Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques

Le Journal des psychologues n°414

Dossier : journal des psychologues n°414

Extrait du dossier : La violence dans le couple. Regards actuels
Date de parution : Janvier 2025
Rubrique dans le JDP : Culture
Nombre de mots : 800

Auteur(s) : De Azambuja Miguel

Présentation

Tout d’abord deux remarques, qui, je l’espère, vous seront utiles. La première est une mise en garde contre une possible déformation professionnelle, le mot « déformation » étant pris ici dans le sens colloquial du terme, bien entendu.

Détail de l'article

Il ne s’agit pas d’une histoire de la folie mentale à travers les siècles, de la manière dont les différents tableaux psychopathologiques ont évolué et se sont transformés avec le temps et les époques. Il peut arriver que le « fou » de l’institution psychiatrique ou du dispensaire apparaisse dans la carte proposée par l’exposition – je pense à Jeanne la folle ou à Lady Macbeth, par exemple –, mais le but n’est pas son inscription nosographique, mais de nous mettre en contact avec cette matière protéique et mouvante qu’est le fou, comment le fou est porteur de sens contradictoires qui permettent de figurer un régime religieux, amoureux, social, politique ; le fou serait ainsi l’insensé ou le sage, l’opposé à la religion ou son représentant, la raison ou l’esprit simple. Il permettra de conjurer les peurs d’une période incertaine ou bien de les produire. Ce voyage, à la fois ordonné et libre, est celui que nous propose cette exposition.

La seconde remarque concerne les supports. Si je dis que le fou est une matière protéique, c’est parce qu’il semble chercher un socle de représentation partout : dans les manuscrits, les décors, les plafonds, les carreaux de pavement, les vitraux, les tapis, les tableaux, les livres imprimés, les gravures, les sculptures, les dessins, les objets minuscules comme le grélot. Une multiplicité de supports qui peut parfois nous impressionner : plus de trois cents pièces nous permettent de voir le fou et ses métamorphoses. On peut être un peu désorienté au début, surtout si on est habitué, c’est mon cas, à des expositions de peintres ou de sculpteurs, à des expositions sur un seul support. Mais il suffit de nous laisser porter par le jeu de la multiplicité, et nous voilà pris dans un jeu des pistes qui va du Moyen Âge aux Romantiques, limite temporaire probablement établie en tenant compte du lieu qui accueille l’exposition et qui permet de délimiter les territoires de l’insensé.

Marginalia. Je ne sais pas si vous connaissez cette histoire. Dans la cartographie médiévale, là où il y avait des territoires inconnus, non explorés par l’homme, on notait l’inscription hic sunt dracones (« ici, il existe des dragons »), en ajoutant des illustrations de dragons, de serpents de mer et autres figures mythologiques qui venaient figurer les peurs de l’inconnu, le péril à dépasser les limites. J’ai pensé à cela en voyant les marginalia, du latin margo-marginis, « marge », des dessins ou des signes tracés par le copiste dans la marge d’un manuscrit. Ici, c’est le fou qui occupe ce monde des marges, et c’est une belle idée des commissaires de l’exposition que de commencer par là, par ces marges où le fou apparaît dans les manuscrits du Moyen Âge pour envahir ensuite toute sorte de supports. Pensez aux gargouilles, aux sculptures de vierges sages et de vierges folles qui arborent certaines cathédrales. Les marges évoquent le rapport à la norme, l’exclusion, la contestation d’un monde qui vous laisse dehors. Pour la pensée religieuse du Moyen Âge, la raison est un don de Dieu, et celui qui déraisonne sort de Son royaume et côtoie le diable. La sapientia, la « sagesse », concept chrétien, s’oppose à la stultitia, la « folie », et le terme évoque immédiatement la stultifera navis, la « nef de fous » (et on pense au tableau de Jérôme Bosch et au livre de Sébastien Brant, tous les deux présents dans l’exposition), une autre grande figuration de la folie et de ses destins à l’âge classique. Mais un renversement aura lieu, et l’expression maximale de ce renversement sera ce qu’on appelait alors « les fous de dieu ». L’expression avait une connotation positive au Moyen Âge : l’ordre établi n’était pas juste et devait regarder autrement ceux qu’il rejetait. Ainsi, François d’Assise épouse les marges et est appelé « le fou de dieu », il pazzo di Dio.

La religion cédera la place à l’amour dans l’exposition comme territoire d’exploration du fou et de sa figuration – la luxure, la chair et le désordre de sens ne sont que folie (le chevalier dépossédé de soi) –, mais, en même temps, apparaît au xve siècle le fou en costume à grelots, qui incarne la morale et dénonce la luxure !

Le fou est ainsi insaisissable, et la société le capture et est capturée par lui (pensez au fou du roi, personnage dont tout le monde se moquait et qui était pourtant le seul à pouvoir dire la vérité au roi). Je ne fais qu’ébaucher les premiers moments de ces métamorphoses. Cette belle exposition vous permettra d’en connaître la suite.

 

Pour citer cet article

De Azambuja Miguel  ‘‘Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/figures-du-fou-du-moyen-age-aux-romantiques

Partage sur les réseaux sociaux

Abonnez-vous !

pour profiter du Journal des Psychologues où et quand vous voulez : abonnement à la revue + abonnement au site internet

Restez Connecté !

de l'actualité avec le Journal des Psychologues
en vous inscrivant à notre newsletter