Dossier : journal des psychologues n°230
Auteur(s) : Sultan Serge
Présentation
La pratique de l’examen psychologique clinique est une donnée essentielle qui caractérise l’activité professionnelle des psychologues cliniciens, dans la mesure où le diagnostic psychologique aboutit à une recommandation de traitement et à une indication thérapeutique adaptée. L’accent est mis ici sur les différents aspects qui conduisent le clinicien à réfléchir au plus près de la réalité du sujet.
Mots Clés
Détail de l'article
L’évaluation et le diagnostic n’ont de sens que dans l’utilisation concrète qui est faite des informations recueillies, notamment vis-à-vis du choix de l’intervention et de la stratégie poursuivie. Traditionnellement, les tenants d’une méthode d’intervention (fondée sur un système théorique) exigent que les techniques d’examen soient directement articulables avec ces méthodes (faisant appel au même système théorique). Si cette approche est, somme toute, logique, les récents développements sur la comparaison des effets des psychothérapies et l’émergence de thérapies dites « éclectiques » ont permis de dégager de nouvelles façons de considérer ce problème, d’une manière plus ouverte, questionnant nos choix théoriques, mais aussi en entraînant de nouvelles interrogations. Je propose ici de considérer cette question d’une manière pratique, en laissant en suspens les éventuels problèmes épistémologiques.
Une question actuelle
Tout comme de nombreuses professions dans le champ sanitaire et social, celle de psychologue clinicien est fondée sur une double démarche d’évaluation et d’intervention, où la finesse clinique est tout autant sollicitée que la rigueur du raisonnement. Cependant, alors que c’est le socle de notre profession, l’articulation entre ces deux démarches n’est pas toujours aisée, pour des raisons notamment théoriques et techniques.
De mon point de vue, l’activité d’examen psychologique et son produit, le diagnostic psychologique, sont à la fois une exigence éthique, une évaluation circonspecte des situations devant précéder toute intervention, et une donnée essentielle de l’identité professionnelle des psychologues cliniciens. Ainsi, la recommandation de traitement, l’indication thérapeutique, est très souvent considérée comme le but ultime de l’examen clinique et, finalement, sa raison d’être.
Cette activité est implicitement sous-tendue par l’observation selon laquelle les traitements, les interventions psychologiques, peuvent être classés, catégorisés et, finalement, comparés sur un certain nombre de critères. Ainsi, on organiserait l’examen psychologique pour apporter des informations sur ces critères, afin de pouvoir recommander ou indiquer un traitement. Comment, donc, articuler le diagnostic et l’intervention psychologiques ? Quels sont les thèmes qui permettent de décrire les traitements et qui peuvent être évalués par le psychologue clinicien ?
Cet article vise à suggérer quelques caractéristiques concrètes permettant de faire ce lien. La gravité des troubles, la détresse émotionnelle subjective, la complexité des problèmes, la résistance aux influences thérapeutiques et les préférences adaptatives des personnes constituent autant de dimensions à évaluer dans l’examen et permettant de formuler des recommandations de traitement (ces dimensions sont largement reprises dans la littérature internationale et découlent des travaux de Larry Beutler aux États-Unis).
Mon propos repose sur le constat selon lequel la recommandation de traitement ne se borne pas à une indication différentielle (comme : soit une thérapie comportementale et cognitive, soit une thérapie d’inspiration psychanalytique), mais porte sur la mise en œuvre concrète de l’intervention pour accéder à une véritable planification du traitement (comme : quelle stratégie relationnelle privilégier avec cette personne ?) En effet, vis-à-vis des traitements, le responsable devra décider au moins des éléments suivants :
• le cadre et les modalités ;
• les objectifs thérapeutiques ;
• le terme et la durée ;
• les styles relationnels ;
• certaines techniques ou stratégies thérapeutiques.
Mais, auparavant, il nous faut répondre à une question préalable : faut-il intervenir ?
Question préalable : faut-il toujours intervenir ?
La décision de reporter à plus tard ou de ne pas mettre en place une intervention est une décision majeure du processus d’évaluation, et cela peut être la conclusion justifiée du diagnostic psychologique. Cette décision découlera de notre connaissance des indications et des contre-indications des traitements. Nous avons beaucoup de réticences à envisager l’option qui consiste à ne pas intervenir : presque tous les diagnostics psychologiques se terminent sur des recommandations de traitement plus ou moins variées ou précises.
