Dossier : journal des psychologues n°254
Auteur(s) : Guinot Brigitte, Schneider Benoît
Présentation
Brigitte Guinot et Benoît Schneider viennent d’être élus aux postes de futurs responsables de la Fédération française de psychologues et de psychologie (FFPP), dont ils prendront la présidence le 6 décembre 2008, à l’occasion du prochain congrès de la Fédération.
Ils dressent ici un panorama du contexte de leur élection, mais aussi et surtout de leurs positions sur un certain nombre de débats qui fleurissent actuellement autour, notamment, de la question d’un ordre des psychologues, de la psychologie à l’université ou encore du titre de psychothérapeute.
Détail de l'article
Le 8 décembre 2007, le Conseil d’administration fédéral (1) de la FFPP nous a désignés par élection comme les futurs présidents de la FFPP. C’est d’abord la valeur symbolique de cette candidature que nous soulignerons ici : un changement des statuts a permis que nous déposions la double candidature d’un praticien et d’un universitaire. C’est la première fois, dans l’histoire des organisations professionnelles de la psychologie, que l’indispensable articulation de ce qui compose notre identité professionnelle – la profession et la discipline – est revendiquée de façon aussi affirmée. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’en rendre compte ici à travers un discours pluriel.
Notre prise de fonction effective ne doit intervenir qu’en fin d’année civile, mais il faut souligner que nous travaillons d’ores et déjà de façon très impliquée avec l’actuelle équipe dirigeante, mais aussi avec la future secrétaire générale, Madeleine Le Garff, et une équipe renouvelée de nombreux chargés de mission qui atteste du dynamisme de la Fédération.
Les liens actuels entre la FFPP et ses organisations
Il faut revenir à la création de la FFPP en 2002. Voulue par nombre d’organisations de psychologues, elle avait comme ambition de les rassembler pour parler d’une seule voix : cependant, toutes n’ont pas adhéré… et certaines l’ont quittée…
Ce projet s’inscrivait dans la suite des États généraux de la psychologie, en 2001. Ces EGP avaient su démontrer l’importance du rassemblement pour prendre en compte les difficultés de la profession et de la discipline avec, pour beaucoup d’entre nous, l’espoir de les dépasser. D’où l’engagement fédéral. La réussite, cinq ans plus tard, n’est que partielle. Son parcours a été semé d’embûches, mais, malgré les conditions problématiques de sa fondation et son échec programmé par certains, la Fédération a su durer. Voire plus, puisqu’elle est aujourd’hui incontournable dans le paysage organisationnel français, tant du côté des organisations professionnelles que scientifiques. Les rapports de forces en présence sont modifiés, et l’on observe une dilution des champs d’exercice et de compétences. Du coup, ce qui n’a pas pu se faire ensemble se présente autrement : les organisations fondatrices qui ont quitté la FFPP ou qui n’y ont jamais adhéré doivent néanmoins trouver d’autres formes de travail plus en lien avec un exercice « sur le terrain ». Sont concernés un grand nombre de dossiers importants (déontologie, santé, formation, VAE…). Un travail interorganisationnel de réflexion et de mobilisation a ainsi pu se mettre en place, grâce auquel, progressivement, les objectifs de fond ont pris le pas sur les revendications identitaires. La FFPP n’a, quant à elle, jamais cessé de réclamer et d’encourager ce partenariat. Elle a été et demeure l’artisan permanent de cette volonté de travail unitaire. Nous continuons, au-delà, à vouloir faire de la FFPP un regroupement multiple, en nous appuyant sur ce que chacun apporte à partir de son objet propre, dans le respect d’une identité et d’une autonomie respectées, dans la recherche permanente des modalités organisationnelles et statutaires qui favorisent ces articulations. Les voies de la réflexion sont donc ouvertes, illustrées par les récentes modifications statutaires qui traduisent cette capacité d’évolution : à travers l’exemple de notre double candidature « praticien-universitaire » et de notre élection, nous posons l’idée du changement comme un élément incontournable pour l’avenir de la profession et de la discipline.
