L’adolescent et la relation père-fils dans les générations

Le Journal des psychologues n°245

Dossier : journal des psychologues n°245

Extrait du dossier : La psychothérapie familiale à l’épreuve de l’adolescent
Date de parution : Mars 2007
Rubrique dans le JDP : Dossier
Nombre de mots : 3700

Auteur(s) : Houssier Florian

Présentation

L’adolescence réactualise les enjeux du lien père-fils œdipien mais aussi préœdipien. Les désirs incestueux et parricides du père et du fils sont alors réactivés. De la résolution de ceux-ci dépend la disparition de troubles potentiels liés à la proximité réelle et fantasmatique entre le père et le fils.

Détail de l'article

Le processus d’adolescence se caractérise par la reprise de la barrière de l’inceste, ce que S. Freud (1905) précise par le rejet et le dépassement des fantasmes incestueux ; il est question du travail psychique de la puberté, qui fonde l’essentiel du processus d’adolescence et passe par un travail d’élaboration. Ce travail d’élaboration conduit au second temps propre à la fin d’adolescence, la familiarité avec ces mêmes fantasmes incestueux et parricides. La survie de l’objet, attaqué dans le fantasme, s’intègre dans ce mouvement d’élaboration, comme l’illustre la situation de Jean.

 

Jean, ou les vicissitudes de l’œdipe négatif. Extraits de psychothérapie

Jean, seize ans, se plaint de « visions meurtrières » dont il craint la réalisation ; en préparant à manger au chat, qu’il affectionne, il a imaginé lui planter un couteau dans l’œil. Il raconte cette scène à ses parents, divorcés depuis sept ans, qui se mettent d’accord pour consulter. Les parents habitent l’un près de l’autre, Jean faisant l’aller et retour entre les deux appartements, même s’il est davantage installé chez son père.
Lors des séances préliminaires, Jean évoque sa crainte d’actes meurtriers qui l’a envahi récemment, au point de rompre avec sa petite amie pour la protéger. Il me précise cependant que ses « visions » peuvent s’imposer à lui en croisant n’importe qui dans la rue. Deux associations essentielles interviennent dans ces séances : il règne entre son père et son grand-père paternel une agressivité de longue date ; et il a ce genre de fantasmes meurtriers depuis son enfance, mais, enfant, il les transformait dans des jeux : il se déguisait et menait des enquêtes imaginaires pour découvrir qui était l’assassin. Aujourd’hui, il se sent dans la peau de l’assassin. La psychothérapie peut maintenant s’engager, à raison d’une fois par semaine.

 

Séparation du couple parental et fantasme matricide
Les visions sont maintenant nommées des « crises de clash » ; il remarque qu’elles interviennent lorsqu’il n’arrive pas à entrer en conflit avec son père. Cependant, conjointement au lien à un père idéalisé – intouchable –, Jean exprime sa crainte d’une mère intrusive qui essaie de casser ce lien et de le faire parler sur son père. Jean se souvient alors que, enfant, il a rêvé qu’il tuait sa mère et ses grands-parents maternels, laissant place à la seule lignée paternelle. La séparation des parents, alors qu’il a neuf ans, constitue un tournant : tout en devenant le confident de chaque parent, il se rapproche de son père en adoptant la religion de son grand-père paternel catholique, en opposition à la grand-mère maternelle anticléricale. Cette séparation et ses effets viennent interrompre ses jeux et rêveries d’enfant.
Pour rester l’enfant idéal et réparateur, il se sent contraint maintenant de rester neutre dans les conflits parentaux, s’interdisant notamment d’exprimer son agressivité envers l’un de ses parents, qui serait le signe d’une trahison en faveur de l’autre. Il lui est cependant plus difficile d’exprimer son agressivité avec sa mère qu’avec son père, car, avec elle, ça monte et il a envie de taper. Cette tension monte, notamment lorsque sa mère l’empêche de parler, lui coupe la parole ; il tape alors du poing contre le mur, ce qu’il associe à un souvenir d’enfant : son père est en colère et, devant sa mère, il jette une radio par terre qui se brise. La crainte d’une colère qui ferait éclater ou exploser la mère est présente dans sa crainte d’exprimer son hostilité envers elle, ou une fille – il a « cassé » avec sa dernière amie.

