Dossier : journal des psychologues n°257
Auteur(s) : Kridis Noureddine
Présentation
L’Institut Gregory-Bateson a célébré, en octobre dernier *, son vingtième anniversaire autour d’un grand nombre de psychologues, psychiatres et autres professionnels de l’aide et de la relation. Vingt ans passés, cinq jours pour les fêter. À cette occasion, une histoire et un bilan ont été dressés, des points de rencontre et de continuité ont été mis en lumière et l’occasion de présenter des innovations a été saisie. Retour sur les points forts de cette rencontre.
Mots Clés
Détail de l'article
L’École de Palo Alto n’a pas eu d’héritiers « officiels » sur le continent américain, mais sur le vieux continent, quelque part en Italie, en Suisse, en France et en Belgique. Liège a été une ville incontournable dans ce travail de transmission. La présence, lors de ces cinq jours, de J. Coyne, L. Gill (D. Fisch étant retenu par la maladie), celle de M.-C. Bateson, de W. Ray et de M. Governer lors d’une autre célébration, la « double contrainte » en 2006 à Paris, témoignent de ce passage de flambeau. Nous reprendrons ici, dans un esprit synthétique, l’essence des interventions qui ont eu lieu les 6 et 7 octobre 2007, mais aussi celles des trois « master classes » qui ont précédé et suivi ce colloque les 5, 8 et 9 octobre.
J-J. Wittzaele, T. Garcia, J. Coyne, L. Gill, G. Nardonne et les membres de l’équipe de l’Institut Gregory-Bateson nous dressent un tableau historique de l’influence du Mental Research Institute (Mri) et de l’École de Palo Alto tant sur l’Europe francophone que sur la création de l’Institut Gregory-Bateson et nous invitent à partager leur pratique de la thérapie brève dans leurs différents champs d’exercice.
Jean-Jacques Wittzaele et Teresa Garcia
L’Institut Gregory-Bateson (Igb) a été le fruit de la rencontre de deux parcours spécifiques, celui de Jean-Jacques Wittzaele et celui de Teresa Garcia. Ils nous en ont retracé l’historique.
C’est après des études décevantes en psychologie que J.-J. Wittzaele prend ses distances avec une psychologie « individuelle ». Son intérêt pour le secteur de la protection de la jeunesse, sa volonté d’apporter une aide dans un temps court à des jeunes en difficulté, de ne pas les faire sombrer dans le cercle vicieux « violence-sanction », d’apporter des réponses à ces problèmes brûlants sur le plan socio-politique, le conduiront naturellement à s’intéresser à l’École de Palo Alto et aux thérapies brèves et familiales.
Il effectuera ensuite un séjour de formation de trois mois aux États-Unis au sein du Mental Research Institute (Mri), que lui a vallu un passage dans une émission belge lors de laquelle il avait évoqué, en présence d’un ministre, le Mri en ce qu’il expérimentait des moyens et des méthodes depuis de longues années dans les tactiques de changement à temps court. C’est au cours de ce séjour qu’il fera la rencontre déterminante de P. Watzlawick, D. Fisch, J. H Weakland et J. Coyne : « Un tournant dans ma vie, la chance de voir ces gens travailler avec une stratégie minimale : ce sont de petites choses concrètes que les choses peuvent changer. »
C’est dans cette institution qu’il croisera le chemin de T. Garcia.
Mexicaine d’origine, après des études à l’université libre de Bruxelles, elle passera cinq ans au Mri, poussée par sa motivation à travailler avec des familles. C’est à la fin de son séjour qu’elle rencontrera J.-J. Wittzaele et que tous les deux écriront un livre, À la recherche de l’École de Palo Alto (Le Seuil, 1992), et qu’ils se lanceront dans le projet de représenter l’École de Palo Alto en Europe francophone.
