la prise en charge médicale de la génitalité, de la grossesse et de la périnatalité. Elle comprend une réflexion théorique sur les résultats de l’enquête :
• La question du corps dans l’exercice de la sexualité et de la procréation – touchés ou non par la pathologie –, à l’horizon de la naissance et de la mort.
• La question des aspects humains de la sexualité et de la génitalité dans leurs spécificités culturelles et psychiques.
• La question de la rencontre par la parole avec l’autre humain, débordant les enjeux techniques de l’intervention médicale et renvoyant à l’expérience de la relation interhumaine dans l’histoire personnelle du praticien.
Les résultats apparus au détour d’un discours sur le choix d’une spécialité dans la profession médicale mettent en évidence l’importance d’une implication subjective, souvent méconnue ou idéalisée dans des objectifs philanthropiques ou rationnels, à l’épreuve de la première pratique médicale lors de la formation. Cette dimension interhumaine de l’exercice médical était souvent là au départ du choix pour cette spécialité, mais désoriente totalement les praticiens débutants quand ils la découvrent en clair. Dans cette dernière partie, la thèse met ces questions en perspective des acquis de la psychologie et de la psychanalyse, et indique l’opportunité de les inclure dans la formation universitaire médicale. ■

 

 

Note
* Thèse qui sera soutenue le 6 juin 2006 à la faculté de psychologie, ULP, Strasbourg.

 

 

Bibliographie

Belgacem I., 2005, « Savoir et culture dans le choix d’une spécialité médicale : la gynécologie-obstétrique », in Actes du Xe Congrès international de l’ARIC : « Partage de cultures et partage de savoirs », Alger.
Belgacem I., 2004, « Symbolique et transfert : à l’épreuve dans la recherche en clinique », in Actes de la ve Journée doctorale du SIUERPP : « Symbolisation et symbolique : actualité de la clinique psychanalytique », Lyon.
Belgacem I., 2004, « Réalités et fantasmes dans le choix d’une spécialité médicale : la gynécologie-obstétrique », in Actes du 1er Colloque international des jeunes chercheurs en sciences humaines et sociales de Strasbourg : « Réalités
et représentations
», Strasbourg, UMB.
Belgacem I., 2002, « La part des motivations personnelles dans le choix d’une spécialité médicale : l’exemple de la gynécologie-obstétrique », in Actes du Colloque interne de l’école doctorale « Sujet, éducation, travail », 2, Strasbourg, ULP, pp. 24-35.

 

Pour citer cet article

Belgacem Imem  ‘‘Choisir une spécialité médicale : la gynécologie-obstétrique *‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/choisir-une-specialite-medicale-la-gynecologie-obstetrique

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