 

Idéalisation du père et meurtre de l’idole
Il n’attaque pas ses parents, car ce serait « comme un croyant qui attaquerait ses idoles », me faisant entendre le maintien de son idéalisation des figures parentales comme défense contre ses désirs hostiles, contribuant notamment à conserver un œdipe négatif en l’état.
Il associe également sur le fait de s’être coupé le doigt enfant, en lieu et place de dire sa colère. Cette attaque du corps comme équivalent d’une attaque de la scène primitive est également associée à l’attente d’une punition qui ne venait jamais ; lorsqu’il provoquait ses parents, il ne recevait aucune réponse ferme ou punitive, mais les idées provocatrices et la colère, elles, restaient. Alors, il a envie de se détruire en se coupant, notamment à l’époque où il se trouvait trop enveloppé, où il se traitait de « gros lard », à la suite du divorce. Ce trop de lard semble représenter la culpabilité de Jean, les idées en trop liées au souhait parfois conscient d’avoir chaque parent pour lui seul.
À ce moment-là, l’amour pour le père semble prédominant : lorsque le père déprime, il perd du poids et maigrit. Puis, le père sort progressivement de sa dépression, et reprend du poids et, pendant ce temps-là, Jean maigrit, au moment de la fin de la procédure de divorce. « Vers quatorze ans, j’ai accepté mon corps », conclut-t-il.
Pour trouver un peu de distance dans le lien, son père tente parfois de l’énerver, notamment quand il est « en crise », c’est-à-dire proche de l’isolement dépressif. « Je me laisse prendre », commente Jean ; cette position passive lui donne l’impression de toujours donner à son père ce qu’il attend, même lorsqu’il se met en colère contre son père, prétexte à une séparation provisoire. Le repli du père semble alors s’articuler avec les modalités défensives de Jean contre ses désirs parricides.
Au cours de la psychothérapie, la question des liens transgénérationnels devient prééminente. Lorsqu’il fait de l’alpinisme, Jean se sent vivant, « encordé » avec son père, en train d’escalader une montagne, pendant les vacances passées dans la maison achetée par le grand-père. Lorsque celui-ci décide de vendre cette maison, le père de Jean se fâche avec son père, jugé égoïste ; le père semble vivre cette décision comme une mesure de rétorsion, ce qui ravive les souvenirs de Jean : son grand-père le traitait parfois de « paysan » ou d’« Auvergnat », ce qui le rabaissait étant donné ses origines, sa mère étant issue d’une lignée auvergnate jugée comme moins prestigieuse que l’origine et le nom du père.
Lorsqu’il cherche à mettre à distance la lignée paternelle, il pense au mot écrit à l’adresse de son grand-père maternel après sa mort, brouillon de lettre conservé, depuis, dans son étui de raquette de tennis ; dans ce mot, il promet à son grand-père de ne pas abandonner une partie de tennis, et il s’adresse à lui en anglais, langue qui renvoie aux origines de la famille de la mère ; il met donc sa mère entre son père et lui par la pensée et les actes, ou autrement dit des actions psychiques.

