Dossier : journal des psychologues n°242
Auteur(s) : Lemercier Philippe
Présentation
Le milieu de la psychologie scolaire illustre abondamment l’obligation d’une pluridisciplinarité réfléchie. Les tiers institués y sont nombreux et les sciences humaines omnipotentes. Mais l’intérêt ici réside dans la démonstration que nous soumet l’auteur que l’éthique et la déontologie s’énoncent comme partenaires essentiels à une pluridisciplinarité opérante.
Mots Clés
Détail de l'article
En mars 2001 eurent lieu à Paris les États généraux de la psychologie. C’était la première fois qu’en France des représentants des différentes disciplines de la psychologie se réunissaient pour se parler et adresser à la société française un état des lieux des préoccupations communes.
Lors de cette rencontre, il s’est passé quelque chose de particulier qui en fit un événement d’ordre éthique car, pour une fois, les débats se sont hissés au-dessus des divisions du savoir : là où le savoir de chaque discipline a su se taire sur la manière de respecter l’humain, ce sont les psychologues individuellement qui ont répondu en leur nom et accepté d’expliquer auprès de leurs collègues comment ils se débrouillaient avec les conditions qui étaient les leurs.
En d’autres termes, il est apparu qu’il n’existait pas de supersavoir en psychologie pour dire l’éthique de tous, mais, qu’au contraire, c’était en prenant de la distance dans son rapport au savoir que chacun pouvait en dire quelque chose dans une communauté de recherche.
Si l’on veut une recette pour reproduire à volonté cet heureux événement, il faut se souvenir que la pluridisciplinarité et l’éthique en étaient les ingrédients les plus essentiels et les futurs psychologues les convives les plus attentifs.
Les étudiants et les jeunes professionnels sont, en effet, très inquiets de ce problème, car ils doivent apprendre, souvent tout seuls, à dépasser les divergences introduites par le découpage des études et des champs d’exercice. D’ailleurs, ils en perçoivent si bien les impasses éthiques (contradictions, isolement, perte de crédibilité, abandon du nom de « psychologue »…) que certains pensent que le code de déontologie actuel ne correspond plus à l’ensemble de la profession. La question est d’autant plus cruciale que des gestionnaires croient de leur intérêt de nous mettre en compétition en attisant nos divisions et que des groupes de pression utilisent les ambisémies de nos langages pour nous brouiller les uns avec les autres.
Je vous propose donc ici quelques réflexions issues de ma pratique en psychologie scolaire qui offre une situation d’observation et d’élaboration tout à fait intéressante de la pluridisciplinarité aussi bien au sein de la psychologie elle-même que dans ses rapports avec les autres sciences humaines et avec les tiers institués (demandeurs, prescripteurs, évaluateurs et décideurs). Ces réflexions qui explorent les liens entre pluridisciplinarité et éthique peuvent conduire à quelques principes quant à l’organisation d’un service de psychologie à l’école, mais elles mènent surtout à la nécessité d’approfondir notre déontologie au-delà des droits civiques de la personne. Il s’agit en effet de faire vivre une éthique du sujet humain tel qu’il nous apparaît, dans le champ de nos connaissances et de notre expérience, c’est-à-dire intimement divisé et dépendant de l’autre dans sa parole et son comportement.
Un psychologue nécessairement pluridisciplinaire
Le psychologue scolaire est inscrit dans un réseau de travail très étendu où les autres disciplines de la psychologie, les autres sciences humaines ainsi que des tiers très divers entrent en interaction avec son travail.
Selon les situations, sa tâche vise à sauvegarder l’espace d’élaboration du sujet ou, au contraire, à apporter un savoir et à nommer les événements. Dans un cas comme dans l’autre, il croise les discours d’autres disciplines sur son chemin.
Il lui faut donc établir des liens interprofessionnels et faire des allers et retours entre ces sources de savoir et le sujet afin d’accompagner son élaboration. Ce mouvement peut parfois apparaître comme une transgression des règles déontologiques : la confidentialité semble devenir relative, l’obtention d’un consentement paraît devenir l’objet du travail au lieu de sa condition et notre indépendance professionnelle peut se trouver réduite par ce partenariat. Cependant, il faut pouvoir dépasser ces apparences formelles et viser la manière dont le sujet utilise ces ouvertures à son profit.