De nombreuses raisons expliquent que les cliniciens soient si réticents à choisir l’option de « ne pas intervenir ». Il y a probablement, chez nous, un postulat très ancré portant sur l’intervention : « Un traitement psychologique peut aider tout le monde et ne fait de mal à personne. » à partir du diagnostic psychologique, même très élaboré, nous craignons souvent de manquer quelque chose d’important et pensons implicitement qu’en indiquant une intervention pour tous ceux qui le souhaitent, nous minimisons des erreurs potentielles et nous aidons les personnes. Cette position affaiblit grandement l’impact du diagnostic psychologique, car des recommandations de traitement systématiques et peu précises rendent caduque l’évaluation ; à l’extrême, si les mêmes recommandations sont faites à tous, quel est l’intérêt de l’examen individualisé ?
La recommandation de ne pas intervenir peut se justifier de quatre façons, chacune assurant une légitimité à la décision du professionnel.
• L’intervention ne serait pas nécessaire : en effet, de nombreuses difficultés psychologiques sont passagères et ne nécessitent pas une intervention planifiée (deuil non compliqué, par exemple).
• L’intervention n’aurait pas d’effet notable : nous connaissons des difficultés pour lesquelles aucun traitement n’a encore prouvé son efficacité (psychopathie grave, par exemple).
• L’intervention aboutirait à une aggravation : les traitements psychologiques, s’ils sont des moyens puissants de changement, ont forcément des effets secondaires négatifs.
• La recommandation de ne pas intervenir fait partie d’une stratégie thérapeutique : dans le cas d’une personnalité dépendante ou, à l’inverse, très opposante, on peut être amené à utiliser cette stratégie particulière.
Si, toutefois, une intervention paraît indispensable, le diagnostic psychologique peut apporter des informations sur les cinq domaines clés de la recommandation de traitement que nous allons maintenant considérer successivement.
Les difficultés sont-elles graves ?
La gravité du problème représente un continuum de fonctionnements, allant d’une gêne modérée à une incapacité majeure. De l’évaluation de la gravité découlent des indices sur le cadre, les modes et le format du traitement adapté à la personne en question. En fait, le clinicien doit déterminer quel est l’environnement général d’intervention qui convient (contenant ou pas, ouvert ou pas, de jour ou à temps plein, etc.), quelles sont les modalités du traitement (traitement médical, psychosocial, ou une combinaison des deux), quelle doit être l’intensité et la durée des interventions et quels en seront les buts, au moins à court terme. Une grande diversité de décisions dépend donc partiellement ou totalement de l’évaluation de la gravité. L’examen psychologique permet de faire des inférences sur cette gravité à partir d’éléments comme le diagnostic psychiatrique, l’interférence des troubles avec la vie quotidienne de la personne, l’évaluation de la chronicité, le niveau de psychopathologie, l’impact des troubles sur l’insertion dans la réalité, l’isolement relationnel et le vécu des relations… Une gravité élevée oriente les recommandations vers un lieu plutôt contenant (voire fermé), une intervention médicale directe ainsi qu’un traitement intensif et à long terme.
La personne est-elle motivée à changer ?