L’Igb, centre de thérapie et de formation, a ainsi bénéficié de la passion et de l’enthousiasme de ces moments de fondation et, progressivement, a pu gagner en maturité. L’équipe, composée de deux membres en ses débuts, est passée à trois et, aujourd’hui, à huit, s’ouvrant à d’autres domaines que celui de la thérapie – l’école et l’entreprise, notamment –, l’approche pragmatique de l’École de Palo Alto et ses techniques de résolution de problèmes attirant de plus en plus d’adeptes et nécessitant de plus en plus de formateurs.
James Coyne
Un trait commun semble caractériser les fondateurs de l’Igb, mais aussi les « pères » (J. H. Weakland, P. Watzlawick, D. Fisch…) qui n’ont jamais voulu, d’ailleurs, prendre cette position paternaliste : la volonté de se démarquer de la psychologie individualiste, telle qu’elle est généralement enseignée dans les universités, le projet d’explorer non « la tête d’une personne », mais « ce qui se passe entre les personnes », le souci du concret et le développement des « intelligences situationnelles », seules capables d’apporter des solutions rapides et efficaces.
James Coyne rappelle qu’il était, lui aussi, un étudiant rebelle, ce qui justifiait son intérêt pour le Mri. Aujourd’hui, spécialiste reconnu dans la thérapie de la dépression, J. Coyne a été formé par « John, Paul et Dick, trois fortes personnalités bien différentes ». Il souligne « les avantages d’avoir trois pères, mais le besoin de quitter la maison… »
L’épreuve « bienveillante » de devenir thérapeute lui a fait connaître de près ces trois hommes qui fonctionnaient dans une « position basse » et « refusaient de se revendre ». Ils étaient plutôt des « outsiders », des « perdants » au sens « d’antihéros », des « non-charismatiques ». La théorie qu’ils défendaient était simple et minimaliste. Ne voulant pas être des mentors, ils n’ont pas produit de « génération suivante ». La dernière à partir du Mri fut Virginia Sapir. Les erreurs et les paradoxes du groupe – sa tragédie peut-être ? – consistaient dans le fait de refuser de parler le langage des autres professionnels, de s’opposer à la médicalisation, de rejeter la recherche, de résister à s’adapter aux changements, tels que l’intégration des femmes dans le groupe.
Si la thérapie peut être brève, devenir un thérapeute bref ne l’est pas. Il s’agit d’une première caractéristique. Les autres en découlent. Elle exige un long apprentissage. Elle va à l’encontre de la mécanisation et de la formation conventionnelle. Elle demande, par conséquent, beaucoup de la part des praticiens. Appliquée au champ de la dépression, elle se traduit par des questions originales telles que : « Est-ce que la dépression est contagieuse ? » ou par des techniques de questionnement adressées au dépressif telles que : « Croyez-vous en quelques inconvénients à aller mieux ? »
L’équipe de l’IGB
Dany Gerbinet, compagnon de route des fondateurs de l’Igb, rappellera, à travers son parcours personnel et professionnel, les apports de Gregory Bateson concernant les paradoxes des buts conscients et les tentatives de solution : « Dans ma jeunesse, j’étais assez tourmenté… je voulais faire de moi quelqu’un d’équilibré… j’y ai renoncé… et depuis ça va mieux… » La poursuite des buts conscients avec la planification de nos actions qui s’ensuit et la causalité linéaire qui la sous-tend ne tiennent pas compte des feed back de l’environnement. Ainsi, les solutions tentées et trouvées pourraient-elles devenir elles-mêmes les problèmes.
Le génie de G. Bateson a consisté à attirer l’attention sur les paradoxes des buts conscients. Par exemple, en voulant améliorer ses cultures, l’homme a inventé le ddt (prix Nobel) pour chasser les mauvaises herbes. Quelque temps après, les mamans nourrissaient leur bébé avec des traces de ddt dans leur lait, et les insectes s’étaient immunisés contre le produit… Ainsi, la logique de la poursuite des buts conscients engendre des tentatives de solution qui aggravent le problème.
