Dossier : journal des psychologues n°253
Auteur(s) : Weismann-Arcache Catherine
Présentation
Forte de sa pratique de psychologue auprès d’enfants dyspraxiques et-ou à haut potentiel, Catherine Weismann-Arcache nous éclaire sur les disparités entre le WISC-III et le WISC-IV, ainsi que sur les conséquences que ces modifications induisent sur ce type de population. Elle nous invite à approfondir et compléter cette nouvelle version au moyen d’autres outils, afin de redonner une consistance clinique à ce test qui semble avoir glissé vers des tendances purement diagnostiques.
Mots Clés
Détail de l'article
La mesure de l’intelligence n’échappe pas à son temps, et les théories de l’intelligence fleurissent, bien arrosées par les chercheurs de tout horizon. Le WISC-IV appartient au XXIe siècle, siècle de l’image, de la vitesse et de la démultiplication des transmissions, et D. Wechsler aurait peut-être bien du mal à reconnaître la dernière-née de ses échelles. Cette quatrième version relègue ainsi Langage et Manipulation à l’arrière-plan pour promouvoir le Raisonnement perceptif, la Vitesse de traitement des informations ou encore la Mémoire de travail qui y occupent une place tout aussi importante que l’indice de Compréhension verbale. Ces indices n’appartiennent pas aux référents de la psychologie clinique qui avait dégagé des repères épistémologiques en termes d’image du corps et de discours du sujet. Face à cet objet nouveau et parfois énigmatique, les psychologues cliniciens s’interrogent : comment rendre compte de la dynamique pulsionnelle et défensive qui sous-tend toute forme d’opération mentale chez l’être humain ? Une première approche de cet instrument nouveau et moderne pourrait s’appuyer sur une analyse clinique comparative entre les indices du WISC-IV et ceux du WISC-III. Je propose de fonder cette comparaison sur mon expérience auprès de sujets dyspraxiques et-ou à haut potentiel.
Les dénivellations du fonctionnement mental
Ces sujets ont, au WISC-III, des profils très marqués qui autorisent l’effet loupe permettant de revenir du pathologique vers le normal, dans une démarche méthodologique freudienne.
Bien que les dénominations « haut potentiel » et-ou « dyspraxique » ne disent rien de l’organisation mentale des sujets en question, l’aspect dysharmonique ou, du moins, hétérogène du fonctionnement mental de ces sujets fournit un éclairage intéressant quant à la capacité d’un outil d’évaluer ce que D. Anzieu appelait « les dénivellations du fonctionnement mental ». Dans cette perspective psychodynamique, les enjeux et limites du WISC-IV peuvent être mis en évidence à partir des aléas du fonctionnement psychique de ces enfants. Les psychologues savent d’expérience que ces dénivellations du fonctionnement psychique se manifestent aux échelles de Wechsler en termes de décalages inter et intra-échelles. Il faut préciser que, toujours selon D. Anzieu, l’amplitude des mouvements pulsionnels est la condition nécessaire à la créativité, et que des études récentes ont également montré que cette hétérogénéité n’était pas toujours représentative d’un dysfonctionnement cognitif ou d’un trouble pathologique. Ainsi, J. Grégoire a relevé que, statistiquement, plus le QI s’élève, plus la différence QI Verbal-QI Performance augmente, au profit du Verbal, ce que j’ai moi-même constaté au cours de mes recherches avec les enfants à haut potentiel. On peut ainsi évoquer une hétérogénéité cognitive normale chez certains sujets à haut potentiel.
Cette hétérogénéité, quand elle est associée à d’autres éléments cliniques, peut également devenir un critère diagnostique de la dyspraxie au WISC-III avec un profil relativement typique : l’écart important Verbal-Performance se réalise toujours au profit du Verbal. Parallèlement, on constate une chute aux subtests Cubes et Assemblage d’objets, éventuellement à Complètement d’images, côtoyant de bons résultats à Similitudes et des résultats variables à Information, Vocabulaire et Arithmétique. Une investigation complémentaire avec des épreuves d’inspiration piagétienne met en évidence des difficultés en lien avec les données spatiales et les épreuves qui nécessitent d’aborder les transformations d’un objet. Je rappelle que le sujet dyspraxique éprouve une grande difficulté à se représenter l’espace et son corps en action dans l’espace, ce qui atteint certaines séquences gestuelles complexes qui ne s’automatisent pas, contrairement à ce qui se passe dans le développement normal. Ce défaut d’intégration des repères spatiaux qui se construisent à partir de la représentation du corps affecte également ce que l’on appelle les « conservations », qui concernent les quantités continues et propriétés des objets : substance, poids, volume, longueur. Ces sujets développent, par ailleurs, d’excellentes suppléances verbales et une facilité d’abstraction associée à un raisonnement logico-mathématique performant (du côté des quantités discontinues, de ce qui peut se dénombrer), alors que les supports imagés, figuratifs, les perturbent, car, ne pouvant les décrypter, ils ne peuvent leur accorder de sens. Cette aisance avec l’abstraction et la conceptualisation verbales se trouve aussi chez l’enfant à haut potentiel qui peut partager avec le dyspraxique la réticence aux activités nécessitant un traitement grapho-moteur, voire une simple manipulation.