C’est pourquoi ces notions déontologiques doivent être réexaminées au regard des conditions réelles du métier et de la multiplicité des liens dans lequel le sujet se trouve impliqué. Même si nous ne voulons pas les voir, les autres sont là ! Il suffit d’écouter pour s’en convaincre, et cela constitue la condition de tout psychologue aujourd’hui : quel collègue peut encore se croire seul avec un sujet pleinement autonome, responsable, conscient et exerçant ses droits sans ambiguïté ? Il y a toujours des interférences avec différents savoirs et différentes instances dont le sujet doit élaborer les rapports et éventuellement les conflits pour mieux vivre. Notre éthique doit prendre les moyens de l’y aider ou, au moins, de ne pas l’en empêcher.
Pour définir cette ligne déontologique, le respect des droits de la personne reste nécessaire, mais il n’est plus suffisant ; il faut aussi faire référence aux droits du sujet qui ne sont pas des droits formels et opposables à des règles explicites, mais des droits dont il est le seul juge. Par exemple, un droit éthique pour le sujet nous intéresse ici : le droit d’élaborer librement sa situation dans les termes qu’il choisit au-delà des clivages des savoirs.
Approfondir notre déontologie
Ceux parmi nous qui rencontrent des personnes contraintes de donner leur accord par intérêt ou par obligation savent bien que ces rencontres peuvent quand même se révéler des moments d’élaboration approfondie et, réciproquement, nous savons que certaines rencontres demandées à cor et à cri n’apportent pas forcément quelque chose.
De même, à propos de notre indépendance professionnelle, ceux d’entre nous qui disposent de statuts institutionnels bien définis savent que cela ne garantit nullement l’indépendance de leur travail.
Le fond du problème, c’est que l’on n’est jamais seul au monde avec le sujet à partir du moment où il parle, car il ne parle pas que de lui, il parle aussi des autres ou avec le langage des autres, les autres savoirs et les autres instances. C’est ce qui nous contraint aujourd’hui à un positionnement éthique à l’égard de cette particularité langagière de notre travail au-delà de ce que nos codes de déontologie avaient déjà énoncé pour convaincre de la validité scientifique de la psychologie et de la vigilance civique des psychologues.
Avant de citer deux situations qui feront apparaître concrètement cette articulation entre pluridisciplinarité et éthique, je voudrais rappeler que le code de déontologie actuel évoque déjà la question « entre les lignes » des articles 17, 18 et 19 du chapitre 3 consacré aux modalités techniques de l’exercice professionnel.
Ces articles affirment, en effet, l’attachement de la psychologie aux méthodes de la science tout en disant que la pratique du psychologue ne se réduit pas à leur application, qu’elle est indissociable d’une « appréciation critique » et que le psychologue est « averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations ». Ces repères s’avèrent capitaux aujourd’hui, il faudrait donc les rendre plus précis.
Le pas déontologique qu’il faudrait franchir maintenant nécessite de décrire plus nettement ce « caractère relatif » du savoir psychologique en précisant, par exemple, vis-à-vis de quoi ou vis-à-vis de qui il est relatif. Quels autres savoirs, quelles autres instances, sont en droit de relativiser un savoir psychologique aux yeux du sujet et dans quelles conditions de respect de notre travail et de sa liberté ? Pour répondre, il nous faut regarder en face la division qui nous traverse au lieu de regretter que la psychologie ne parle un langage uniforme.
La division pluridisciplinaire en psychologie
La pluridisciplinarité de la psychologie se distribue au-dessus du même fossé que celui qui divise les sciences humaines, c’est pourquoi notre force en face de leurs discours dépend de la manière dont nous assumons la division interne à notre science. Cette division s’articule autour de deux interprétations inconciliables des phénomènes psychiques soit en termes individuels susceptibles d’une inscription dans le corps physique, soit en termes collectifs susceptibles d’une inscription dans les relations sociales avec l’environnement.
Il s’agit de deux langages, tout aussi valides, mais qui se différencient en ne posant pas le même rapport entre le savoir du sujet et le savoir sur le sujet. Lorsque l’on inscrit les significations des événements du côté du corps, la parole du sujet est superflue, ce qui compte ce sont les traces physiologiques dont on peut lui démontrer l’existence. À l’inverse, lorsque l’on inscrit les significations du côté des relations, la version du sujet est incontournable, pour autant, il doit admettre également que des phénomènes ont pu lui échapper et qu’il doive en passer par le discours des autres pour en savoir quelque chose.
Les phénomènes psychiques sont donc soumis à cette double inscription, entre traces et représentations, qui met le sujet, mais le psychologue aussi, en suspens entre un débat sur les preuves matérielles et un débat sur les interprétations. Soit le savoir colle au matériel objectif au risque d’être difficile à subjectiver, soit il colle au discours subjectif au risque d’être difficile à objectiver.