En négligeant la nature systémique de notre environnement, l’effet produit par la poursuite des buts conscients finit par aggraver la situation, devenant lui-même un effet boomerang. En effet, en voulant, par exemple, éduquer un enfant à l’obéissance, on peut engendrer chez lui un sentiment qui n’est pas prévu : la peur.
Alors que faire ? G. Bateson propose le « lâcher prise », le renoncement à notre but conscient, et pose une question cruciale qui est d’une actualité brûlante : comment concevoir une action qui soit respectueuse de la nature processive du monde et de notre écologie ? G. Bateson a développé pour son propre compte une position peu interventionniste, refusant déjà un poste de professeur des sciences « appliquées ». Il prônait la position de l’anti-expert. Il n’était pas dans la logique linéaire : « Je sais… donc j’applique. »
Le schisme avec l’École de Palo Alto après la découverte de la double contrainte (1956) tient dans son désaccord avec les psychothérapeutes sur les éventuelles applications de cette découverte. C’est ce qu’évoquera Patrice Boscolo, lors de son intervention concernant les erreurs et dérives dans l’application du modèle.
Patrice Boscolo, à travers la rencontre de la thérapie brève – et de sa femme – la même année (1987), examinera une liste, par ailleurs non exhaustive, des erreurs, des échecs et des risques vécus ou rapportés lors de ces longues années de praticien, les principales erreurs découlant la plupart du temps d’une confiance aveugle dans le modèle, dans les protocoles ou dans la grille.
Il arrive au praticien de « se planter » lors d’un entretien. Alors survient un grand moment de solitude. Il lui arrive aussi de vouloir le changement d’une manière plus importante que le patient ou d’aller plus vite que lui ; dans ce cas, il rencontre la démotivation du patient. Il lui arrive aussi de manquer de confiance dans ses compétences, d’avoir peur d’ennuyer le patient, de courir le danger de le harceler par ses questions ou de lâcher trop rapidement avant l’évolution de la situation. Il lui arrive de se laisser envahir par les émotions ou de se laisser enfermer dans la vision du monde du patient. Il lui arrive de focaliser sur les protocoles. Il s’expose alors au risque de vouloir mettre les personnes dans des cases ou de s’attacher à la grille… et l’entretien tourne de fait à l’interrogatoire de type policier, la relation est cassée. Alors que faire ?
Le plus important serait d’abord de maintenir et de privilégier la relation. Une thérapie brève n’est pas une thérapie expéditive ou bâclée. Il faut s’autoriser à prendre du temps pour avancer. Melanie Klein disait que nous avons besoin de neuf séances et demi sur dix pour connaître le problème. La priorité est bien d’améliorer la situation, non d’aller vite, en obtenant la collaboration du patient, clé pour produire l’information nécessaire. La patience n’est pas un vain mot : elle définit notre stratégie de questionnement (éviter les questions trop directes, style « bulldozer », prendre des précautions oratoires, prendre le temps pour vérifier que la personne a compris ce qu’on voulait qu’elle comprenne, se synchroniser sur son rythme, l’autoriser à ne pas répondre, tout en mettant en avant l’intérêt de ces questions pour nous…). Sans oublier que le début du changement peut arriver au moment où l’on risque de perdre patience !
Ensuite, pour faire face au débordement émotionnel ou au risque d’alignement sur la position du patient, il est nécessaire de faire appel à des personnes extérieures qui peuvent avoir une position méta et jouer le rôle de superviseur. Il est même parfois utile, quand on ne peut pas accompagner le patient dans une position jugée aggravante, d’arrêter le processus thérapeutique pour des raisons éthiques et déontologiques.
Si l’optimisme thérapeutique naît de cette position basse, en acceptant parfois de revoir certaines composantes de la tâche administrée, ou « en levant le pied » concernant la recherche d’informations, il faut savoir souvent tenir le cap (recherche d’améliorations) et parfois défendre une position, au risque de rompre la relation thérapeutique.
