Dossier : journal des psychologues n°254
Auteur(s) : Derome Muriel
Présentation
Le psychologue était autrefois perçu comme l’élément extérieur à l’équipe, n’ayant comme fonction que celle de l’évaluation psychométrique. En apprivoisant le milieu hospitalier, le psychologue a pu faire entendre une autre approche que celle purement somatique. Il est aujourd’hui complètement intégré dans les équipes pluridisciplinaires de façon à aider les familles, les enfants et les soignants, à mieux se comprendre et à trouver en eux les ressources nécessaires à la confrontation à la souffrance, au handicap, voire à la mort. Témoignage d’une pratique en évolution.
Détail de l'article
Le propos de cet article est de témoigner d’une pratique de psychologue au sein d’un pôle de pédiatrie bien spécifique, celui du service du Pr Estournet-Mathiaud, à l’hôpital Raymond-Poincaré, à Garches. Cette unité accueille des enfants porteurs de polyhandicaps ou de maladies chroniques (neuromusculaire, oncologie, etc.) en décompensation neurorespiratoire, mais aussi des enfants indemnes de pathologie chronique dans un contexte de noyade, d’intoxication au monoxyde de carbone, d’intoxication médicamenteuse (volontaire ou non), d’insuffisance respiratoire (bronchiolite, asthme, etc.), ou victimes d’accidents domestiques ou de la voie publique, ainsi que des nourrissons victimes de morts subites.
À partir d’une vignette clinique, celle de Jean, nous réfléchirons au rôle du psychologue dans l’accompagnement des enfants en fin de vie. Comment faire en sorte qu’un adolescent accepte d’être aidé dans les dernières semaines avant sa mort ? Comment étayer des parents pour qu’ils renouent un lien avec leur enfant en fin de vie ? Comment aider une équipe à ne pas fuir la souffrance et la mort ?
Nous tenterons de montrer comment et pourquoi le psychologue a toute sa place dans ce type de service, en abordant l’intervention psychologique auprès des enfants et des familles, ainsi qu’en valorisant l’importance du travail institutionnel(*).
De l’hospitalisation à la réunion de synthèse
L’arrivée d’un psychologue au cœur d’une institution où tous s’occupent du somatique peut être perçue comme très dérangeante, voire violente. C’est pourquoi, l’évaluation psychométrique est un bon moyen pour faire entendre une approche clinique.
Nous avons débuté notre pratique en commençant par répondre aux demandes d’évaluation psychométrique. Ce faisant, un savoir-faire a pu être reconnu (les médecins ont particulièrement besoin de sentir que les psychologues ont, comme eux, des outils qui permettent de donner les conclusions argumentées !). Progressivement, au-delà des chiffres de QI, un autre type d’écoute de l’enfant et de sa famille a pu être entendu.
Indépendamment du travail clinique, cette période a correspondu, pour nous, à un temps de découverte réciproque. Les médecins, par leurs demandes de bilans psychologiques, cherchent aussi à savoir qui est le psychologue, quelle est sa façon de se positionner, quelles sont ses références théoriques ou éthiques. Beaucoup de discussions à propos de tel ou tel enfant sont en fait des combats entre différents points de vue et une recherche de terrain d’entente. Par exemple, l’hyperactivité d’un enfant est comprise de manière très différente par le neuropédiatre ou par le psychologue. Peu à peu, chacun des membres de l’équipe pluridisciplinaire comprend l’intrication des problèmes neurophysiologique, physique et psychologique et une grande richesse peut découler de la complémentarité des points de vue. Au départ, ces discussions informelles se jouaient au détour de rencontres dans les couloirs, mais aujourd’hui ces échanges sont institués lors de réunions prévues pour parler de chaque enfant rencontré en bilan. Ainsi, dans notre service, chaque semaine, médecins, neuropédiatres, psychologues, neuropsychologues, orthophonistes, ergothérapeutes, exposent leurs points de vue, souvent divergents, afin de proposer aux familles une approche de qualité et des propos cohérents.
Accompagner la fin de vie en service pédiatrique
Tout commence toujours par une rencontre. À chacune d’elle se joue quelque chose de spécifique qui nous oblige à inventer et à ajuster notre façon d’être et notre pratique. C’est notre rencontre avec Jean qui, par sa perspicacité et sa facilité à parler de la mort, va nous apprendre comment il est possible d’accompagner une personne en fin de vie.