Si certaines sciences humaines pensent pouvoir ignorer l’indécidable de cette alternative, la psychologie ne peut pas le faire, car le respect de son éthique est directement lié à sa pertinence : une avancée de l’éthique correspond à une avancée des conceptions théoriques. L’éthique n’est pas, pour la psychologie, la cerise sur le gâteau, c’est le gâteau lui-même : une définition théorique de « la » dimension psychique capable d’expliciter la raison de son hétérogénéité profonde se nourrira forcément d’une vigilance éthique à l’égard des conflits de savoirs produits, chez le sujet, par cette hétérogénéité.
Il s’agit donc, sur le plan déontologique, d’un au-delà du respect des droits civiques, il s’agit de fonder notre travail psychologique sur une attention exigeante envers l’ambiguïté de « la » dimension psychique qui n’est pas « une » mais plurielle.
C’est en assumant cette faille comme fondement d’un nouveau rapport au savoir que la pluridisciplinarité pourrait devenir plus explicitement l’assise éthique dont la psychologie a besoin pour assumer son statut scientifique sans mettre en péril les efforts de conscience déployés par nos contemporains à son égard. Faute de quoi, notre champ sombrera dans des pratiques spécifiques divergentes facilement instrumentalisables par les autres sciences humaines et par les tiers. Elle occuperait alors, par ses rituels, la place d’une idéologie et perdrait la confiance dont elle bénéficie encore.
Avant de les illustrer par deux exemples, résumons les points forts de ce qui précède :
◆ le travail psychologique est toujours inscrit dans un dispositif pluridisciplinaire,
◆ dans ce travail, « la » dimension psychique est sans cesse clivée par les deux systèmes de références inconciliables entre l’individuel et le collectif qui divisent la pluridisciplinarité de la psychologie ainsi que celles des sciences humaines,
◆ les tiers que sont la presse, les amis, la famille, les enseignants, les médecins, les juges, les travailleurs sociaux, les organismes solidaires, les institutions… tiennent des discours qui vont se loger dans l’indécidable de ce rapport,
◆ pour que le sujet puisse élaborer un discours qui le soutienne, la pluridisciplinarité des références doit lui être garantie, c’est une liberté d’ordre éthique qui l’autorise à articuler des rapports entre les savoirs qui le concernent, tâche qui lui revient en propre.
Deux exemples d’élaboration de la division pluridisciplinaire par le sujet
La première situation que je souhaite présenter est celle d’une mère qui a arrêté la psychothérapie de son enfant en échec scolaire, car elle n’a pas supporté que la collègue psychothérapeute refuse de la soutenir dans une demande d’évaluation du quotient intellectuel que des amis lui avaient conseillée. Pour notre collègue, le bilan n’était pas pertinent, il apparaissait plus urgent de soulager la problématique relationnelle entre cette maman et son fils dont l’intelligence était, par ailleurs, évidente.
La maman s’adressa d’elle-même au service consulté par ses amis ; elle fut rassurée par les résultats des tests, mais, ayant interrompu la psychothérapie, elle resta perplexe sur la suite à donner. C’est lors d’un entretien à l’école qu’elle put exprimer l’angoisse qui l’avait poussée à ce bilan : elle craignait, en effet, que son attitude particulière à l’égard de l’enfant ne lui causât un mal irréversible inscrit dans son corps. Les données excellentes de l’examen faisant preuve, pour elle, d’une intégrité sauvegardée, elle put s’engager dans une réflexion moins coupable sur ses relations avec lui. Mais la confiance s’étant dissipée, elle n’accepta de poursuivre le travail qu’en changeant de psychothérapeute.
La seconde situation présente ce travail d’élaboration de la division des savoirs au niveau de l’enfant et dans un rapport inversé entre les deux systèmes de références. Il s’agit d’un garçon ayant consulté ce qu’on appelle aujourd’hui un « centre de référence » chargé de diagnostiquer la dyslexie. Le centre est situé dans un hôpital et les références sont explicitement neurophysiologiques.