Irène Bouaziz, en racontant son parcours professionnel et de formation, nous conte aussi celui des autres, en « croisant les biographies ». Tout d’abord, ses douze années de pratique psychiatrique classique, sans emprise psychanalytique, et dans des contextes culturels différents, ensuite le fait que « ses patients allaient mieux malgré elle », quand elle partait en vacances, par exemple, l’ont amenée à recentrer son travail autour d’un axe méthodologique : comprendre les problèmes comme des problèmes de communication et non comme des problèmes de pathologie et de se poser quatre questions simples : Qui est le patient ? Quel est le problème ? Quelles sont les solutions tentées ? Que faire ou quel est l’objectif ?
Dès la lecture de Tactiques de changements, de P. Watzlawick, elle se rend compte de l’économie de moyens que cette « démarche minimaliste » représente, des résultats spectaculaires ainsi rendus possibles. C’est alors qu’elle rejoint l’équipe de l’Igb et entreprend la formation à Liège et s’améliore en enseignant ce qu’elle faisait. Mais c’est la lecture de G. Bateson, entreprise en dernier lieu comme une véritable « remontée aux sources », qui l’ouvrira à ce qu’elle appelle « une révolution de velours ».
C’est autour d’une réflexion sur la notion de changement que débute cette phase purement batesonienne : comment contribuer à créer un contexte dans lequel un changement pourrait advenir en harmonie avec les autres systèmes ? Faut-il se détourner alors de la notion de « but conscient », même si c’est parfois l’objectif du patient, pour une sorte de coévolution ? Un changement coévolutif respectueux du contexte ? Il est clair ainsi que la démarche de l’aide (qui s’inscrit selon la distinction batesonienne à un niveau logique général) ne doit pas être confondue avec le résultat de cette aide (niveau logique particulier), et que l’action devient l’expression non pas de ce que l’on veut, mais de ce que l’on est.
Étant donné que le psychothérapeute s’est dégagé de la fonction impliquée par le but conscient, il s’inscrit volontiers dans un triple registre de non-vouloir, de non-pouvoir, de non-savoir. Non seulement « il ne veut rien pour le patient », mais il va aussi l’amener à se positionner par rapport à son problème. C’est ce que l’on appelle une coconstruction du problème. En lui posant ce genre de question : « Pensez-vous que cela est changeable ? L’effort que ce changement va vous demander en vaut-il la peine ? Maintenant ? Y a-t-il des avantages plus que des inconvénients ? », le problème risque de disparaître, et le changement d’être freiné.
En faisant confiance au patient et en ses compétences, en étant émerveillé devant les êtres humains et les ressources dont-ils disposent, en étant minimaliste par rapport à notre intervention, nous sommes pleinement dans une stratégie paradoxale. S’ouvre alors une opportunité pour la mise en place des boucles rétroactives rendant possible un changement. Et cela est difficilement transmissible et enseignable.
Vincent Gérard, pédiatre, arrivé à la thérapie brève à la suite d’une longue pratique auprès des enfants et des parents, reprendra cet aspect paradoxal dans la stratégie de changement. En effet, celle-ci ne relève pas de l’explication logique ni du rationnel. Tout se passe comme si le moment clé de cette stratégie est de « trouver la porte d’entrée » pour accéder au monde d’autrui. La proposition de « métaphores » se situe précisément à ce double niveau : sortir du cadre « des tentatives de solution » et « recadrer ». Qu’elle soit de capture, de reformulation, de diagnostic ou thérapeutique, la métaphore, par sa puissance d’évocation et de suggestion, ouvre des opportunités de changement à une personne bloquée dans une situation.
Giorgio Nardonne revendique, quant à lui, l’héritage sophiste (Protagoras, Gorgias, Antiphon) de la pratique du dialogue et l’héritage encore plus récent de l’École de Palo Alto. Il fonde ce qu’il appelle le « dialogue stratégique ». Désormais, pour lui, la notion de « stratégique » remplace celle de « systémique ». Cette intervention constitue l’un des aspects novateurs de ce colloque.