De l’usage de l’intelligence…
Ce constat mérite une lecture clinique afin de dépasser le stade des catégorisations réductrices peu adaptées à la complexité du psychisme humain, incluant l’intelligence. Dans tous les cas, l’investissement du langage, souvent intense et précoce, s’inscrit de manière plus ou moins défensive par rapport à une incertitude concernant le corps propre et celui d’autrui, et ses limites. Dans le développement du petit enfant, le symbole précède l’abstraction selon un continuum qui vient s’inscrire contre la perte d’objet : il est plus facile de convoquer des représentations, des idées et des systèmes de pensée, que d’affronter la perte ou le refus de satisfaction provenant des objets réels qui ont pour caractéristique, comme toute réalité d’ailleurs, de résister ! C’est là le lot habituel du commun des mortels, mais il est très marqué chez les sujets à haut potentiel. Cette capacité de symboliser, de conceptualiser et d’abstraire, passe nécessairement par le langage qui permet de rendre présent, de représenter, ce qui est absent, en le nommant. Le niveau de langage renseigne ainsi le clinicien sur la qualité de la symbolisation et, plus largement, de la mentalisation. Le registre de la mentalisation couvre un champ clinique large : depuis une expression factuelle et pauvre, jusqu’à une expression dont la polysémie témoigne de l’épaisseur fantasmatique, voire de la surcharge fantasmatique, ce qui n’exclut pas les ratés du discours, témoins de la perméabilité psychique, ou, au contraire, une expression verbale très intellectualisée et coupée des affects.
Cette perspective décuple l’intérêt de subtests tels que Similitudes, Vocabulaire, Information et Compréhension qui permettent d’appréhender à la fois l’investissement des connaissances et le jeu possible avec une aire transitionnelle commune au psychologue et au sujet, adhésion à un espace partageable à la fois interne et externe. Car il y a du « faire semblant », du « comme si » dans cet échange rythmé de questions-réponses entre deux sujets, dont l’un doit faire comme si l’autre ne savait pas, tout en acceptant l’asymétrie d’une relation qui renvoie à la différence générationnelle. Les cliniciens expérimentés savent combien ce plaisir de fonctionnement, sans crainte démesurée de l’ignorance ou de l’échec ponctuel, est un préalable nécessaire à la sublimation chez les enfants et adolescents qu’ils rencontrent. Le subtest Information du WISC-III était particulièrement éclairant de ce point de vue, et les échecs pouvaient être mis en lien avec une thématique liée aux repères temporels ou encore à une problématique corporelle (certaines questions concernant la connaissance du corps donnant parfois des résultats surprenants mais révélateurs d’une distorsion de l’image corporelle ou d’une intégrité menacée). Ce subtest est devenu facultatif et n’entre plus dans le calcul de l’indice de Compréhension verbale, mais il est toujours possible de le proposer.
Ce n’est pas le cas des subtests Assemblages d’objets et Arrangements d’images qui ont été éliminés de la nouvelle version WISC-IV. Ces subtests renvoyaient respectivement aux représentations corporelles et à la capacité d’organiser une séquence temporelle et, surtout, d’établir des relations entre des images évoquant des situations relationnelles. Ces deux subtests nécessitent de pouvoir donner un sens à des stimuli visuels et même d’anticiper ce sens afin de les organiser. L’échec à Assemblage d’objets faisait partie des signes discriminants pour la dyspraxie. Il était également révélateur des surdons dysharmoniques et essentiellement défensifs. De ce fait, il semble que le WISC-IV masque l’hétérogénéité Verbal-Performance que l’on ne retrouve pas dans la comparaison Compréhension verbale/
Raisonnement perceptif qui ne comportent que trois subtests chacun. De ce point de vue, l’échelle Raisonnement perceptif est nettement moins discriminante, puisque Cubes demeure le seul subtest engageant la manipulation et la motricité. Cette indifférenciation s’accentue pour les sujets dyspraxiques ou à tendance dyspraxique qui ne peuvent plus être diagnostiqués à partir de l’écart entre les indices Compréhension verbale et Raisonnement perceptif.