 

Ouvrir l’espace d’élaboration des vœux parricides
Il se souvient qu’enfant, il avait peur d’être mangé, son père le menaçant, pour jouer, de lui manger le ventre. Il jouait aussi à taper son père, qui contrôlait son excitation en arrêtant le jeu quand celle-ci montait trop. Sa mère lui chatouillait le ventre et il s’endormait parfois dans son lit, la mère lui disant de ne pas le dire au père.
Avec sa première petite amie, Jean développe un zona sur les flancs, avec la crainte qu’elle lui prenne quelque chose « que je ne lui ai pas autorisé à prendre », dit-il. Puis, il fait le récit d’un rêve d’enfant où il est pourchassé avec ses parents par un ogre. Il associe sur son père, mais aussi sur son grand-père qui voudrait le retirer à ses parents : il prendrait la place d’enfant idéal auprès du grand-père, qui a été déçu par son fils.
Le récit d’un rêve biographique traduisant le contenu de la problématique de Jean émerge à la fin de cette année de psychothérapie, comme pour amorcer sa conclusion sans doute provisoire. À partir de ce rêve, il associe alors à la souffrance d’avoir à renoncer à être le petit-fils idéal de son grand-père, qui coupe le cordon ombilical avec le père en vendant le chalet.
Ce renoncement en introduit un autre, la perte de la relation d’amour idéalisée avec le père, sur fond de fantasme d’union avec le père dans la montagne. La tendresse envers le père est ici un cache-haine, l’amour dévorant pour le père – obstacle à la relation avec une jeune fille – étant lié au désir que meure leur relation exclusive et à la possibilité de se dégager du lien transgénérationnel auquel il s’est soumis. À la suite de cette séance qui s’achève sur l’idée de tuer le père pour pouvoir s’en séparer, il en vient progressivement à l’idée de me supprimer en arrêtant la psychothérapie, pour pouvoir penser par lui-même, « créer son propre style », enjeu transférentiel reprenant le lien au père. Je suis d’autant plus associé au père que c’est lui qui a amené Jean à la psychothérapie, tandis que, malgré son accord initial, la mère trouve aujourd’hui cette thérapie trop longue, faisant ainsi tiers dans le transfert paternel de Jean envers le thérapeute en s’intercalant entre lui et moi.
En me percevant comme une menace potentielle, trop envahissant, – l’assassin peut changer d’âme – je serais celui qui l’empêcherait de réussir ses examens, en prenant trop de place dans sa tête. « En partant, je vous tue », me dit-il, opération qui se joue dans la parole. La rivalité avec le père – qui va prendre le plus de place – intervient ; « j’ai encore besoin de mon père, c’est trop tôt, et je n’ai pas beaucoup parlé de ma relation avec ma mère, je n’en suis pas encore là ». L’ouverture d’un espace pensable pour ses vœux parricides constitue un apport conséquent, nécessaire avant que de pouvoir investiguer le champ plus archaïque de l’imago maternelle.

 

Conflits psychiques et fonction paternelle à l’adolescence

On pourrait penser sa décision d’arrêter la psychothérapie comme une forme de défense contre des angoisses plus primaires, notamment contre le changement dans les réaménagements propres à l’adolescence. Le père comme objet d’étayage identificatoire est encore nécessaire, et le fait de pouvoir parler sa décision et de s’y tenir renvoie aussi à un moment de saisissement individuant ; il expérimente ainsi le meurtre dans sa dimension symbolique, dans une destructivité – faire disparaître le psychothérapeute – tolérable par rapport à ses visions meurtrières initiales. La relation avec les filles comme avec sa mère reste en suspens, mais le bout de chemin accompli semble de bon augure pour dépasser et tolérer ce qui l’inquiétait tant : que ses fantasmes meurtriers, parricides et matricides, ne viennent à s’accomplir. On peut sans doute reprendre ici D. W. Winnicott lorsqu’il énonce : « Nous espérons tous que nos patients en auront un jour fini avec nous, qu’ils nous oublieront et découvriront que la vie est elle-même une thérapie qui a un sens. » (1975, p. 122.)