Accompagner l’enfant malade
Jean est un adolescent de dix-sept ans atteint d’une maladie de Recklinghausen. Il a pu maintenir une vie complètement normale jusqu’à l’âge de quatorze ans. Mais, avec la découverte d’une tumeur au niveau du tronc cérébral, tout devient nettement plus difficile. Plusieurs opérations et chimiothérapies sont tentées, mais la tumeur ne cesse d’augmenter. L’état de santé de Jean se détériore. Il est alors scolarisé au lycée de l’hôpital et est hospitalisé le jour. Puis, quand son état de santé s’aggrave, il reste alors à l’hôpital jour et nuit. Jean se retrouve extrêmement diminué. Au niveau tactile, sa sensibilité est très réduite. D’importants problèmes d’équilibre lui font perdre la possibilité d’écrire et de marcher. Il est en fauteuil roulant. De plus, des troubles majeurs de la déglutition l’obligent à utiliser en permanence une machine pour avaler sa salive. Il est alimenté par sonde gastrique et perd ainsi un des plaisirs qu’il appréciait le plus, celui de la table. Il doit être trachéotomisé et ventilé la nuit. Il a compris qu’il est à la fin de sa vie.
Constatant les pertes dues à sa maladie et confronté à la tristesse de devoir quitter sa vie, Jean est très dépressif ; cette phase de dépression dans cette double dimension a été très bien décrite par E. Kubler-Ross (1975). Au fil des jours, Jean passe par différents états. Il commence par désinvestir ce qui l’intéresse le moins, à savoir l’école. Ensuite, il n’adhère plus aux soins. Il en vient même à tenter à deux reprises de se suicider. Les soignants, sous le choc, nous demandent d’intervenir : « Il faut faire quelque chose ! » (Il aura fallu près de dix ans pour que le « Qu’est-ce qu’on peut faire ? » puisse se transformer en « Comment être ? » ; le passage d’un « savoir faire » à un « savoir être » reste toujours d’actualité !)
Lors de notre première rencontre, Jean nous dit : « Je sais que je vais mourir, mais les médecins sont trop lâches pour me le dire et mes parents sont trop tristes pour m’en parler. »
Nous lui répondons : « Je ne te connais pas, mais, en tout cas, je trouve que c’est super que tu puisses en parler et que tu ne gardes pas tout ça pour toi. »
Très étonné, il reprend : « Alors là, c’est bizarre, d’habitude, dès que je dis que je vais mourir, tout le monde me dit “Mais arrête ! N’importe quoi ! Ne raconte pas des bêtises.” Mais, moi, je ne suis pas fou, je sais ce que je dis et pourquoi je le dis, et je veux pouvoir en parler. »
La question redoutable est très vite apparue : « Est-ce que c’est vrai que je vais mourir ? » Il faut alors pouvoir répondre : « Je pense que si tu dis ça, c’est que tu as de bonnes raisons de le penser… Tu es le seul à savoir exactement ce que tu vis. Raconte-moi, qu’est-ce qui te fait dire ça ? »
Jour après jour, grâce à un travail psychologique, Jean exprime de plus en plus sa souffrance. Se sentant écouté, il entre progressivement dans une autre phase, celle de l’acceptation.
Accompagner un enfant en fin de vie, c’est avant tout rester à son écoute, affronter les questions qui mettent si mal à l’aise (même si, et surtout si, on ne sait pas comment y répondre !). Et c’est aussi accueillir ses interrogations sur sa propre mort pour lutter contre la solitude, la peur, l’angoisse, la colère, etc.
Accompagner les familles
L’approche de la mort attaque les liens et, par la même occasion, fait fuir les proches.
Quelques jours après notre rencontre avec Jean, nous sommes entrés dans sa chambre pour y rencontrer ses parents. Comme souvent dans ces moments-là, la télévision est allumée toute la journée, comme un paravent pour ne pas être confronté au silence, à la souffrance, à la solitude. C’est toujours un moment très important, ce moment où l’on vient déranger ce qui est transi, figé. Pour beaucoup d’adultes aussi, il est impensable d’entrer dans le bureau d’un psychologue. Les résistances sont grandes et tournent toujours autour d’un même refrain : « Je ne suis pas fou, j’ai pas besoin d’un “psy”. » Bien souvent, les familles veulent surtout qu’on ne touche à rien de ce pseudo équilibre qu’ils ont trouvé. Lorsque nous nous présentons pour la première fois, les parents ont surtout envie d’être seuls pour pouvoir souffrir tranquillement, sans qu’on se mêle de leur histoire.