Dès lors, comment lire le WISC-IV avec de tels sujets ?
Concernant les enfants à haut potentiel, on peut considérer qu’ils se trouvent avantagés par l’homogénéité apparente des échelles Compréhension verbale et Raisonnement perceptif. Cependant, il subsiste des écarts que j’avais déjà relevés au niveau de l’indice Vitesse de traitement qui est régulièrement effondré, notamment en ce qui concerne le subtest Code. Cette chute à Code est constatée dans des recherches à grande échelle. Les facteurs mobilisés pour la Vitesse de traitement sont corrélés à l’aptitude cognitive, à l’attention, à l’apprentissage ; or, les sujets à haut potentiel en situation de réussite scolaire obtiennent des résultats très moyens à ce subtest, et notamment à l’indice Vitesse de traitement, ce qui est également constaté dans le groupe contrôle de référence du WISC-IV. Il faut donc invoquer d’autres facteurs, et notamment la nécessité de se soumettre à un modèle, à un cadre imposé par l’adulte, qui autorise peu d’autonomie, ou à la toute-puissance de la pensée ; ainsi, l’apprentissage systématique est refusé par les enfants à haut potentiel qui n’en voient pas l’intérêt. Dans une moindre mesure, on trouvait de manière similaire une baisse de l’efficience au subtest Mémoire des chiffres qui exclut également toute forme de raisonnement pour faire appel uniquement aux capacités de rétention mentale.
Le WISC-IV propose ainsi un indice Mémoire de travail qui comporte, en plus de Mémoire des chiffres, une Séquence lettres-chiffres : il s’agit de répéter des chiffres, dans l’ordre, puis des lettres dans l’ordre alphabétique, après que le psychologue les a énoncés dans le désordre et en mélangeant lettres et chiffres. Tâche persécutante s’il en est, et dont le psychologue peu familiarisé avec le test prendra toute la mesure en tentant d’expliquer la consigne ! Néanmoins, sur le plan clinique, cette épreuve permet sans doute d’évaluer la résistance à la frustration, en plus des capacités de représentation mentale et de la mémoire de travail. Le manuel du WISC-IV précise que la mémoire de travail est la capacité de « conserver temporairement des informations en mémoire, de réaliser certains traitements et certaines opérations sur ces informations et de produire un résultat ». Ce que je traduirai sur le plan clinique par une mise à l’épreuve des limites du sujet, de la porosité ou de la bonne contention de ses barrières pare-excitantes, autrement dit ses capacités de rétention psychique. Une relative souplesse de pensée est également nécessaire pour pouvoir jongler mentalement avec des systèmes de référence différents et non signifiants, lettres et chiffres.
Ce tassement de l’écart entre les performances gestuelles et les performances verbales et conceptuelles prive le WISC-IV de critères suffisamment discriminants pour le repérage de la dyspraxie. Il est possible, cependant, d’utiliser un autre axe de comparaison que ceux qui s’imposent à partir des indices proposés pour évaluer au mieux les modalités de raisonnement d’un sujet. Je propose de confronter les trois subtests Similitudes, Identification de concepts et Matrices. On obtient alors une sorte d’échelle de la pensée catégorielle, qui rappelle celle des Edei (Échelles différentielles d’efficiences intellectuelles) de Perron-Borelli. Les capacités en raisonnement s’y présentent selon trois modalités :
l Similitudes qui appréhende la pensée catégorielle verbale : il s’agit d’abstraire des critères communs à deux objets, en excluant les différences, ce qui nécessite un fonctionnement cognitif nuancé ayant dépassé la pensée par couple et les oppositions en tout ou rien qui s’y attachent. La notion de semblable doit succéder à la problématique de l’identique et du différent, caractéristique d’une pensée en tout ou rien qui spécifie la pensée du jeune enfant ou de certaines pathologies mentales.
