La recherche sur les thérapies psychédéliques en psychiatrie a débuté aux États-Unis dans les années 1940, son acmé se situant dans les années 1960, avant leur interdiction au début des années 1970. Entre jugements moraux, choix politiques – le mouvement hippie vs la guerre au Vietnam –, les psychédéliques ont été délaissés à la suite d’abus dans le cadre scientifique et dans la sphère privée. Et si ces produits permettaient de guérir des formes graves de dépression ? C’est le postulat qu’interroge le podcast de la journaliste scientifique Mélissande Bry, diffusé sur Radio Nova.
Qu’est-ce que le terme « psychédélique » comprend ?
Les produits psychédéliques classiques sont les agonistes partiels des récepteurs sérotoninergiques 2A, comme la psilocybine des champignons hallucinogènes qui se trouvent dans la nature, la mescaline du peyotl (variété de cactus), la DMT (diméthyltryptamnie) de l’ayahuasca ou encore le LSD (acide lysergique diéthylamide), substance chimique inventée par Albert Hoffmann en 1943 à Bâle, en Suisse. Il faut différencier les psychédéliques des psychotropes. Ces derniers altèrent l’état de conscience et peuvent modifier l’activité psychologique et mentale.
Comment en êtes-vous venue à travailler sur ce sujet ?
J’étais spécialisée en biologie et en neuroscience. J’ai travaillé dans plusieurs laboratoires en recherche fondamentale et préclinique. J’ai toujours eu un intérêt pour l’exploration de la conscience humaine. Étant donné que je me sentais plus à l’aise dans l’explication des sciences qu’en laboratoire, j’ai décidé de devenir journaliste scientifique. Cela faisait un moment que je m’intéressais aux substances psychédéliques. J’ai donc commencé à lire des recherches et des publications. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il existe beaucoup de matériel scientifique. C’est à la suite d’une conférence portant sur les psychédéliques organisée par l’Instituto de investigaciones médicas Hospital del Mar (IMIM) de Barcelone, où je travaillais, que j’ai découvert leur potentiel thérapeutique. J’ai ensuite écrit un article dans le cadre de mon master « Audiovisuel, journalisme et communication scientifique », et j’ai eu l’occasion d’interviewer Sami Sergent, psychiatre et addictologue à la clinique Castelviel de Castelmaurou (Haute-Garonne), qui avait effectué sa thèse sur le sujet. De fil en aiguille, mes recherches m’ont conduit à la Société Psychédéliques Française, une association qui a été créée par Vincent Verroust, un historien des sciences. Un manuel en détaille les contours et effets.[1]
Quel est l’objectif de cette association ?
La Société Psychédélique Française délivre des informations sur ces substances, dans un objectif de vulgarisation, mais également à destination des professionnels de santé. Il ne s’agit en aucun cas d’inciter à la consommation, mais plutôt créer une communauté et mutualiser les informations. C’est à la fois un espace de discussion et d’apprentissage sur les psychédéliques.
Quel est l’objet de votre podcast ?
J’ai pris un mois pour réaliser des entretiens et des recherches sur un sujet que je savais sensible. Je souhaitais informer le grand public, ainsi que les médecins et les chercheurs, sans recréer une panique morale.
Comment s’est justifiée l’interdiction des substances psychédéliques ?
Les protocoles scientifiques n’étaient pas très réglementés dans les années qui ont suivi la découverte de ces produits : les chercheurs en consommaient eux-mêmes, et leur méthodologie était très floue. D’autre part, des figures ont été très médiatisés, comme Timothy Leary. Il était chercheur à Harvard, psychologue de formation. Il est allé trop loin en voulant s’affranchir des protocoles et il se mettait beaucoup en scène. Son projet, « Psilocybin Project », a mal tourné pour un étudiant. Le mouvement hippie, la contre-culture et l’opposition à la guerre au Vietnam ont participé à rendre indésirables les psychédéliques. Par ailleurs, dans les années 1960, dans le contexte de la guerre froide, les États-Unis craignaient que l’URSS utilise le LSD pour rendre les gens fous. Des rumeurs ont même été colportées, comme l’introduction par les soviétiques de drogue dans l’eau à New-York…Les États-Unis ont interdit le LSD et la psilocybine en 1966, et l’ONU en 1971, pour toute consommation, vente et exploitation médicale. Il y avait une peur manifeste, y compris du côté des chercheurs.
C’est un peu comme si on interdisait la morphine parce que certaines personnes en avaient un mauvais usage. Cela a fortement ralenti, et même stoppé les recherches sur les effets de la psilocybine sur les addictions et la dépression.
Pourquoi la communauté médicale ne s’emparent-elle pas davantage du sujet aujourd’hui ?
Il n’y a rien sur les psychédéliques dans les formations médicales, alors qu’il existe un corpus scientifique. Il faudrait créer des modules en psychiatrie et en psychologie. La peur que j’évoquais précédemment est aussi due à un manque d’informations. À cela s’ajoute des préjugés, selon lesquels le LSD contiendrait des molécules qui rendraient fous ou qui déclenchent des maladies psychiatriques. En réalité, on ne sait pas trop ce qui se passe au niveau du cerveau, les imageries ne permettant pas de comprendre leur impact neurologique.
Où en sont les recherches désormais ?
Il y a eu peu de recherches sur la mescaline. Récemment, en septembre 2022, l’Imperial College London a recommencé des études sur la DMT. L’hôpital Sainte-Anne va commencer des recherches sur la dépression sévère résistante aux traitements, en ayant recours à des dérivés de psilocybine. Ce programme, financé par des fonds publics et privés, ne devrait pas voir le jour avant 2024. Une entreprise, Compass Pathways, a d’ores et déjà déposé des brevets en créant un composite de psilocybine. Cette dernière n’est pas brevetable en tant que telle, puisqu’elle se trouve dans la nature. Le composite a passé la première phase de la FDA (Food and Drug Administration). D’autres recherches sont en cours, notamment à Nîmes, autour des crises suicidaires et des angoisses de fin de vie. Les limites des recherches fondamentales tiennent la plupart du temps au fait que les conditions de consommation de psychédéliques ne sont pas réalisées à l’extérieur, ce qui peut biaiser les résultats. Chaque consommation de psychédéliques est unique, selon le set (attentes, connaissances, thymie, bagage génétique, niveau de contrôle et personnalité de la personne qui en consomme), et le setting (lieu, compagnie, sentiment de sécurité et dose). L’expérience ne sera donc jamais la même, même en prenant la même substance et le même dosage. Nous n’en sommes encore qu’au début des recherches.
Guillaume Bouvy
Écouter le podcast sur le site de Radio Nova : https://www.nova.fr/news/la-renaissance-des-therapies-psychedeliques-2-209713-14-12-2022/
[1] « Les substances psychédéliques sont des composés issus tout aussi bien du monde vivant que de la synthèse chimique et ayant des propriétés psychotropes particulières. Elles se caractérisent par des effets sur l’esprit, pouvant être des modifications des perceptions sensorielles et de la conscience, des visions, des perceptions anormales pouvant être constatées et critiquées, tendant dans de rares cas vers des hallucinations, une modification de la cognition, une impression de dissolution de l’ego ainsi que la possibilité de déclencher des expériences spirituelles », peut-on lire en introduction de Psychédéliques, Manuel de réduction des risques, édité numériquement par la Société psychédéliques française, 2022.