L’irruption du Covid est assurément à la fois un drame collectif et une expérience hors norme. Entre réflexion sur les incidences sociétales et les bouleversements de l’intime, un témoignage sensible d’une psychologue, qui résonne fortement pour chacun d’entre nous.
Je suis psychologue, neuropsychologue, thérapeute familial, docteur en neurosciences, comme une partie de mes collègues.
Je suis mère de 2 enfants de 5 ans, comme quelques parents.
Je suis célibataire, comme beaucoup de femmes.
Je suis confinée comme tout le Monde.
J’ai laissé mes patients, sans les prévenir, les préparer, ni les rassurer.
J’ai quitté mes collègues, sans mot, sans consigne, sans transmission.
J’ai déserté mes lieux de travail : le centre de rééducation et le foyer d’hébergement sans échéance de retour.
J’ai lâché mes dossiers, mes projets, sans les achever, ni les ranger.
J’ai suis rentrée chez moi dans l’incertitude, l’inquiétude, le doute et la culpabilité.
J’ai vécu un véritable parcours du combattant pour régulariser le fait de rester à la maison pour garder mes enfants (asthmatiques, donc à risque). J’ai dû faire face à des personnes, malmenée par leur hiérarchie et empêtrées dans des informations peu claires, qui me malmenaient également par des réflexions culpabilisantes, suspicieuses et des consignes absurdes et contradictoires. Sinistre et cynique expérience car j’aurai préféré être sur le front avec mes collègues et parce que je lutte depuis 5 ans pour que ma situation personnelle cesse enfin d’impacter à ce point ma vie professionnelle.
J’ai essayé de ne pas succomber à l’inquiétude liée aux incertitudes et à la gravité de la situation.
J’ai tenté de résister aux pressions et aux injonctions paradoxales émanant des médias, de l’école, de mes lieux de travail.
Je me suis jurée de ne pas subir cette période mais de la transcender, de profiter d’un rythme de vie devenu temporairement plus humain, moins contraint par les horaires, les trajets, les obligations, pour profiter de ceux qui comptent le plus et me recentrer sur mes priorités.
J’ai poussé les meubles de mon salon, organisé une salle de classe pour mes enfants : table basse, mini chaises et tableau Velléda, comptine du train de la semaine au mur. J’ai fait des fiches d’activités prévues, réalisées, réussies, ratées, appréciées ; des fiches de récompenses pour motiver… Nous avons compté, récité, chanté, déchiffré chaque jour. J’ai repensé l’organisation, dédoublé mon temps et personnalisé les activités pour m’adapter à la rivalité entre les enfants, à leurs comparaisons et à leurs remarques blessantes.
Je me suis lassée.
J’ai créé des jeux pour mes enfants, j’ai maintenu leurs routines, je les ai habillé, lavé, je leur ai expliqué ce que nous savions et inventé ce que nous ne savions pas, j’ai innové pour dédramatiser, pour distraire. Je me suis levée la nuit pour rassurer après les cauchemars et les crises d’asthme. Je me suis levée tôt le matin pour les petits déjeuners et couchée tard le soir pour endormir, apaiser, raconter, chanter, bercer.
Je me suis épuisée.
J’ai lu des livres d’éducation positive et de pédagogie pour m’assurer d’être la meilleure des mères et d’appliquer le best of des méthodes éducatives. J’ai du me résoudre à fermer ces livres et essuyer mes larmes de culpabilité et penser, imaginer, tout essayer, pour faire face à leurs manières de lionceaux féroces, affamés d’amour pour leur mère, et prêt à tout pour éliminer la menace que constitue la présence de l’autre.
Je me suis effondrée.
J’ai pensé à ma famille, ma mère si proche, ma sœur si différente et indifférente, à toutes les choses qu’on ne se dit jamais. J’ai pensé à mes frères si malades, mon père si loin, si absent depuis trop longtemps… Je suis hantée par l’idée du pire des scénarios. J’ai imaginé rompre le silence mais les années l’ont rendu trop lourd.
Je me suis ravisée.
Cette période m’apparaît comme une crise identitaire de tous les niveaux. Au niveau sociétal, parce qu’il y a dans la présence de ce virus comme un message dénonciateur de l’incompatibilité entre les choix politico-économiques et la Vie sur Terre. Il apparaît évident pour beaucoup que cela est le signe de la nécessité de repenser fondamentalement nos choix et modes de vie. Au niveau individuel, parce que la solitude est le miroir de notre Être profond et fait rejaillir la partie de nous même que le tumulte de nos vies occidentales ne nous permettent pas de contempler ni d’apprivoiser. Mais comment se redéfinir quand le seul pan restant de notre vie n’apporte plus son lot de satisfaction tellement l’épuisement a pris le dessus ? Comment reconnecter avec sa vie professionnelle, prendre soin des autres et être crédible quand nous sommes nous même personnellement mis a mal ? Comment revenir auprès des collègues avec cette culpabilité abyssale d’avoir quitté le navire en pleine tempête ?
Ce texte n’est pas un mea culpa ni une façon de démontrer une quelconque équivalence de souffrance. Je suis convaincue que cette période est une épreuve pour chacun d’entre nous pour des raisons intimes et individuelles. Ce texte est simplement un témoignage, une façon de partager avec ceux qui m’entourent. Une façon de ne pas subir, de transcender cette expérience, et donc de revenir.
Marion Amirault.
Psychologue, neuropsychologue et thérapeute familial