Dossier : journal des psychologues n°246
Auteur(s) : Riguet Maurice
Présentation
L’âge accentue le relief de nos souvenirs et nous représente ceux qui furent nos meilleurs maîtres, c’est-à-dire ceux qui alliaient à la compétence magistrale les qualités humaines secourables, encourageantes pour le disciple. Le professeur Carmel Camilleri (disparu en avril 1997) était de ceux-là : à la fois éducateur exceptionnel et chercheur de valeur.
Détail de l'article
Sa lecture critique des travaux des culturalistes américains est connue ; elle lui aura permis de préciser la notion de culture anthropologique et de définir les phénomènes psychosociaux la faisant intervenir : l’enculturation et la dialectique des stratégies identitaires indissociables d’une identité collective, l’ethnocentrisme et les variations d’attitudes et de représentations dans le temps et l’espace, les opérations d’acculturation résultant de l’assimilation de modèles étrangers, etc.
On admire que la curiosité d’esprit et l’agilité conceptuelle de ces synthèses s’accompagnent toujours d’une parfaite liberté de jugement à l’égard des systèmes, des idées reçues, et se prolonge en recherches pénétrantes sur des questions d’actualité comme les situations familiales, les problèmes éducatifs, les parcours migratoires…
Mais ce qu’on admire bien autant, ce sont la modestie, la discrétion, la parfaite probité de cet « honnête homme », étranger aux comportements envieux ou snobs. Le milieu universitaire appréciait sa conscience professionnelle scrupuleuse dans les actions pédagogiques ordinaires (préparations de cours, énoncés variés pour favoriser la compréhension, corrections de brouillons de travaux, etc.), mais aussi sa disponibilité, son bon sens pratique (« À l’impossible, nul n’est tenu ! », disait-il à ses étudiants). Carmel Camilleri avait l’art de présenter simplement des spéculations complexes ou subtiles, l’art aussi de savoir écouter l’autre avant de proposer son opinion toujours objective et respectueuse. De telles dispositions lui valaient – j’en ai été témoin – l’estime d’une Tunisie méfiante à l’égard du « néocolonialisme culturel » ; mais le professeur Camilleri (né en 1922 à Porto-Farina) savait parler à ses élèves maghrébins avec l’intelligence du cœur et la mesure qui convenaient.
L’intérêt humaniste de tels travaux sur les modalités de la construction identitaire aura été souligné : en étudiant les ressorts profonds de la personnalité, ces recherches sont universelles, car chacun – quels que soient son environnement et sa formation – effectue sa propre manipulation de valeurs et participe au dynamisme social. On sait que Carmel Camilleri aura largement contribué à la reconnaissance institutionnelle des recherches interculturelles.
Mais qu’il soit permis à l’un de ses anciens étudiants (ma thèse d’État était la première qu’il dirigeait) d’exprimer l’admiration et la reconnaissance qu’il éprouve encore à l’égard de ce pédagogue remarquable. L’instituteur que j’ai été à mes débuts s’émerveillait de retrouver à l’université ces vertus élémentaires de dévouement, d’application, d’équité… Quelle serait l’analyse de Carmel Camilleri des violences actuelles de la jeunesse ? Par quelles nouvelles comparaisons aurait-il développé sa théorie, lui qui invitait à ne pas sacraliser les différences et, avec un égal optimisme, savait si bien stimuler les esprits ?
N’oublions pas cet enseignant-chercheur exemplaire ! ■
Carmel Camilleri a été professeur de psychologie à l’université Paris-v. Ses recherches ont porté essentiellement sur les questions identitaires dans une approche interculturelle.
BibliographieCamilleri C., 1987, Anthropologie culturelle et éducative, Paris, Unesco, Delachaux et Niestlé. |