 

Coulissement des places dans le lien père-fils
La situation de Jean indique qu’il existe une transmission entre générations d’expériences d’objet, représentée par la place du père dans la psyché de Jean. La question de l’écart s’ouvre au moment de l’adolescence : est-il suffisant pour permettre aux fonctions différenciatrices paternelles d'être opérantes ou cet écart est-il écrasé par un rapproché incestueux dont Jean serait à la fois l’acteur et l’objet ? Une des fonctions du père, c’est de garantir l’équilibre entre séduction et interdiction, en introduisant des enjeux de filiation et de transmission.
Jean signale ainsi une des fonctions du père, celui qui protège : son père lui a interdit d’attaquer la mère en sa présence. Le père ne fait pas que protéger la mère de la haine de l’enfant, ou lui donner des limites quant à l’expression de cette haine : il constitue une figure qui, en passant des coulisses au-devant de la scène, endosse une part de la haine initialement centrée sur la mère.
S. Freud relie l’état de dépendance infantile absolue avec la nostalgie du père ; le seul autre besoin d’origine infantile aussi intense est celui de protection par le père (1930). Protéger est une fonction paternelle essentielle, car elle permet d’imposer des limites qui séparent mère et enfant tout en les contenant ensemble, c’est-à-dire en les liant. Pour S. Freud, de façon implicite, le père actuel est l’obstacle réel qui de nouveau érige la barrière contre l’inceste, incluant la prescription d’interdits ; mais la fonction de contenance implique aussi le holding psychique qui relie mère et enfant, de sorte que les fondements originels de la triangulation sont portés sur le plan représentationnel par le père : pas de mère sans bébé, pas de bébé sans relation père-mère, etc. Sans nier l’impact de la « parentification » des enfants de parents divorcés, nous sommes maintenant du côté du lien parent-bébé, à savoir ce que remobilise l’adolescence pour le père comme pour le fils, troublant le jeu des places et des fonctions de chacun.
Le bébé crée l’objet de satisfaction, sur la base des satisfactions sensorielles dans la rencontre avec l’objet. Par son omnipotence magique, l’enfant crée son parent, au point de se sentir le parent de son propre parent : c’est un parent trouvé-créé engendré par l’enfant. Ce n’est pas seulement le nid aux bébés (Meltzer) qui est donc reconvoqué par l’adolescence – le bébé perçoit son père comme un des bébés de la mère –, mais la toute-
puissance magique des désirs, quand l’inversion des origines peut organiser le fantasme de permutation des places : le bébé-père qui se déprime et provoque sa colère, Jean le parent qui donne à son père de quoi l’apaiser en répondant à sa demande : se mettre en colère contre lui pour créer une distance suffisamment bonne, où chacun peut restaurer sa place effective. Comme C. Bollas (1989) l’indique, les adultes régulent et modulent les données sensorielles du bébé pour qu’il puisse les assimiler ; l’enfant s’identifie à cet aspect transformationnel de la fonction parentale, susceptible de modifier ses expériences de souffrance. Les expériences sensorielles peuvent ainsi être qualifiées grâce au potentiel transformateur de la fonction parentale intériorisée : symbolisation, activité créatrice, mise en représentation, autant de moyens de surmonter sa souffrance ou de lui donner un sens. Le bien-être de l’enfant dépend de ses capacités précoces de symboliser des éléments essentiels de la relation parent-enfant, capacités qu’il peut utiliser par la suite.
Lorsque D. W. Winnicott énonce que, dans la mère, il comprend toujours le père, deux interprétations sont envisageables : la mère implique psychiquement la présence du père même si celui-ci est dans l’ombre pour l’enfant ; ou bien il y a dans la mère un père qui vit, le sien (avant que cela puisse être le père de l’enfant). Pour Jean, c’est le langage du père de la mère qu’il a perçu comme différenciateur dans le couple qu’il forme avec son père. L’œdipe négatif de Jean, dans sa dimension orale et phallique, peut être envisagé comme un paravent contre le risque représenté par l’œdipe pubertaire impliquant des désirs incestueux et parricides (incluant le matricide).