Sur le plan des orientations théoriques, les notions de « changement » et « d’interaction » sont liées. Pour connaître un système, il faut le changer et non pas l’inverse. Ainsi, je connais un système à travers mes interactions avec ce système. Ensuite, stratégiquement, il n’est pas nécessaire de travailler avec tout le système, on choisit l’élément qui fera « levier » pour changer le système.
À travers une recherche expérimentale, des protocoles ont été mis au point par G. Nardonne et son groupe. Il s’agit d’une technique de questionnement appelée « dialogue stratégique », efficace pour le traitement des troubles obsessionnels compulsifs et les troubles alimentaires. Globalement, on peut la définir comme une technique de questionnement structurée comme « une spirale à entonnoir » et dont le but est d’amener un changement chez une personne, vécu comme l’effet d’une découverte personnelle et non comme une contrainte extérieure.
En 1997, l’équipe de G. Nardonne a observé, à la suite du recours à la vidéo, que les entretiens qu’il conduisait prenaient moins de temps qu’auparavant (quinze, vingt minutes au lieu de trente, quarante minutes), que les symptômes s’estompaient plus rapidement dès les premières séances (troisième à quatrième), alors qu’ils disparaissaient plus lentement auparavant. Son style avait changé. Depuis, l’axe de réflexion est : comment faire pour que la première séance devienne thérapeutique ?
En plus d’une meilleure connaissance des pathologies, G. Nardonne a changé sa technique de questionnement. Les questions ne sont plus ouvertes. De : « Quel est votre problème ? La panique ? », par exemple, les questions sont devenues alternatives : « Une attaque de panique, pour vous, c’est la peur de mourir ou la peur de perdre le contrôle ? » Et ainsi de suite… Les questions sous la forme d’entonnoir amènent finalement le patient à découvrir ce qu’il faisait pour maintenir le problème, ce qui lui permet d’être en rupture avec sa conception antérieure, percevant lui-même ses propres contradictions. C’est alors que le changement survient de manière rapide.
Le dialogue stratégique est un outil structurel qui permet d’obtenir beaucoup d’informations rapidement à partir de questions à choix illusoire, ne donnant lieu qu’à deux réponses possibles. Il se compose de trois blocs de parole : Quel est le problème ? Quelles sont les tentatives de solution ? Quelles sont les solutions alternatives ?
Le premier moment du dialogue stratégique permet au psychothérapeute à travers sa technique en spirale d’avoir des informations sur ce qui pose problème grâce à des questions telles que : Qui ? Où ? Comment ? Cette recherche de l’information s’accompagne du repérage et de la mise en valeur de la sensation dominante chez la personne (peur, douleur, plaisir, colère). Le second moment du dialogue stratégique porte sur les reformulations qui amènent le consentement de la personne, les récapitulations recadrantes qui ont pour fonction de réordonner les réponses pour en faire une trame.
En renvoyant à la personne plus que ce qu’elle a dit, on lui montre ce qu’elle fait pour perpétuer le problème. On crée ainsi, chez elle, l’aversion pour les solutions tentées. Le troisième moment du dialogue stratégique est l’aménagement de ce précipice émotionnel et perceptuel, en utilisant les techniques évocatrices, les aphorismes et en se situant à un niveau analogique. La proposition d’une tâche s’inscrit à ce niveau. Si l’objectif du dialogue stratégique est de faire pour que la première séance devienne thérapeutique, l’art de la thérapie brève, c’est de rendre le changement inévitable et non pas de créer le changement. Alors, on comprendrait les paroles du poète Fernand Pessoa : « Les blessures des batailles que je n’ai pas menées ne guériront jamais. »
Quand une personne change, elle ne peut pas changer en partie, c’est tout qui change en elle et, plus précisément, ses émotions. La prise en compte des émotions semble centrale en thérapie brève (T. Garcia). Il s’agit, pour réaliser un changement, de revivre concrètement une émotion (peur, rage, désespoir, culpabilité), de s’en sortir et de se reconstruire à nouveau sur le plan émotionnel.
