Dossier : journal des psychologues n°254
Auteur(s) : Haza Marion, Grolleau Emeline
Présentation
Face à l’isolement et au mal-être de certains jeunes en milieu rural, et au manque de professionnels dans ces contrées, un dispositif expérimental de consultation pour adolescents et jeunes adultes a été créé, il y a quelques mois, en Charente-Maritime. Les acteurs de ce projet nous font part de leurs constats et de l’intérêt d’un tel dispositif en matière de prévention et de soin.
Détail de l'article
En collaboration avec
Jean-Luc Douillard, Laurent Couteau et Lydia Mercier.
Présentation
E n milieu rural, le mal-être adolescent est aussi présent qu’en milieu urbain. Or, les praticiens du soin adolescent sont bien moins nombreux, voire inexistants, dans les campagnes. C’est à partir de ces constats qu’est né le projet « Lieux-dits », porté conjointement par l’association les Passagers du temps 17 (qui mène l’action de prévention du suicide en lien avec la coordination territoriale sud Charente-Maritime) et le service de pédopsychiatrie du centre hospitalier de Saintes, dont les services de consultation urbaine sont déjà saturés. Un projet novateur et expérimental, financé pour une durée de seize mois par le conseil régional dans le cadre de l’égalité de l’accès à la prévention et au soin, a pu voir le jour.
Le cœur de ce projet est de proposer des lieux de consultation et de soin, anonymes et gratuits, pour adolescents et jeunes majeurs, dans onze communes rurales autour de Saintes et, à partir de là, de repérer et de prendre en charge, le plus tôt possible, les jeunes en souffrance au plus près de leur lieu de vie. Enfin, l’extraterritorialité étant la condition sine qua non de l’ouverture d’une parole, nous avons tenu à ce que nos locaux se situent en dehors des établissements scolaires.
Afin de mener à bien cette mission, deux psychologues cliniciennes et deux éducateurs spécialisés ont été recrutés et travaillent en binôme. Les consultations sont menées individuellement. Cette spécificité d’un travail en binôme fait partie intégrante du projet et est certainement l’une de ses richesses, permettant ainsi de préserver un espace neutre dans lequel le travail est centré sur l’élaboration psychique des adolescents – l’autre intervenant pouvant faire le lien avec les parents ou les professionnels du réseau –, et d’échanger ensemble sur des situations parfois délicates, avant une prise de décision, par exemple.
Ce dispositif est destiné à trois types de population :
● Les adolescents en situation de mal-être plus ou moins manifeste.
● Les parents désirant rencontrer un professionnel pour de l’écoute, de l’information, du soutien, de la guidance.
● Les professionnels et bénévoles des associations et institutions avec lesquels nous avons tissé des liens.
Mais la viabilité d’un tel dispositif a nécessité de construire, développer et soutenir un véritable réseau entre les différentes personnes intervenant auprès des adolescents.
Le travail en réseau
● Rencontres préalables : Nous avons rencontré les différents partenaires pouvant être amenés à travailler avec les adolescents. Nous sommes allés présenter le dispositif aux différents services sociaux et judiciaires du secteur sur lequel nous intervenons, aux élus, aux autres lieux de consultation pour adolescents du département, aux différents services hospitaliers, ainsi qu’aux médecins généralistes et aux équipes éducatives des collèges des différentes communes concernées par le dispositif.
L’objectif de ces rencontres était de faire connaître le dispositif, d’exposer nos missions de soin de proximité, afin que ces personnes puissent nous adresser les jeunes ou bien pour que nous ayons un relais pour la poursuite du soin (pour des problématiques spécifiques ou des hospitalisations).
Au quotidien, nous gardons un lien avec les partenaires prenant en charge les mêmes adolescents que nous, par courrier, par téléphone ou lors de réunions de synthèse.
● La participation au réseau : Les quatre professionnels du dispositif « Lieux-dits » participent à plusieurs réunions :
◗ Les réunions avec les centres de consultation pour adolescents du centre hospitalier de Saintes, lors desquelles nous pouvons avoir des échanges cliniques sur les situations rencontrées.