l Identification de concepts mobilise aussi la catégorisation, mais à partir d’images figuratives pour lesquelles il faut découvrir une classe d’appartenance commune. Ce subtest est donc sous-tendu par le langage, mais la prégnance de l’image ou encore ce que l’on appelle la « dépendance au champ », peuvent inhiber la pensée des sujets dyspraxiques perturbés par les données figuratives visuelles. Il semble que, chez ces sujets sensibles à l’impact de la réalité externe, les images facilitent la projection et appellent sur un mode défensif le refoulement qui permet de n’y rien comprendre ou de n’y rien voir. Les sujets dyspraxiques ont d’ailleurs bien du mal à « déchiffrer » les images, questionnant le psychologue sur la nature énigmatique des images montrées. Pour d’autres, c’est l’adaptation à la réalité qui est alors mise en cause. Ce subtest pourrait peut-être remplacer Complètement d’images, car il semble mobiliser les mêmes facteurs, bien que plus saturé en raisonnement. Le raisonnement permettant cependant de bonnes compensations chez les sujets dyspraxiques, on pourrait s’attendre à trouver à ce subtest des résultats fluctuants en fonction des suppléances mises en place. C’est déjà ce qui se passait avec Cubes, à la fois saturé en facteur spatial et en raisonnement.
l Enfin, le subtest Matrices analogiques, qui entre dans l’indice Raisonnement perceptif, cherche à évaluer le raisonnement indépendamment du langage. Il comporte quatre types de matrice qui sollicitent la classification, le raisonnement analogique, le raisonnement sur séries et le complètement de structures dénombrables ou continues (longueurs) ; ces derniers éléments peuvent servir le diagnostic de dyspraxie, mais le manuel du WISC-IV ne précise pas à quelle catégorie appartient chaque item, ce qui est dommage, car cela permettrait d’analyser les erreurs de manière fine.
Il n’en demeure pas moins que cet indice supplémentaire, que l’on pourrait nommer « lndice d’homogénéité du raisonnement » à la manière de B. Gibello pour l’Échelle de pensée logique, invite à départager le poids ou l’apport du langage dans la pensée logique, ainsi que l’autonomie de la pensée plus ou moins indépendante de la réalité externe et de son impact fantasmatique.
À propos d’impact fantasmatique, je dirai un mot du subtest Barrage, pour lequel il faut barrer des images d’animaux parmi d’autres images : une fillette passionnée d’équitation s’est exclamée au moment de la passation de ce subtest : « Oh non, je ne pourrai pas barrer des chevaux ! » Il est certes difficile de prévoir le caractère phobogène de certaines épreuves, mais il est intéressant de le prendre en compte. R. Zazzo, en son temps, avait étudié attentivement les modalités relationnelles en jeu lors d’une épreuve de barrage chronométrée : il avait constaté qu’en faisant varier l’attitude de l’examinateur, il obtenait des résultats différents chez les sujets sensibles à l’étayage ou à son défaut. Ce qui montre finalement que l’approche clinique ne dépend pas du matériel, mais, certainement, comme l’écrivait R. Perron, de la valeur du psychologue qui l’utilise !
Sauver la clinique…
Au bénéfice du WISC-IV, j’ajouterai cependant que ce test présente un intérêt majeur : il engage le clinicien à recourir à d’autres tests pour le compléter et l’approfondir. Le bilan psychologique complet et approfondi se voit ainsi réhabilité par des voies inattendues et non moins impénétrables !
Je conclurai en insistant malgré tout sur la difficulté à maintenir une approche clinique avec des instruments qui tendent à répondre à des tendances diagnostiques actuelles et réductrices. Ainsi, il est sans doute aisé de proposer un diagnostic d’hyperactivité et-ou de troubles de l’attention avec le WISC-IV, mais le concept d’une intelligence à la fois complexe et globale cher à D. Wechsler s’y perd au profit d’un découpage en indices parfois redondants. Ces cinq indices, construits sur les mêmes principes statistiques que le quotient intellectuel, ne méritent-ils pas les mêmes remontrances que les trois QI précédemment renvoyés pour mauvaise conduite ? La bonne conscience (publicitaire ?) jouant sur la critique d’un QI souvent mal utilisé et sur la culpabilité toujours latente des psychologues, dès qu’il est question d’intelligence, ne suffit pas à réduire leur embarras face aux nombreux calculs nécessités par la nouvelle version. Mais, au jeu des chiffres et des lettres, les chiffres ne l’emportent pas toujours, et gageons que psychologues et chercheurs sauront bien redonner ses lettres de noblesse à un bilan psychologique qui permette d’appréhender « les relations avec le conflit, la vie, tout ce que j’aimerais appeler psychologie clinique » (Freud, 2005, p. 244).