Quid d’un ordre des psychologues ?
Le débat sur la réglementation du code de déontologie, lancé il y a quelques mois, soulève une question complexe, et le climat n’est pas forcément serein, peut être parce que les hypothèses de travail cherchaient plus à régler des questions de territoire organisationnel qu’à traiter de la question de la déontologie. Le débat intervient à un moment où l’évolution de la profession – nous pensons au champ de la santé – nous amène à envisager une éventuelle définition des pratiques. Définition dont le degré de précision serait à examiner dans le cadre d’une nouvelle rédaction du code de déontologie. Les enjeux sont donc majeurs, et la pression due à un calendrier serré ainsi que les intérêts croisés ne contribuent pas forcément à temporiser des choix.
Si l’on veut aller vers une réglementation de notre déontologie, trois hypothèses, avancées comme des propositions, se dégagent des débats en cours. La création d’un ordre en est une, elle n’est pas nouvelle dans le discours, puisqu’on la retrouve à plusieurs moments de l’histoire de la profession, et ce, depuis 1950.
Une première hypothèse : l’État crée un organisme, rend obligatoire l’appartenance de tous les professionnels (les universitaires en sont donc exclus), définit des règles déontologiques, ainsi qu’une section disciplinaire présidée par un magistrat et composée de praticiens élus chargés de la discipline professionnelle.
Une seconde proposition, formulée par Roger Lécuyer (2), consiste à faire définir par l’État un arrêté mentionnant le code de déontologie des psychologues, annexé au décret d’application de la loi de 1985 portant sur le titre de psychologue. L’application de la loi est ainsi renvoyée aux tribunaux ordinaires.
La troisième voie aurait pu être l’extension du champ de compétences de l’actuelle Commission nationale consultative de déontologie des psychologues (CNCDP) fonctionnant sur le mode du contradictoire et débouchant sur des sanctions disciplinaires. La mise en place d’une telle solution implique un degré de structuration entre organisations qui n’existe pas à l’heure actuelle. La seconde hypothèse n’exclut cependant pas que l’on réfléchisse à une évolution des compétences de la CNCDP complémentaires à la seule action juridique. Jusqu’à présent, la FFPP n’a pas adopté de position sur la réglementation du code, même si, à titre individuel, certains se sont déjà exprimés (3). Le débat est en cours, et la FFPP sera amenée à faire un choix dans les mois qui viennent, après que chacune des organisations adhérentes et des coordinations régionales aura conduit son débat interne : pas de passage en force, mais un choix éclairé et dans un délai raisonnable. Retenons enfin que ce dossier amène les organisations de psychologues à travailler ensemble…
Psychologie et LRU
L’enseignement supérieur et, de façon spécifique, la psychologie se trouvent actuellement dans une situation de crise : l’évolution des flux, la question de leur régulation, la redéfinition des licences (avec l’orientation et l’insertion professionnelle dans les nouvelles missions de l’université), la fusion progressive des masters professionnels et recherche, les modalités et les instances d’évaluation et d’habilitation des diplômes et des équipes de recherche, la formalisation des référentiels de formation pour garantir le titre (y compris possiblement dans le cadre de la réflexion sur l’évolution du code de déontologie), la future certification européenne en psychologie (EuroPsy) délivrée par la Fédération européenne des associations de psychologues (EFPA)… C’est bien dans ce contexte que l’Association des enseignants-chercheurs en psychologie des universités (AEPU) a organisé une journée de réflexion, le 1er décembre dernier, autour de la loi relative aux « libertés et responsabilités des universités » (LRU), tout en considérant que l’ensemble des questions soulevées ne sauraient se réduire à cette loi. C’est sans doute ce contexte qui explique, au moins partiellement, l’intensité des polémiques de ces dernières semaines relatives à l’inscription institutionnalisée de référents théoriques de la psychologie. Tout en prenant en compte l’importance de tels débats, il nous faut souligner que l’objectif de la FFPP consiste d’abord à imaginer des voies nouvelles de travail au service de la discipline et de la profession : c’est dans ce contexte que nous cherchons, par exemple, à promouvoir une réflexion interinstitutionnelle originale en lien avec la conférence des présidents d’université (cpu), le ministère de l’Éducation nationale et les organisations professionnelles pour mieux faire prendre en compte la spécificité de la psychologie dans le cadre de la formation à l’université ; d’autres pistes sont en gestation, comme, par exemple, celle relative à la valorisation de la recherche.