Ce garçon demanda à la psychologue spécialisée qui le déclarait dyslexique ce que cela signifiait. Notre collègue percevant l’inquiétude de l’enfant s’appliqua à lui expliquer la dyslexie en cohérence avec la pratique de son service, c’est-à-dire, selon son expression, en référence à « quelque chose qui ne fonctionne pas dans la tête ». Mais, pour l’enfant, cette référence entra en conflit avec une autre ; il rapprocha cette explication de la phrase que son père lui disait souvent quand il faisait des bêtises : « Mon pauvre garçon, tu n’as rien dans la tête ! »
Il ne dit rien de son interprétation, mais développa des symptômes comportementaux, il refusa de travailler et d’aller à sa rééducation jusqu’à ce que sa mère demandât un entretien psychologique à l’école. En contextualisant les deux discours dont l’un portait sur le développement de ses capacités et l’autre sur ses rapports avec son père, il a pu les relativiser, dégager ses difficultés scolaires de la culpabilité et réinvestir son travail.
Dans ces situations, on constate que l’efficace du travail de dégagement passe par la reconnaissance de la division de la dimension psychique et non par l’insistance sur une seule ligne d’interprétation. Cette articulation est facilement observable par le psychologue scolaire qui a souvent pour tâche de la « faire jouer » pour sortir des impasses.
Faire respecter par les tiers le droit à l’élaboration du sujet
Puisqu’il est impossible d’ignorer les tiers dans le travail psychologique et que leur discours est susceptible d’entretenir ou de renforcer les conflits d’interprétation qui font souffrir le sujet, nous devons nous montrer responsables de leur présence dans le système.
En psychologie scolaire, par exemple, nous sommes confrontés au fonctionnement univoque des commissions d’orientations spécialisées. Même si, très récemment, la logique s’est inversée, passant d’un raisonnement fondé sur la nature du trouble à une rationalisation du lien avec l’environnement, le fonctionnement ne tient toujours pas compte de l’élaboration que le sujet doit effectuer de la contradiction entre ces deux versants (qui sont justement ceux qui divisent la psychologie elle-même) : la référence au corps et la référence à la relation.
L’inversion de la logique ne change rien, car, s’ils sont employés seuls, ces deux langages ratent ce qu’il en est pour le sujet et conduisent à l’échec ou au conflit.
Le positionnement éthique qu’il convient donc d’adopter pour autoriser l’élaboration du sujet dans ces affaires d’orientation passe par l’élaboration de notre propre division interdisciplinaire, afin de ne pas être embarqués soit dans une querelle d’experts, comme c’était le cas par le passé, entre les points de vue pédagogiques, médicaux, sociaux et psychologiques, soit dans une bataille juridique comme ce sera le cas, dorénavant, entre une famille réclamant le respect de ses droits et des professionnels en difficulté pour le faire.
Ce positionnement éthique, aussi utile au sujet qu’aux institutions, supposerait que les psychologues scolaires pussent entretenir des relations statutaires suivies avec l’ensemble des partenaires de la décision (décideurs administratifs, experts médicaux et intervenants sociaux) afin de faire entendre, au bon moment, ce qu’ils perçoivent de la complexité de la vie psychique de l’enfant dans cet environnement où, justement, le trouble dont il souffre l’oblige à inventer, avec ses partenaires qui l’accueillent, le langage de son intégration. Faute de quoi, l’enfant et sa famille ayant l’impression que la décision se prend sans référence à leur élaboration des événements iront chercher auprès d’un avocat ou d’un juge la compréhension et l’accueil qu’ils ne peuvent trouver.
Aujourd’hui, l’école n’est plus un lieu où l’enfant et les parents doivent se taire ; pour différentes raisons, on les fait parler, alors il faut les entendre et accorder au psychologue de l’école une inscription institutionnelle qui lui permette de dénouer ces malentendus dont certains ont une valeur traumatique. Pour cela, il a besoin, comme tout psychologue, de développer une formation et une pratique pluridisciplinaire du fait que le travail psychologique, loin d’être frontal et parcellaire, passe par des détours qui prennent en compte la globalité de la personnalité et du lien social. Par exemple, il n’est pas concevable, pour un psychologue scolaire, de traiter séparément les problèmes d’apprentissages et ceux de la relation éducative.
Or, les institutions ont tendance à nier la nécessité d’une psychologie pluridisciplinaire tellement elles se focalisent sur leur mission spécifique et s’interdisent de nommer des problématiques extérieures à leur champ. Pour le sujet, il en va tout autrement, il doit élaborer les différences et, surtout, celles qui se nichent dans le savoir des autres sur lui.