Avec la mère de Jean, nous découvrirons ce qui se joue autour de la porte : dès que l’on se présente en tant que psychologue, on nous répond systématiquement : « Merci, on a besoin de rien ! » Et puis, les parents ressortent de la chambre pour dire : « Alors, surtout, vous ne lui dites pas qu’il va mourir, vous ne lui parlez de rien. » Nous leur répondons : « Oh, moi non, mais lui en parle beaucoup ! » Très surpris, les parents acceptent alors de venir en parler dans notre bureau… L’accompagnement commence. Quelques éléments signent son bon déroulement. Les parents éteignent la télévision, ils se remettent à parler avec leur enfant, à le regarder, à le toucher, à oser l’aimer, alors même qu’ils ne le verront bientôt plus… toutes ces petites choses qui joueront un rôle essentiel au moment où le deuil viendra effectuer son travail.
En phase terminale, Jean a perdu toute autonomie motrice et tous ses sens, à l’exception de la vue qu’il conserve (jusqu’à son entrée dans le coma). Sa mère, terrorisée par la situation, demande aux équipes si « ça ne serait pas mieux qu’on lui donne quelque chose pour qu’il dorme ». Mais nous lui montrons qu’une communication subsiste grâce à l’instauration d’un code (lettres sur un tableau) avec des signes de tête et des clignements d’œil. Elle s’aperçoit alors que Jean est dans une période où il cherche avant tout à savourer les petits bonheurs de chaque jour, comme par exemple regarder, encore une fois, tomber la neige, admirer un rayon de soleil. Elle peut alors instaurer une relation avec Jean et ainsi se réapproprier son rôle de mère.
Accompagner les parents, c’est leur redonner une image positive d’eux-mêmes et accueillir leur ambivalence pour leur permettre d’investir l’instant présent.
Accompagner aussi les autres enfants hospitalisés et leurs familles
Jean a été hospitalisé pendant trois ans. Il était donc connu de tous et avait créé des liens privilégiés avec certains jeunes hospitalisés. Au cours d’un séjour hospitalier, ces jeunes ou leurs familles observent, perçoivent, les tensions et les questions des soignants, et s’interrogent. Pour ces enfants, c’est une charge d’angoisse énorme que de sentir, d’une part, les inquiétudes et les malaises d’une équipe qui ne peut plus guérir et, d’autre part, la réalité de la dégradation du corps de leur ami et de sa mort. Que leur dire à ce moment-là ? Il nous semble important de susciter une occasion d’aborder le sujet de la mort, en les laissant libres de saisir ou non cette opportunité.
Il est souvent souhaitable d’instaurer un dialogue avec chaque patient concerné par le décès, en raison d’une relation amicale ou simplement de la promiscuité des chambres. Mais cela suppose de trouver le bon moment, la « bonne personne » et la façon la plus adéquate de dire les choses. Dans beaucoup d’équipes, personne ne veut annoncer un décès aux autres enfants malades, certains soignants espérant parfois qu’ils ne poseront pas de question. Le psychologue ne connaît pas forcément tous les patients. Il peut, en revanche, accompagner le soignant qui les connaît bien, afin de le soutenir et le seconder, si l’annonce devient trop difficile ou les questions trop délicates pour lui.
Accompagner les soignants
Dans l’immédiateté de la réalité clinique
Alors que les parents de Jean ne sont plus du tout dans ce questionnement, les équipes s’interrogent : « Doit-on vraiment lui infliger ça jusqu’au bout ? Sa mère a peut-être raison, on devrait peut-être l’endormir pour qu’il ne se sente pas humilié d’être si diminué. » ; « Moi, je ne supporterais pas… » Dans ces cas, les soignants sont tellement préoccupés par la décision qu’ils pensent devoir prendre qu’ils ne se rendent pas compte que cette mère est en train de vivre un des plus grands moments d’amour avec son fils. Le psychologue devient alors le lien entre les différents protagonistes, en rapportant certains des propos de Jean : « Je suis bien… Comme ce rayon de soleil est beau aujourd’hui… » La communication se remet à fonctionner, leur regard se pose alors différemment sur Jean.
La période de fin de vie d’un jeune confronte chaque soignant à ses limites. Chacun perd ses illusions de toute-puissance. Il s’agit de faire face à sa propre angoisse de mort. Certains y parviennent, d’autres ne supportent pas la proximité de la mort.