◗ Le prs (plan régional de santé), réunion mensuelle regroupant les professionnels des différentes institutions travaillant auprès des adolescents, qui permet d’échanger sur nos pratiques ainsi que de renforcer les liens interinstitutionnels et interprofessionnels.
La prévention
● Les projets avec les établissements scolaires : Nous sommes intervenus dans plusieurs collèges auprès des élèves sur des thèmes variés, comme la prévention de l’alcoolisme, de la consommation de cannabis et des troubles du comportement alimentaire, par exemple. Ces interventions permettent de dédramatiser la rencontre avec le psychologue, de faciliter la rencontre et d’identifier les problèmes.
● Formation auprès des équipes : Nous proposons des informations sur l’adolescence auprès des divers professionnels en lien avec les adolescents et animons des soirées-débats à l’attention des professionnels sur des thèmes variés comme la prise de risque ou le développement psychologique. Cela permet d’insister sur les signes avant-coureurs, signes alarmants, d’un risque suicidaire, afin d’avoir des interlocuteurs en amont. Nous proposons des réflexions sur la façon de prendre en compte ces signes et sur les structures existantes pour orienter ces jeunes.
● Interventions auprès des parents : Ces interventions permettent de créer un nouveau contact, de dédramatiser certaines situations par identification et comparaison avec les situations des autres parents, de confronter leur histoire à celle des autres.
Le soin en milieu rural
Particularité des consultations en milieu rural
Même si les temps changent, il est encore très fréquent que des personnes qui souffrent s’empêchent de consulter parce qu’elles pensent que « les psys, c’est pour les fous », et qu’elles ne se considèrent pas, à juste titre, comme tels. Nous avons, par ailleurs, fait le constat que ces représentations étaient encore plus présentes dans le milieu rural, rendant d’autant plus difficile l’accès au soin dans les communes les plus éloignées des agglomérations.
S’ajoute à ces représentations relatives à la folie la question de la promiscuité. En effet, dans ces petites communes rurales, tout le monde peut voir l’adolescent pousser la porte du lieu de consultation, et ce, d’autant que nos locaux de consultation se situent au cœur des communes, comme dans les mairies, par exemple. L’anonymat n’est donc pas autant garanti en milieu rural qu’en milieu urbain. Toutefois, la présentation du dispositif comme étant anonyme et gratuit facilite l’accès à la consultation et permet de lever certaines résistances.
Ce qui est donc central dans cette clinique de l’adolescent, c’est de privilégier et de garantir la confidentialité des entretiens entre l’éducateur ou le psychologue et l’adolescent. Cela est clairement énoncé dès le premier entretien avec l’adolescent et-ou sa famille et rappelé quand le jeune élabore et aborde des thématiques délicates et douloureuses. La confidentialité est, en effet, l’élément essentiel qui permet la poursuite du soin et une prise en charge thérapeutique.
Spécificités des problématiques rencontrées en milieu rural
Après dix mois de rencontres de ces adolescents et de leur famille, nous faisons le constat d’une grande précarité économique et sociale dans ces campagnes. Le taux de chômage est élevé et le peu d’emploi existant propose de faibles revenus. Cette précarité est associée à l’isolement géographique de ces communes qui, pour certaines, sont dépourvues d’activités économiques, culturelles ou sociales. Pour y accéder, les habitants doivent parfois parcourir de nombreux kilomètres. L’isolement rend donc difficile l’accès aux activités sportives, culturelles ou de loisirs, pourtant si importantes à l’adolescence, puisqu’elles permettent d’appartenir à un groupe de pairs. Les propositions que nous pouvons parfois adresser aux jeunes que nous rencontrons (anpe, planning familial, par exemple) se heurtent aussi aux obstacles de l’isolement et du manque de mobilité : certaines familles n’ont pas les ressources nécessaires pour avoir un moyen de locomotion et la plupart de ces communes ne bénéficient pas de transports publics.
