Dossier : journal des psychologues n°254
Auteur(s) : Gueniche Karinne
Présentation
Si la psychologie a été introduite dès la fin des années cinquante à l’hôpital, ce n’est que dans les années soixante-dix que le statut de personnel hospitalier reconnaît au psychologue une place en service de pédiatrie. Essentiellement sollicité comme testeur au départ, il est aujourd’hui attendu auprès de l’enfant malade, de sa famille et du personnel soignant, pour mettre des mots sur les maux. Histoire, enjeux et perspectives de cette pratique.
Détail de l'article
Pour l’enfant, la maladie peut être un langage. Elle constitue parfois le seul moyen inconscient et involontaire qu’il possède pour se faire entendre et peut ainsi être une décharge d’agressivité, mais aussi une demande de réparation ou un appel à l’aide. Grâce à la maladie, quelle que soit la part respective de l’organique et du psychique, certains besoins essentiels, tel celui d’être aimé pour soi, c’est-à-dire pour son corps et à travers celui-ci, cherchent à être satisfaits.
Albert Cohen (1978) n’écrit-il pas : « Et moi aussi je suis heureux d’être un peu enrhumé, parce que Maman reste plus longtemps avec moi. Comme j’aimais être malade au temps de Maman rassurante. Maintenant, à quoi bon être malade, puisqu’elle n’est plus là. »
C’est de ma place de psychologue clinicienne, intégrée dans une unité de médecine pédiatrique d’endocrinologie et de gynécologie à l’hôpital Necker-Enfants-malades, et de psychanalyste que je vais introduire cette réflexion(*). Mon objectif est de retracer brièvement le chemin parcouru par les cliniciens depuis le début de leur collaboration avec des équipes médicales et soignantes, en pédiatrie notamment, et d’articuler les enjeux associés à cette relative nouvelle pratique aux perspectives et autres ouvertures cliniques et de recherche.
Bref historique
La psychologie, toute jeune discipline, est introduite en France à l’hôpital général depuis plus d’une cinquantaine d’années. En 1958, Jean Bernard demande à Nicole Alby (première psychologue à avoir exercé en pédiatrie) une étude sur les enfants leucémiques : « Puisque nous les mettons en rémission, nous devons connaître le retentissement des traitements sur eux, leur milieu familial », lui lance-t-il. Ainsi sont posées les caractéristiques de la fonction du psychologue clinicien, qui seront définies trente ans plus tard, en 1985 (loi sur le titre de psychologue) : progrès thérapeutiques, effets sur les patients, les soignants, et nécessité de la formation et de la recherche.
Ce n’est qu’à partir de 1973 que les psychologues à l’hôpital, à la faveur de leur nouveau statut de personnel hospitalier, entrent véritablement dans les services de pédiatrie. Là se sont succédé des cliniciennes comme Nina Rausch de Traubenberg, Nicole Alby ou encore Colette Pericchi (pour ne citer que les plus connues) ; Ginette Raimbault et Françoise Dolto (certes psychiatres, mais aussi psychanalystes) – aux Enfants-malades, à Paris – ont largement participé à la valorisation de notre place et de notre profession à l’hôpital général, et en pédiatrie en particulier. Notons que le statut du psychologue clinicien de la fonction publique hospitalière n’a été décrété qu’en 1991.
Dans ce cadre, le rôle du psychologue est multiple, complexe et toujours associé aux besoins nouveaux d’un hôpital et d’une médecine qui ne cessent d’évoluer. Le prix à payer pour guérir ou survivre engage une prise en charge centrée sur le corps au détriment de la souffrance psychique.
S’il intervient dans une perspective préventive, le psychologue se situe également auprès de l’enfant malade et de sa famille (parents, fratrie et même grands-parents) et de l’équipe dans laquelle il est intégré. Alors que les pathologies nécessitent une médecine toujours plus pointue, d’aucuns, des petites têtes blondes et de leurs parents, mais aussi des soignants qui prennent soin d’eux, ne peuvent échapper à l’angoisse, aux situations traumatisantes inhérentes aux pathologies traitées, à leur évolution, aux contraintes et aux risques thérapeutiques.
Du clinicien évaluateur (testeur) dans les unités de médecine pédiatrique, on est passé à des psychologues qui accompagnent la souffrance du petit d’homme et ses retentissements sur les soignants et ses proches. Il s’agit d’accompagner l’enfant dans sa maladie pour l’aider à rendre acceptable ce qui ne paraissait pas l’être, de faire exprimer ses craintes et ses peurs. Le retentissement psychologique des maladies somatiques graves, les implications psychologiques des interventions chirurgicales, celles des traitements nouveaux et parfois invalidants, exigent des psychologues une tout autre présence et une tout autre action.
La problématique du corps en tant qu’objet psychologique se trouve nouée là et, de fait, suscite un travail clinique et de recherche considérable à facettes multiples. À travers des expressions réelles et-ou imaginaires dans les étapes de développement et les états de souffrance, nous sommes parvenus à la conviction que l’espace corporel est également un lieu relationnel.
L’enfant et la maladie
Outre le fait d’avoir affaire à l’enfant malade et à sa famille, être psychologue clinicienne en pédiatrie suppose, pour favoriser les échanges transférentiels avec le petit d’homme et y prendre du plaisir, de faire parler l’enfant qui est en nous. Il s’agit de cet infans qui, loin de recouvrir notre enfance ou l’enfant que nous étions, continue souvent, à notre insu, à vivre et à parler en nous, et grâce auquel le lien à l’autre – et à l’enfant notamment – peut rester vivant.