Il y a dix ans, il était courant, le jour de la visite, d’éviter la chambre d’un enfant en fin de vie. Lorsque nous proposions d’aller prendre des nouvelles pour savoir comment s’était passée la nuit, comment allaient les parents, etc., les mécanismes de défense des soignants étaient très opérants et les objections toujours très pertinentes : « Puisqu’il n’y a plus rien à faire et rien à dire, pourquoi veux-tu qu’on entre ? » ; « Tu ne trouves pas que c’est quand même plus cohérent de s’occuper de ceux qui ont une chance de s’en sortir ? »
Tout cela est à situer dans un contexte : les soignants entendent tout au long de leur formation et de leur pratique hospitalière : « Surtout, ne vous attachez pas aux patients et à leur famille » ; « Il faut rester professionnel et ne pas s’attacher. » Mais demander à quelqu’un de ne pas s’attacher, c’est lui demander de ne pas écouter son cœur, c’est lui demander de perdre son humanité !
Notre démarche est très différente, puisque nous proposons une autre approche : oser s’attacher mieux pour mieux se détacher. En effet, pour que des soignants puissent surmonter sans trop de séquelles la confrontation répétée à la maladie grave et à la mort, il est nécessaire que chacun puisse être attentif à soi-même, à ses propres besoins, pour être dans un juste rapport à l’autre. Parfois, ce sera simplement faire respecter ses horaires de travail et passer le relais à l’équipe suivante, ou qu’un temps d’arrêt, de deuil, soit accordé juste après la toilette mortuaire. D’autres fois, au contraire, ce sera oser ces petits gestes tout simples qui changent la vie : passer dire bonjour à l’enfant ou à sa famille, même si on ne s’occupe pas de lui ce jour-là ou, pendant les soins, prendre le temps de raconter une petite histoire ou de chanter une chanson. Il faut souvent beaucoup de courage pour rester fidèle à son éthique !
Après chaque décès, le psychologue est là pour inviter ceux qui étaient en lien avec l’enfant qui vient de mourir à prendre le temps de mettre en mots ce qui a été vécu. La parole partagée permet de ne pas fixer des souvenirs culpabilisants ou anxiogènes.
Au long cours : le travail institutionnel
Le soutien des équipes pluridisciplinaires est une part très importante du travail du psychologue en milieu hospitalier. L’écoute et les échanges contribuent à ce que, très lentement, les habitudes et les « mentalités » évoluent. Ces rencontres pourront, selon les situations, avoir lieu de façon formelle ou informelle (le plus souvent dans les couloirs).
Néanmoins, les réunions formelles sont essentielles, les réflexions collectives pluridisciplinaires sur des questions fondamentales (éthiques, thérapeutiques, etc.) permettant de souder les équipes et d’éviter des malentendus. Dans notre service, chaque mois, des représentants de chaque discipline (médecin, kinésithérapeute, infirmière, aide-soignante, ergothérapeute, psychologue, etc.) se retrouvent pour échanger sur un thème important issu de notre pratique, comme, par exemple : Comment améliorer l’accueil des enfants et de leurs familles ? Quelle place donner aux parents pendant les soins ? Comment rester attentif à chaque enfant au moment de la visite médicale ? Comment rendre ce moment plus humain ?
Ainsi, le soutien au long cours des équipes fait partie intégrante du travail institutionnel. Différents outils permettent de l’accompagner au mieux. Il s’agit de la réunion de synthèse ou des réunions annuelles, ainsi que de l’offre de formation. Dans notre pratique, ces outils se révèlent être de belles occasions de souder les équipes.
La réunion de synthèse
Dans notre service, la réunion de synthèse hebdomadaire permet de se poser pour réfléchir en équipe pluridisciplinaire à ce que nous vivons. Il est primordial d’aider chaque intervenant à mettre des mots sur les situations rencontrées, surtout quand les points de vue sont divergents. Mais il s’agit d’un travail de longue haleine, car, si nous n’y sommes pas vigilants, les discussions restent très médicales et évitent d’aborder l’enfant et sa famille dans leur globalité. Le psychologue, par sa façon de relever les paradoxes, de poser les questions éthiques ou simplement de faire entendre une autre approche que celle purement somatique, aide les équipes à réfléchir à la manière d’aborder les familles.
La synthèse des synthèses
Une fois par an, nous prenons le temps de relire les moments forts de l’année, en mettant des mots sur ce qui n’a pas été réussi, ce qui nous a manqué, ce qui nous a marqué, choqué ou ce qui est resté incompris. Mettre des mots sur les malentendus aussi bien en lien avec une famille que par rapport à un fonctionnement interne. Nous veillons aussi à reprendre, point par point, les éléments positifs : rappeler les enfants sauvés, les familles qui remercient et qui continuent à donner de leurs nouvelles. Prendre le temps de remercier les uns et les autres est essentiel pour le maintien de la motivation et de l’investissement de chacun.