Une thérapie brève est bien plus qu’une simple résolution de problèmes et un ensemble de techniques. Il est important de permettre au patient de trouver du sens. Car la question du sens est une question que le patient amène avec lui, culturellement. Il y a des risques (crédibilité du psychothérapeute) à ne pas vouloir répondre à cette question, en se conformant à la vision systémique et au principe d’équifinalité (on ne connaît jamais les causes). Et puis, tout le monde n’est pas M. H. Erikson ou G. Nardonne pour se dispenser des explications !
La nécessité de garder le contact avec la vision du patient (besoin du patient de savoir ce qui lui arrive, ce qui ne va pas chez lui, de comprendre les causes, d’avoir des explications, de trouver du sens…), pose au thérapeute de nouvelles exigences. Comment lui expliciter ces prémices ? Lui en parler pour qu’il puisse se situer ? Ce qui nous relie, ce sont des valeurs que l’on partage, des liens, alors pourquoi n’en ferait-on pas part à nos patients ? L’objectif, c’est de partager avec nos patients, de les impliquer, de les responsabiliser, de les rendre moins dépendants, plus autonomes. Tout cela montre que la thérapie brève est plus qu’une technique (J.-J. Wittzaele).
Mais peut-on répondre au besoin d’explication sans risquer d’amplifier le problème, puisqu’on explique les choses avec « les tentatives de solution » ? Alors, back to basics. Le recours à la notion de causalité et d’explication se fera dans un cadre stratégique et interactionnel. D’abord, il y a des moments où il faut renoncer aux explications parce qu’elles sont contre-productives. Ensuite, on ne peut pas donner n’importe quelle explication au patient, il faut que celle-ci éclaire une partie des événements, qu’elle s’intègre dans son vécu, dans son cadre de référence. De même, l’explication est inutile quand il y a un aspect émotionnel. La notion de contexte reprend tout son sens.
La manière de présenter les tâches, aussi bien que la compréhension de leur succès, devrait être en rapport avec l’adhésion du patient. Le thérapeute n’est pas seulement un technicien, il faut qu’il soit congruent, cohérent, et qu’il donne le sentiment de quelqu’un qui sait où il va. Ainsi, la thérapie brève a-t-elle bénéficié des pratiques différentes, hétérochrones et complémentaires des uns et des autres, seules garantes de son évolution actuelle et future.
Michel Pradère, pour sa part, décrira toute la difficulté de pratiquer la thérapie brève en milieu hospitalier (difficulté du langage, d’avoir un client, de vendre une tâche…). Être thérapeute bref en hôpital psychiatrique, n’est-ce pas se mettre dans la position de travailleur solitaire ?
Thiamer Wertz et Vittoria Cesari abordent des problèmes actuels concernant l’éducation, l’école et la formation. La dualisation de l’enseignement (école d’élite versus école poubelle), l’apparente et illusoire liberté de choix d’établissement scolaire pour les parents, l’absence de préparation des équipes éducatives pour gérer la diversité culturelle, posent le problème du changement de l’environnement. L’école continuera-t-elle à ignorer la diversité culturelle ? La régulation nécessaire tiendrait dans l’introduction du pôle apprentissage et une mobilité dans le système de relation.
Or, ce n’est pas aisé de changer de prémices, c’est pourquoi il y a un avant et un après thérapie brève. C’est pourquoi entrer dans une complexité, entendre l’autre, aider l’autre à se décrire, se définir, communiquer, fixer des objectifs réalisables, rendre possible une coopération parents-enseignants, relèvent de défis toujours à dépasser.