Pour pallier ce manque, notre équipe est itinérante. Cette mobilité permet alors de limiter la distance pour venir en consultation, et l’éloignement n’est donc plus la seule raison d’un arrêt de prise en charge.
Les problématiques adolescentes que nous rencontrons dans ces communes ne diffèrent pas de celles rencontrées en milieu urbain. Les principaux symptômes observés sont l’angoisse, les symptômes dépressifs, les idées suicidaires, les blessures auto-infligées, les tentatives de suicide, les troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie), les conduites addictives, les déscolarisations partielles ou totales, les comportements hétéro-agressifs, les conduites à risque, les fugues, l’entrée dans la psychose.
Malgré ces similitudes, nous pouvons pointer quelques particularités. L’angoisse de séparation, que l’on retrouve de façon normative chez tout adolescent, se trouve accentuée en milieu rural du fait de l’isolement décrit plus haut, rendant ce travail psychique encore plus difficile. Par ailleurs, nous faisons le constat que, bien souvent, plusieurs générations vivent sous le même toit ou à proximité. La promiscuité avec les parents et la difficulté de prendre de la distance avec la famille ne facilitent pas la prise d’indépendance psychique, celle-ci étant d’autant plus difficile que les déplacements nécessitent la disponibilité et l’accord des parents et que la dépendance économique peut s’installer dans le temps.
En outre, dans ces situations de promiscuité familiale et d’isolement, nous avons pu constater que de nombreuses situations révélaient un climat incestuel familial pouvant parfois aller jusqu’au passage à l’acte. Dans certaines familles, l’histoire se répète de génération en génération ; il est de notre ressort d’apporter un regard extérieur, d’injecter de la différence, d’apporter une ouverture, afin de briser une dynamique transgénérationnelle parfois délétère.
Nous relevons, par ailleurs, une grande proportion de suicidaires et de suicidants parmi nos consultants, ce qui corrobore les chiffres du Baromètre santé-jeune Poitou-Charentes 2005, à savoir un taux supérieur d’idées suicidaires et de passages à l’acte suicidaire en milieu rural chez les jeunes entre douze et vingt-cinq ans (Graphique 1).
Conclusion
L’intérêt de ce dispositif est de proposer des lieux de consultation au plus près des jeunes et de créer et renforcer les liens avec les autres professionnels.
En mai dernier, nous avons effectué un bilan chiffré de l’activité menée par le dispositif « Lieux-dits » depuis sa mise en place. Il en ressort les chiffres suivants : cent cinquante-six adolescents ont été reçus par les quatre professionnels, avec un pourcentage quasi égal de garçons et de filles. La majorité des jeunes accueillis avaient entre douze et seize ans et étaient scolarisés au collège.
La file active des services de consultation de Saintes n’a pas diminué pour autant depuis notre existence, ce qui montre que la plupart des adolescents que nous recevons dans ces communes ne seraient pas allés consulter si cette structure n’existait pas.
Dans ces consultations en milieu rural, les adolescents bénéficient d’un lieu où leur parole est prise en compte et où leur intimité psychique est garantie, et ce, au plus près de leur lieu de vie, sans qu’ils n’aient à se déplacer trop loin. Il est connu que lorsque les personnes qui peuvent aider sont trop loin, qu’elles sont presque inaccessibles, ceux qui ont besoin de cette aide n’ont parfois plus la force d’aller la chercher.
Mais ces propositions de prise en charge des adolescents passent également par notre capacité de créer et de renforcer les liens entre les professionnels qui interviennent auprès de ces jeunes, qu’ils soient parent, éducateur, enseignant, assistante sociale, conseiller principal d’éducation, médecin généraliste ou animateur de quartier.
Des évaluations sur la viabilité du projet ont lieu régulièrement et les résultats sont publiés de manière trimestrielle ; d’autres secteurs suivent cette expérience de près. Des demandes ont déjà été formulées pour conduire le même type d’action dans d’autres secteurs.■