La motivation au changement est directement liée à la détresse ressentie subjectivement par les patients. Alors que la gravité est un jugement extérieur, la détresse émotionnelle est un vécu subjectif. On peut penser que la détresse motive la personne à modifier sa situation dans le but d’éprouver un moindre malaise ou une moindre douleur. Bien que cette motivation ne soit pas dirigée d’emblée vers des objectifs constructifs (réalisation ou épanouissement de soi), elle peut être canalisée et utilisée comme un véritable moteur dans la psychothérapie. Pourtant, il ne faut pas considérer que la relation entre la détresse subjectivement ressentie et la motivation au traitement est linéaire. Ainsi, lorsque cette détresse est trop importante, cette motivation peut être annulée par les efforts faits par les personnes pour éviter les exigences de la thérapie ; les patients peuvent devenir rigides et incapables de bénéficier de changements thérapeutiques, adoptant des façons de réagir inefficaces et restant fermés à l’apprentissage d’autres modes de réaction. Ce processus rigidifiant a toutes les chances d’accroître le niveau de détresse, d’aggraver les symptômes et la douleur émotionnelle, parce qu’il freine l’adaptation. à l’inverse, quand le niveau de détresse est particulièrement bas, la personne peut tout à fait ignorer les bénéfices du traitement, et la motivation au changement est alors très faible. On peut donc penser que le niveau de détresse subjective peut être motivant s’il n’est pas invalidant, au point d’empêcher l’exploration, l’analyse et la remise en question. Maintenir un certain niveau de malaise à propos des problèmes rencontrés peut être nécessaire (et peut être considéré comme un objectif tactique du traitement) pour faire en sorte que la personne s’engage suffisamment dans le processus de changement. Dans le diagnostic psychologique, on peut repérer le niveau de détresse de la personne au degré de malaise subjectif, aux débordements (déséquilibre entre ressources et pressions), à la nature des émotions ressenties (négatives). L’évaluation de la détresse permet de recommander le degré de structuration de l’intervention, l’importance du soutien à apporter ainsi que certaines techniques thérapeutiques comme la confrontation ou l’interprétation (connues pour augmenter le niveau de détresse).
Son problème est-il complexe ?
La complexité du problème est en étroite relation avec le niveau de gravité, mais est également le reflet de données liées à l’histoire, d’une part, et au pronostic, d’autre part. La complexité de la situation est plus importante pour la définition des buts à atteindre que pour celle des moyens à utiliser. Beaucoup considèrent que cet aspect est dichotomique, les difficultés des personnes pouvant être qualifiées soit de complexes et thématiques (c’est-à-dire liées à des thèmes de vie, des représentations de soi et des autres), soit de non complexes et symptomatiques. Les difficultés complexes sont caractérisées par des organisations stables de symptômes ou de conduites dans le temps et les situations rencontrées. Ces difficultés sont souvent l’expression symbolique de conflits intrapsychiques sous-jacents et donnent lieu à des recommandations de traitement visant à modifier des contenus de pensée (des thèmes) ou des styles de vie. Les interventions pouvant s’adresser à des difficultés complexes peuvent être variées : procédures basées sur l’analyse de soi ou l’introspection, mais aussi modifications de systèmes de communication dans lesquels les difficultés apparaissent.
à l’inverse, il peut paraître judicieux de limiter les objectifs de l’intervention au changement symptomatique quand les problèmes impliquent des symptômes transitoires, sont directement liés à des événements déterminés par l’environnement ou sont liés à des facteurs de stress spécifiques. Ces objectifs symptomatiques sont très différents des objectifs « thématiques ». On recommande ces derniers quand les difficultés sont liées indirectement ou de manière symbolique à des événements, quand des difficultés persistent dans le temps et s’actualisent dans des situations apparemment non liées les unes aux autres, ou quand des domaines variés du fonctionnement sont gênés par ces difficultés. Un problème complexe est donc une difficulté qui infiltre l’activité de la personne dans une diversité de situations, souvent de manière chronique. Il est aussi caractérisé par l’expression de conflits sous-jacents. En bref, l’évaluation de la complexité permet de choisir les objectifs thérapeutiques : des symptômes ou des conflits ?
La personne résiste-t-elle ?
Est-elle opposante ?
Le degré d’opposition dans les relations interpersonnelles détermine la capacité des personnes d’être réceptives aux interventions thérapeutiques ou, au contraire, leur tendance à y résister. Les comportements défensifs ou d’opposition dans les situations où la personne doit avoir des relations avec d’autres ont souvent comme logique sous-jacente une protection de soi ou une tendance à garder le contrôle de soi et de sa liberté. La personne se sentirait menacée par l’exigence d’une situation où elle est influencée par une autre. Quand le diagnostic psychologique met en évidence une sensibilité particulière à ce type de menace, les recommandations portant sur le traitement devront éviter des procédures qui demandent une grande directivité de la part du clinicien. Dans ces cas, il est plus indiqué d’utiliser des interventions paradoxales ou non directives, les interventions directives étant réservées à la pratique avec des personnes dont le fonctionnement est moins sensible à un contrôle extérieur. Le degré d’opposition s’exprime habituellement dans des attitudes et des comportements visant à disqualifier l’autre, certaines caractéristiques du fonctionnement défensif, l’autorité et la tendance à vouloir dominer la relation, l’agressivité, l’hostilité, et peut aussi être jugée de manière indirecte par l’histoire personnelle, lorsqu’elle est marquée par des conflits interpersonnels. Évaluer le degré d’opposition permet d’émettre des recommandations touchant au style relationnel à privilégier, à certaines techniques d’intervention paradoxales et au degré souhaitable de directivité.