Henri Waterval reprendra, à son tour, les changements de notre environnement et analysera l’évolution des normes et des seuils de tolérance des comportements. La machine judiciaire ne devrait pas intervenir toujours dans la perspective de la peine ou de la sanction, mais aura à s’inscrire par rapport à un modèle aide-contrôle, à mettre en valeur le contrat, à expliciter l’implicite. C’est que, en dernière instance, le respect des règles et des procédures est le meilleur moyen pour sauvegarder les libertés individuelles.
Lucy Gill, quant à elle, s’est attachée à introduire la thérapie brève dans le monde de l’entreprise. Après de nombreuses années au mri avec D. Fisch, J. Weakland et la familiarisation avec la thérapie brève, elle fera une carrière de consultante en management. L’utilisation de la méthodologie simple et minimaliste de la thérapie brève lui permet d’obtenir dans des situations difficiles, de crise ou de conflit, des résultats intéressants. Tout commence avec cette posture faite d’écoute (« écouter les mots exacts »), de « vérification des contradictions », de « synchronisation », de recadrage, de questionnements, et de pouvoir donner une chance au client pour interagir par le silence, par exemple.
La méthodologie, simple en apparence, est très exigeante, car elle se situe aux antipodes de nos stratégies naturelles d’intervention (penser immédiatement aux solutions, répéter les mêmes solutions…). Elle est constituée de cinq étapes : Quel est le problème ? Que faites-vous pour la solution now ? Qu’est-ce que vous devez faire à la place ? Quelles sont les façons de faire B au lieu de A ? Que faut-il pour expérimenter B ?
L’identification du problème constitue le travail majeur de l’intervenant, en produisant les informations utiles. À une personne qui vous dit : « Je ne suis pas efficace », on peut lui poser la question suivante : « Comment faites-vous pour ne pas être efficace ? » À un couple qui se dispute, on peut proposer : « Est-ce que ça crée un problème de vous arrêter de vous disputer ? » L’art consiste à transformer ce qui paraît être un grand problème en un petit problème. D. Fisch avait dit à un client qui arrivait en retard : « Quelle est la pire conséquence d’arriver en retard ? » Du coup, tout le stress qui était associé est tombé. À quelqu’un qui semble empêtré dans une série de problèmes, on peut lui demander de les hiérarchiser : « De tous les problèmes, lequel vous ennuie le plus ? Lequel voulez-vous résoudre d’abord ? »
Claude Duterme a exprimé toutes les contraintes qui pèsent sur l’entreprise à travers ce qu’il a tenté de modéliser par « la position du potier ». L’entreprise est un monde de contraintes. Les personnes sont sous contrainte. Ne pas prendre cette position est un défaut stratégique. Face aux tentatives de solution qui constituent le problème, comment aider les personnes sans leur dire ce qui est à faire ? Comment arrêter les tentatives de solution ? Comment empêcher les personnes de faire ce qu’elles ont toujours fait ? Comment chercher et mobiliser les ressources nécessaires pour changer ? Le diagnostic interactionnel qui revient toujours à « quel est le problème? » et qu’on obtient non pas par l’analyse du système, mais par l’analyse des interactions, c’est-à-dire l’analyse des comportements individuels, des redondances et de modèles de redondance.
En conclusion
La thérapie brève n’est pas de l’ordre du contrôle social. Elle cherche, au contraire, à développer l’autonomie, à participer au banquet de la vie, à supporter les peines et à profiter des joies. Sa méthodologie est simple mais non simpliste : là où il y a des problèmes entre les hommes, si on prend la peine de définir le problème, 70 % du problème est résolu. L’influence du thérapeute consiste dans le fait de développer les techniques de façon à ce que les gens arrêtent de recourir aux tentatives de solution. Et cela peut commencer très tôt, dès l’école.■
Note
* « La thérapie brève systémique et stratégique », les 6 et 7 octobre 2007, à Liège, Belgique.
Conférence de Consensus« L’examen psychologique et les utilisations des mesures en psychologie de l’enfant »
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