La liberté d’élaboration
Puisque nous posons la liberté d’élaboration au cœur de notre projet éthique, il nous faut pouvoir en définir précisément les contours pour repérer les conditions de son respect. Les deux situations que nous avons évoquées mériteraient, à cet effet, d’être plus longuement développées de manière à faire apparaître le télescopage des deux langages par lesquels le conflit s’est noué puis le travail de démêlage de leurs champs et de leurs lieux de références par lequel il s’est dénoué.
Ce qu’il faut dire surtout, c’est que l’élaboration libre que nous appelons de nos vœux ne nous appartient pas : l’étincelle se produit chez le sujet, dans certaines conditions de liberté, une fois que nous l’avons aidé à repérer la distinction entre les deux langages. Il peut alors, éventuellement, si son économie le lui permet, faire le choix de les réconcilier en les articulant l’un à l’autre. Comme on s’habille en enfilant des couches successives que l’on finit par oublier sur soi, on construit son langage par strates à la suite de rencontres parfois fracassantes avec le langage des autres, mais que l’on « endosse » malgré tout, non sans souffrance.
On observe que la possibilité de l’adoption d’un langage nouveau dépend de toute une économie entre les identifications passées et présentes (y compris celles que propose, à son insu, le psychologue par le langage qu’il tient) et dépend donc des effets intimes et sociaux qui résulteront de ce changement, s’il se produit.
À cet égard, les étapes de la scolarité offrent, à chaque franchissement de cycle, l’occasion d’observer de telles confrontations à de nouveaux langages plus ou moins congruents avec ceux déjà pratiqués par ailleurs. À l’instar de ce que nous disions des langages disciplinaires en psychologie, les différences auxquelles sont confrontés les enfants ne sont pas que des différences de mots ou de valeurs. Si c’était le cas, il n’y aurait qu’un conflit d’options qui se résoudrait progressivement par une répartition des langages entre ses différents espaces de vie, mais la contradiction qui réclame une élaboration psychique n’est pas de cet ordre.
Il s’agit de dépasser le décalage entre deux langages dont les symboles ne positionnent pas le sujet à la même « distance » de son corps ni à la même « distance » de l’autre. Nous pouvons observer, par exemple, la difficile transition (transaction ?) entre le doudou et les mots de la maîtresse à l’entrée en maternelle ou la difficile transition entre l’oral et l’écrit à l’entrée du CP. Le langage que l’enfant a déjà endossé – et qui fait partie de lui au sens où il représente pour lui une réalité fiable réglant solidement sa distance à l’autre – se télescope avec un langage inconnu qui lui vient d’un autre énigmatique qui l’invite, avec plus ou moins d’empressement, à adopter ses signes.
C’est ce même genre de télescopage qui est arrivé à cette maman, que nous évoquions plus haut, pour qui le langage relationnel de la psychothérapeute de son fils était si totalement étranger qu’elle l’interpréta, dans le langage qui était le sien, comme un discours référé au corps. Le malentendu, ainsi provoqué, représentait une mise en cause insupportable dont elle ne pouvait sortir que par un acte qui fasse coupure et qui introduise une distinction entre les deux langages ; sinon, plus elle aurait écouté le discours psychologique, plus elle aurait été enfoncée dans l’angoisse.
C’est pourquoi la définition mono-disciplinaire d’une situation psychologique prend le risque de barrer l’expression des thèmes les plus fortement chargés de souffrance, obligeant le sujet à les dire par le truchement du discours d’une autre discipline, d’un autre spécialiste ou d’une autre institution. C’est donc seulement à la condition que nous puissions entendre la situation dans l’ensemble des langages à la disposition du sujet que celui-ci pourra laisser venir ces thèmes à la conscience et élaborer sa situation.
Cela signifie que le psychologue puisse appliquer cette éthique à lui-même pour qu’il puisse « entendre » le sujet aussi avec les mots des autres disciplines. En d’autres termes, cela signifie qu’il ne soit obligé ni de nier les autres disciplines pour s’en différencier ni de s’y soumettre pour les reconnaître.
Conclusion
Assumer la pluralité des savoirs et l’indécidable de l’interprétation qui apparaissent, à première vue, comme des fragilités, c’est, paradoxalement, ce qui nous donne du poids vis-à-vis des tiers, car c’est ce qui motive la confiance que nous accorde le sujet – au-delà de son accord civique – et dont dépend l’efficacité de notre travail.
En conclusion, on peut dire les choses ainsi : en articulant la pluridisciplinarité à l’éthique, on crée les conditions d’une parole élaborée chez un sujet, on approfondit une déontologie qui respecte la nature divisée de « la » dimension psychique et… on fait revivre l’esprit des États généraux. ■