 

Identification au père et fantasmes de « dévoration »
Une des façons de relire le travail de S. Freud consiste à repérer l’évolution de sa pensée concernant le lien père-fils. Jean associe sur des souvenirs ou rêves qui renvoient à une crainte de dévorer, crainte toujours située dans la lignée maternelle. Pourtant, dans l’analyse de « L’Homme aux loups » (1918), S. Freud confirme l’idée d’une identification primordiale au père de la préhistoire personnelle en affirmant que, dans ce cas, et donc en potentialité dans tous les cas, c’est le père qui aurait été le premier amour de l’enfant ; c’est à lui que l’enfant semble d’emblée amoureusement fixé, ce que Freud ne peut expliquer que par un obscur caractère de sa constitution sexuelle congénitale. Lorsque, ultérieurement, il reprend ce cas, il persiste à mettre l’accent sur l’angoisse d’être dévoré par le père, qu’il finit par attribuer originellement à des sources maternelles : « Jusqu’ici je n’ai rencontré que chez des hommes l’angoisse d’être dévoré ; elle est liée au père, mais résulte probablement de la transformation de l’agression orale dirigée contre la mère. On peut dévorer la mère de laquelle on s’est nourri ; le père ne peut être le motif d’un tel désir. » (1931, p. 130.)
Rappelons aussi que, lorsque Freud cite un patient qui a développé, à partir du Petit Chaperon rouge, une phobie des loups, il associe le loup à un déplacement de l’angoisse liée à l’ambivalence vis-à-vis du père (1916-1917). Il se demande alors si ce type de conte a un autre objet que de délivrer un contenu secret, celui de l’angoisse infantile à l’égard du père. Ce père avait pour habitude de gronder avec tendresse son fils en lui disant : « Je vais te manger », rappelant le jeu similaire de Jean avec son père.
S. Freud évoque enfin une patiente qui fit le récit de ses deux fils qui ne parvenaient pas à aimer le grand-père, car celui-ci, quoique tendre avec eux, aimait leur faire peur en leur disant qu’il allait leur ouvrir le ventre, fantasme dont on peut croire qu’il touche à la transmission transgénérationnelle des vœux infanticides dont les contes pour enfants sont si souvent représentatifs. Le plus dur sacrifice que la société exige concerne la limitation de l’agressivité et des pulsions d’agression. Mais le moi n’est pas à l’aise s’il doit ainsi être sacrifié aux besoins de la société, s’il doit se soumettre ; c’est une continuation du dilemme manger ou être mangé (Freud, 1932).
C’est par l’identification secondaire qui s’installe in fine à l’adolescence que l’adolescent fait disparaître son père sans avoir besoin de le tuer. L’identification répond aux deux courants affectifs : la satisfaction de l’amour envers le père par l’acquisition de ses qualités ; l’accomplissement des tendances hostiles par une identification par incorporation cannibalique. « Désormais, c’est lui qui est le père admiré et éminent » (Freud, Bullit, 1930-1938, p. 102), le père ayant été assimilé-mangé-tué-aimé par l’identification secondaire. L’identification cannibalique exprime l’agressivité envers le père réel et de ce fait détruit le père idéal.
Autrement dit, l’intériorisation du père passe par une identification orale dévoratrice qui prend la forme de l’identification à l’agresseur-« interdicteur ». C’est ce travail d’introjection paternelle comme anticipant la tiercéité séparatrice qui court de la petite enfance jusqu’à la fin de la postadolescence.