Comment gère-t-elle habituellement ses difficultés ?
Enfin, les personnes diffèrent également sur une autre dimension fondamentale pour l’élaboration de recommandations : les modalités de gestion des difficultés émotionnelles, notamment celles provenant de conflits internes. Ce point concerne les préférences ou les habitudes des personnes en termes d’adaptation, d’ajustement aux difficultés. Il existe plusieurs définitions de la notion de modalité adaptative, incluant ou non les procédés défensifs. On peut, par exemple, placer les différentes modalités sur un continuum particulièrement opérant en clinique, allant de l’agir contre les autres (mode externalisant) au retrait et à la critique de soi (mode internalisant). Qualifier les modalités adaptatives ou défensives des personnes sur ce continuum (plus ou moins interne ou externe) permet de formuler des recommandations plus précises en matière de traitement. Un mode internalisant est défini par une tendance à réprimer, à éviter, à dénier ou à compartimenter les sources de la détresse. Les personnes qui ont ce type de fonctionnement sont en général excessivement critiques à leur égard, centrées sur elles, introverties, dans l’hypercontrôle et évitantes, et elles ont une palette d’émotions limitées pour exprimer leur ressenti émotionnel. Au contraire, un mode privilégié externalisant est caractérisé par une tendance à traiter l’anxiété par un évitement direct, une rationalisation, la projection de cette anxiété sur l’entourage. Ces personnes manifestent typiquement peu de considération pour les sentiments des autres et sont peu à l’écoute de leurs propres émotions. Elles ont tendance à être extraverties, impulsives et spontanées.
Les interventions efficaces différeraient pour ces deux types de modalités adaptatives. Plus les personnes adoptent des modalités adaptatives externalisantes, moins elles sont capables d’utiliser le regard sur soi pour produire un changement. Ces personnes répondent positivement aux interventions qui viennent modifier directement le comportement ainsi qu’à celles qui viennent recadrer institutionnellement les conduites perturbées. à l’inverse, les personnes qui se reposent sur des modalités adaptatives internes ont tendance à être plus sensibles à des interventions qui utilisent l’introspection et la prise de conscience.
Conclusion
Il est possible de dégager des dimensions évaluables dans l’examen psychologique clinique qui permettent d’ouvrir la voie à des recommandations de traitement. Quelques exemples de dimensions ont été donnés ici. Ainsi, les décisions concernant les modes, le format, le cadre institutionnel, la fréquence, la durée et les buts immédiats du traitement sont liées à la gravité de la situation. Plus avant, la décision d’accroître ou de diminuer la détresse est liée au niveau de motivation (dû à la détresse émotionnelle). Aussi, la complexité de la situation, liée à la dichotomie complexe/thématique versus non complexe/symptomatique, influence généralement la sélection des buts à atteindre. De même, la décision du niveau de directivité des interventions est liée au degré de résistance aux influences thérapeutiques. Enfin, les préférences ou habitudes en termes de gestion émotionnelle concernent la question de l’internalisation ou de l’externalisation des expériences et déterminent en partie les moyens de traitement.
Il s’agit donc ici d’un modèle descriptif global qui intègre des dimensions concrètes à évaluer dans le diagnostic psychologique, en vue de permettre une prise de décision plus aisée sur la nature et les caractéristiques de l’intervention. L’originalité de cette approche est qu’elle est adaptable à des cadres théoriques divers. Elle permet au psychologue de se positionner professionnellement, et, par sa raison, d’échapper aux dogmes et croyances de tous acabits…