Le titre de psychothérapeute
En ce qui concerne l’article 52 et l’impossible écriture de son décret d’application du fait de la rédaction contradictoire et paradoxale de cet article de loi, notre position est maintenant sans ambiguïté : il est urgent de réviser l’article 52 de la loi du 9 août 2004 qui doit intégrer une formation en psychopathologie clinique. Faut-il rappeler que certains lobbies psys ne donnaient pas cher de la peau des psychologues et de l’indispensable prérequis de la psychopathologie ? Cette position semble vouloir être partagée par d’autres organisations représentatives, ce dont nous nous réjouissons, mais il est nécessaire d’aller plus loin en clarifiant une compétence qui, jusqu’alors, allait de soi. La formation de haut niveau en psychopathologie est donc le préalable de tout candidat au titre de psychothérapeute : psychologues et non-psychologues doivent passer par cette étape naturelle de légitimation, dont les modalités doivent être précisées et offrir les garanties nécessaires.
Quant aux pétitions qui circulent sur Internet et qui laissent croire à un débat d’idées, nous y voyons plutôt l’expression d’un débat institutionnel avec des enjeux idéologiques et doctrinaux. Le risque majeur est de ne pas aboutir à une confrontation théorique, car elle seule pourra dégager des pistes de travail et de réflexion. Il n’y a pas lieu d’identifier la profession et la discipline à un seul discours théorique, quel qu’il soit ; c’est ce que nous appelons le « postulat de la neutralité théorique » au sein de la FFPP et qui est une des conditions de sa réussite, ce qui n’empêche personne de développer ses arguments et de les soutenir. Les prochains Entretiens de la psychologie pourront être un formidable moyen de confronter ces postulats et de discuter des suites à donner.
Les perspectives d’avenir
Les succès récents de grandes manifestations scientifiques (comme le récent colloque « Psychologie et psychopathologie de l’enfant »), l’annonce des prochains Entretiens francophones en juillet 2008, les projets en cours (une conférence de consensus sur l’examen psychologique de l’enfant, un colloque de psychogérontologie et une nouvelle édition de « Psychologie et psychopathologie de l’enfant »), le nombre de créations de coordinations régionales, la consultation croissante de notre site Internet, un bulletin électronique mensuel, Fédérer, qui ne cesse de recueillir de nouveaux abonnés et dont l’évolution est en cours, la visibilité accrue de la psychologie française dans les instances nationales et internationales, tant au niveau des organisations professionnelles que de la recherche du fait de la présence de la FFPP… autant d’exemples que nos prédécesseurs nous laissent en héritage. Malgré les difficultés nombreuses qui marquent la vie de la psychologie en France, nous ne nous engagerions pas dans cette coprésidence si nous n’avions pas la conviction de disposer d’une base solide à faire fructifier, l’assurance de disposer d’une équipe pleinement engagée pour le faire et la volonté d’un travail possible avec nos partenaires pour la réussite collective. ■
Notes
1. Instance de direction de la FFPP composée d’administrateurs délégués par les organisations affiliées ou des coordinations régionales.
2. Lécuyer R., 2007, « Ordre ou pas ordre des psychologues : y a-t-il une alternative ? », Le Journal des psychologues, 244 : 11-14.
3. Dans Psychologues et Psychologies, 2007, n° 194-195, et, dans le numéro spécial de Fédérer d’octobre 2007.