Le psychologue clinicien en pédiatrie a affaire à la psyché humaine et à la vie fantasmatique de l’enfant, quels que soient les événements de vie réelle que celui-ci est amené à traverser. Bien entendu, à l’instar de D. W. Winnicott (1951), un enfant malade tout seul ça n’existe pas ; il faut considérer les bras qui le portent et l’environnement familial, mais aussi social, scolaire, etc., dans lequel il évolue. De la même façon, d’ailleurs, un psychologue en pédiatrie seul n’existe pas. Il faut prendre en considération l’équipe médicale et soignante avec laquelle il travaille, échange et partage.
Chaque pathologie, et notamment chez l’enfant ou l’adolescent, trouve une résonance particulière en fonction de son histoire singulière, de l’inscription de la maladie dans son histoire et du sens qu’il donne à celle-ci et à l’organe atteint.
Ainsi donc, si la maladie en tant que telle intéresse peu le clinicien, il n’en reste pas moins que la nature de la pathologie dont est atteint l’enfant, son pronostic et ses répercussions sur sa qualité de vie, sont au centre de la fantasmatique qui nourrit les entretiens qu’il mène.
Lorsque cette pathologie impose une hospitalisation, le vécu de celle-ci pour l’enfant et sa famille vient également colorer l’imaginaire. Souvent, même si le médecin a posé un diagnostic de pathologie, tant que l’enfant n’est pas hospitalisé pour un bilan ou une thérapeutique, « il n’est pas malade ». Le séjour hospitalier, dans une inversion causale, peut venir signer l’existence de la maladie : « C’est parce que je suis hospitalisée que je suis malade », me disait une petite fille atteinte d’un syndrome de Cushing gravissime, dont les parents en niaient l’existence jusqu’à l’injonction médicale d’hospitalisation !
La psychothérapie à l’hôpital
L’enfant est toujours un enfant malade pour quelqu’un ; il n’est pas d’enfant malade seul. Là encore, la maladie s’inscrit toujours dans la relation que le petit d’homme tisse avec son environnement familial d’abord, puis social.
En pédiatrie, éventuellement spécialisée, les enfants peuvent être atteints de maladies chroniques lourdes et invalidantes, mais aussi de syndromes avec une symptomatologie moins lourde, mais un traitement contraignant nécessaire à la vie. Dans certains cas, la maladie est diagnostiquée dans les premiers mois de vie, et l’impact de l’annonce sur les parents peut avoir une incidence sur le développement psychoaffectif de l’enfant. Les parents sont souvent sidérés, traumatisés et déprimés par l’annonce d’une pathologie éventuellement grave et dont le traitement peut être envisagé « à vie » ; ils se sentent coupables et s’interrogent : « Qu’est-ce que j’ai fait ? », « Qu’ai-je mal fait ? », « Pourquoi nous ? », etc. De cette culpabilité peut naître une véritable élaboration psychique qui allège leur souffrance.
Pour être rassurés, ces parents ont besoin d’explications, et ce, d’autant qu’elles sont difficiles à trouver. C’est l’incertitude que les parents ne parviennent pas à supporter et à accepter. Parfois, ils ont du mal à adhérer au diagnostic des médecins, parce qu’ils ont déjà élaboré une explication étiologique, construit une théorie personnelle qui donne sens à la pathologie de leur progéniture.
Lorsque la parole peut s’échanger, elle a un rôle fondamental et déterminant. Nommer les affects permet de leur donner du sens en les liant aux représentations qui les ont suscités et de les rendre acceptables en les inscrivant dans la relation à celui à qui on parle. Les événements à effets traumatiques, comme la maladie, charge dynamique d’une relation transférentielle, sont souvent des moments propices.
Rester vivant…
En pédiatrie, si certaines pathologies soignées n’engagent pas le pronostic vital, d’autres sont graves et potentiellement mortelles. Mais toutes provoquent une profonde souffrance. Face à cette réalité parfois abrasive pour la psyché, il s’agit, tant pour l’enfant et sa famille que pour le clinicien, de rester vivant.
Dans cette perspective, l’écoute du psychologue tente de s’abstraire du poids éventuel de la maladie (sans faire abstraction de ses enjeux et de ses lignes d’évolution) et porte sur l’imaginaire.
Ce qui frappe dans ces unités hospitalières, c’est qu’au fond ce dont nous parlent l’enfant et ses parents n’est autre que ce que pourraient nous dire un enfant et sa famille tout-venant. Plus qu’ailleurs, le clinicien est là confronté à l’universalité des problématiques inhérentes à l’humain : culpabilité, dette, angoisse, agressivité, haine et, bien entendu, amour… à ceci près que, parfois, le corps vient là les révéler.
Même s’il est partie prenante des soins apportés à l’enfant, le psychologue à l’hôpital n’occupe pas une place similaire à celle des médecins, de la diététicienne, de l’éducatrice, de l’institutrice spécialisée ou encore de l’assistante sociale. Donner du sens, mettre des mots sur les maux et autoriser l’enfant à devenir acteur de son histoire et de sa maladie, tel est aujourd’hui le chemin emprunté par le clinicien engagé auprès de lui.
Ainsi, s’il ne répond pas à la demande de son patient qui veut être satisfait (« Aide-moi à grandir », « Fais-moi maigrir », « Je ne veux plus avoir le cancer », « Je ne veux pas mourir », etc.), il invite au déploiement de la mentalisation dans la temporalité.
En somme, le psychologue n’est pas un ma- gicien ; il inscrit la relation transférentielle dans le manque qui permet au petit d’homme d’advenir comme être de désir. ■
Note
* La substance de cette communication a été présentée lors du Colloque francophone « Psychologie et psychopathologie de l’enfant. 30 ans de clinique, de recherches et de pratiques », les 11, 12 et 13 octobre 2007, au Palais de la Mutualité, à Paris.