 

Penser la séparation père-fils à l’adolescence
P. Gutton (2000) évoque l’« adultité » comme la conséquence d’une séparation-individuation suffisamment bonne. À partir de S. Freud, les psychanalystes s’accordent à considérer que le processus de désidéalisation de l’objet représente l’aspect le plus douloureux et le plus bouleversant du processus d’adolescence. C’est le point de vue que reprend C. Chabert lorsqu’elle évoque la fin d’adolescence « comme une mise à l’épreuve insoutenable de la capacité de se défaire des figures parentales, notamment dans leurs incidences idéalisantes » (2000, p. 377). Dans ce mouvement de dégagement s’instaure pour le fils la désidéalisation de la figure paternelle, représentant un parricide symbolique.
Mais, ici, plutôt que d’insister sur la résurgence du père œdipien à l’adolescence, on peut attirer l’attention sur le rôle, moins exploré par la psychanalyse, du père préœdipien. Ainsi, P. Blos (1985) montre qu’une trop grande proximité relationnelle et affective du père envers son fils relève d’une séduction qui renvoie à la gratification de sa « faim d’objet » concernant son propre père. Cette appétence relationnelle pour le père à travers le fils se répète à travers trois générations par le biais d’une intense relation de séduction érotisée. P. Blos rend compte du cas d’un père qui obtient un plaisir excessif aux soins apportés à son fils, celui-ci réagissant en allant toutes les nuits dans le lit conjugal, du côté du père et à l’écart de la mère. L’enfant répond ainsi au désir inconscient d’intimité corporelle et émotionnelle de son père, qui avait été privé de tout contact affectif avec son propre père durant sa prime enfance. Il s’agit alors d’assouvir sa faim d’objet préœdipien. Lorsque le patient fit ce lien dans l’analyse, l’enfant put alors entendre l’ordre de rester dans sa chambre.
Il ne s’agit pourtant pas d’invalider l’importance du père œdipien, mais de donner une place centrale à la relation orale père-fils et à sa résolution dans la fin d’adolescence. Son échec aboutit à la névrose adulte. La névrose de l’homme prendrait son origine dans la non-résolution du complexe préœdipien père-fils, qui n’a pu être résolu à passer par l’adolescence.

 

Conclusion

Au moment où on nous parle sans cesse de la carence paternelle dans ses fonctions symboliques d’accompagnement et d’étayage narcissique des enfants devenus adolescents, on peut proposer une sorte d’envers du décor : la relation de proximité réelle et fantasmatique dans le lien père-fils comme une autre source de troubles potentiels. Comme le montre le cas de Jean, le fils adolescent aîné réactive les failles du père, dont la partie œdipienne constitue la partie secondarisée, sorte de cache-misère aux fragilités narcissiques de la relation transgénérationnelle dans la lignée paternelle.
Dans la pensée de S. Freud, l’adolescent re­présente une figure mythique de l’originaire. L’adolescence potentialise les désirs meurtriers de la petite enfance, et fait revenir par les actes ou les fantasmes de l’adolescent les enjeux primaires du lien père-fils. Cependant, le fantasme originaire n’apparaît que lorsque l’acte ou l’action psychique est venu le révéler, dans son actualisation et ses effets après-coup. Cette dynamique interne participe du travail de re-familiarisation avec les désirs incestueux et parricides.
Cette élaboration du processus permet l’accès à la subjectivation, dans un parcours où l’adolescent est à la fois le messager et l’acteur, notamment dans le lien père-fils. En ce sens, en lien avec la clinique, la phylogenèse partage avec les mythes fondateurs de la théorie psychanalytique, Laïos, Œdipe et Narcisse, le point d'articulation suivant : l’apparition du fantasme originaire est intriquée dans ce que l’adolescence déclenche et dévoile : le désir pédophile de Laïos envers Chrysippos, le meurtre de Laïos par Œdipe, ou encore la mort de Narcisse fasciné par son image. Séduction, meurtre parricide, captation narcissique, autant de fantasmes originaires qui se déplient, dans les mythes comme dans le récit phylogénétique. On peut comprendre ces mythes selon une double valence : ils constituent un révélateur des enjeux infantiles encryptés en chaque adolescent ; ils représentent également les enjeux propres au processus d’adolescence. ■

Pour citer cet article

Houssier Florian  ‘‘L’adolescent et la relation père-fils dans les générations‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/l-adolescent-et-la-relation-pere-fils-dans-les-generations

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