Les formations
Avec une psychologue extérieure à l’hôpital, nous mettons en place des formations de trois fois deux jours, durant lesquelles nous nous retrouvons pour aborder des questions essentielles, comme, par exemple : quand un enfant va mourir, comment travailler en équipe et ne pas fuir ? Avant de former les équipes sur les besoins des familles ou des enfants, et avant d’expliquer les différentes approches culturelles de la mort, nous invitons les participants à prendre le temps de se poser ensemble pour réfléchir à leur vécu personnel, puis professionnel. Nous partons de questions telles que : « Quand, dans votre vie personnelle, vous avez été confronté à la perte d’un être cher ou de quelque chose qui était très important pour vous, qu’est-ce qui vous a aidé ? Qu’est-ce qui vous a manqué ? » Nous abordons ensuite les décès qu’ils ont rencontrés dans leur vie professionnelle avec cette même interrogation : « Qu’est-ce qui vous a aidé ? Qu’est-ce qui vous a manqué » Ces formations permettent, au-delà des connaissances intellectuelles, de mieux comprendre qui on est, avec qui on travaille et quelles sont nos ressources personnelles et d’équipe. Ces rencontres pluridisciplinaires sont l’occasion, pour chacun, de se montrer non pas uniquement en tant que professionnel, mais en tant que personne.
Ainsi, lors des réunions de synthèse, chacun peut donner plus aisément son point de vue sur la situation et s’exprimer avec toute son humanité.
Ces formations, très demandées par les soignants, permettent aussi de resserrer le lien médecins-infirmier(e)s ou médecins-aide-soignant(e)s. Certes, les divergences de point de vue demeurent, mais chacun est plus respectueux, attentif et compréhensif de la position de l’autre.
Et le psychologue dans tout ça ?
Face à ces enfants gravement malades ou en fin de vie, les psychologues doivent apprendre à s’adapter. Il nous faut, par exemple, pour pouvoir accueillir un enfant sans aucune autonomie respiratoire, dans notre bureau, apprendre un minimum de gestes de réanimation, ceux à effectuer jusqu’à ce qu’un soignant prenne la relève. Alors que nous avons appris à ne pas toucher, il nous faut comprendre ce que le patient nous dit non plus à travers des mots, mais à travers des maux, à travers son corps : une poignée de main, un regard, une mimique… nous devons sentir l’expression non verbale de l’angoisse. Déceler si le patient a besoin de silence ou, au contraire, s’il attend nos questions. Enfin, il faut quelquefois, avec une extrême délicatesse et une grande attention, chercher à reformuler ce que le patient nous dit avec des lettres montrées sur un tableau, un hochement de tête ou simplement un regard.
Être psychologue va souvent de pair avec une invitation permanente à se remettre en question. Il s’agit d’accepter de douter plutôt que de chercher des certitudes.
Pour s’adapter, en tant que psychologue, à la spécificité de chaque situation, il nous faudra surtout être créatif et oser inventer ! Dans le cas contraire, notre travail ne sera que peu utile, car il apparaîtra comme en décalage par rapport aux situations vécues par les patients et les équipes qui les prennent en charge.
Au niveau institutionnel, le travail du psychologue ne porte de fruits qu’à très long terme. Alors, ne nous décourageons pas ! (Le découragement n’est-il pas notre pire ennemi ?) Veillons à prendre soin de nous, soyons attentifs à nos propres besoins ! Autrement, l’attention portée à nos jeunes patients, à leur famille ou aux équipes soignantes, sonnera faux et restera stérile.
Enfin, la présence du psychologue dans un service de pédiatrie de pointe, tel que le service de réanimation de l’hôpital de Garches, apparaît donc comme fondamentale pour permettre un fonctionnement plus adapté tant pour les patients et leur famille que pour le personnel tout entier impliqué dans les soins. Elle garantit, dans le travail de soin, la prise en compte de la dimension psychologique, mais aussi et, dans le même temps, de dimensions plus spirituelles, sociales et humaines. Ce qui permet, ainsi, de faciliter le travail des soignants reconnus comme « humains soigneurs » et la prise en charge des patients enfin reconnus, comme « hu-mains soignés ». ■
Note
* Une réflexion sur ce thème a été présentée lors du Colloque francophone « Psychologie et psychopathologie de l’enfant. 30 ans de clinique, de recherches et de pratiques », les 11, 12 et 13 octobre 2007, au Palais de la Mutualité, à Paris.