Remboursement des psychologues : un projet déontologiquement compatible ?

Papiers Libres le 22 mars 2021

Le projet de remboursement des psychologues me fait réagir à plusieurs égards déontologiques pour lesquels je vais tâcher de faire un pont direct entre Code de déontologie et réalité de terrain dans ma pratique libérale. Pour ce faire je vais me pencher plus précisément sur le Principe premier du Code de déontologie, puis sur les articles 2, 3, 27 et 28 portant sur la définition de la profession. Je me permettrai aussi au fil de mon texte de m’appuyer sur quelques citations d’Éric Fiat, agrégé de philosophie et maître de conférence, pour m’aider à prendre un peu de hauteur.

Principe 1 : Respect des droits de la personne : « Le psychologue réfère son exercice aux principes édictés par les législations nationale, européenne et internationale sur le respect des droits fondamentaux des personnes, et spécialement de leur dignité, de leur liberté et de leur protection. Il s’attache à respecter l’autonomie d’autrui et en particulier ses possibilités d’information, sa liberté de jugement et de décision. Il favorise l’accès direct et libre de toute personne au psychologue de son choix […].»

Article 2 : « La mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique. Son activité porte sur les composantes psychologiques des individus considérés isolément ou collectivement et situés dans leur contexte.»

Selon moi, il s’agit bien du respect de la personne et de soi-même lorsque le psychologue prend le temps d'accueillir et réfléchir avec ses patients. Lorsqu’une personne vient consulter un psychologue elle dépose son histoire, ses émotions… Si celui-ci n’a pas le temps, regarde sans cesse son horloge et ne pense qu'à son chiffre d'affaires, comment cette personne pourrait-elle se sentir accueillie et respectée ?

Nous imposer un montant réduit et réducteur sonne pour moi comme une violence et un manque de respect. Que deviendrait l’ego s’il ne prenait plus le temps de rencontrer l’alter ?

Pour Éric Fiat « le respect est le contraire de la violence car la violence réduit l’autre au statut d’objet et de moyen. Le respect, lui, ne réduit pas.»

Article 3 : « Ses interventions en situation individuelle, groupale ou institutionnelle relèvent d’une diversité de pratiques telles que l’accompagnement psychologique, le conseil, l’enseignement de la psychologie, l’évaluation, l’expertise, la formation, la psychothérapie, la recherche, le travail institutionnel. Ses méthodes sont diverses et adaptées à ses objectifs. Son principal outil est l’entretien

Une journée normale au cabinet ce sont sept situations différentes sur des entretiens pouvant aller de 45 minutes à 1h30 selon si je reçois en individuel, couple ou famille. Je parle évidemment du temps en consultation. Autour de cela, je passe plusieurs heures à actualiser mes connaissances, analyser, appeler d'autres intervenants, m'offrir une supervision pour me remettre en question, lire, écrire, préparer mes prochaines séances...

J'aime mon métier en grande partie pour cet espace de pensée qui me permet de sentir quand je fais du bon travail. J'aime aussi l'idée que mes collègues et moi ne travaillions pas tous de la même manière, je les respecte et me nourris de nos différences.

Éric Fiat dit, en parlant de la philosophie, « je pense qu’une certaine lenteur est nécessaire à l’exercice de la philosophie », j’en conviens tout autant pour l’exercice de la psychologie.

Article 27 : « Le psychologue privilégie la rencontre effective sur toute autre forme de communication à distance et ce quelle que soit la technologie de communication employée. Le psychologue utilisant différents moyens télématiques (téléphone, ordinateur, messagerie instantanée, cybercaméra) et du fait de la nature virtuelle de la communication, explique la nature et les conditions de ses interventions, sa spécificité de psychologue et ses limites. »

Selon moi, il serait dangereux de coller un modèle trop « médical » au métier de psychologue et à la thérapie. Les orientations qui me sont faites par des médecins sont plutôt rares et jamais sous prescription, ce sont les personnes qui décident ou non de venir et c'est bien souvent gage d'un meilleur travail. 

Nous travaillons avec le complexe, il nous faut parfois du temps pour trouver les bons mots, ceux qui vont éclairer la situation, c'est un travail d'équipe avec les personnes qui viennent nous consulter. Le risque avec un modèle tel que celui-ci serait que les personnes nous assimilent à une sorte de médicament à effet immédiat, ce qui n'est absolument pas le travail du psychologue. Il nous faut encourager nos patients à réfléchir et chercher avec nous, pas leur laisser penser que nous sommes des magiciens. Bien que la période de la Covid-19 nous pousse à nous adapter à certains besoins, ma plus grande crainte serait que notre métier devienne une sorte de téléconsultation de 15 minutes, déshumanisée et disqualifiante où nous ne pourrions plus ressentir aucune forme de sollicitude pour quiconque.

Il me semble qu’il serait bien plus intéressant de s’intéresser à tous les droits que les psychologues ont si bien su conserver au bénéfice d’autres corps de métiers qui, peut-être, se sentent désormais enfermés dans une forme de travail à la chaîne.

Éric Fiat reprend Emmanuel Kant « pour arriver au respect pratiquons l’exercice de notre pensée élargie. Cela consiste à ne pas réduire autrui à son ici et maintenant, à pratiquer une petite gymnastique de la raison et dans le temps et dans l’espace. »

Article 28 : « Le psychologue exerçant en libéral fixe librement ses honoraires, informe ses clients de leur montant dès le premier entretien et s’assure de leur accord.»

Cela fait six ans que je travaille en libéral et rares sont les patients qui se sont plaint de mes tarifs. J’ai conscience qu’en libéral nous ne pouvons accueillir qu’une partie de la population qui peut s’offrir ces séances mais cela permet aussi d’éviter les saturations des CMP qui accueillent gratuitement ceux qui sont les plus précaires. De moi-même, je peux décider de faire un tarif spécial pour les étudiants ou demandeurs d’emploi mais si je devais faire toutes mes séances à 22 ou 32 euros sans dépassement d'honoraires je devrai raccourcir la durée de mes entretiens et faire d’avantage de séances pour pouvoir payer mon loyer, mes charges, etc. Je n'aurai plus le temps pour penser, lire, contacter mes collègues, je travaillerai moins bien et très rapidement je sombrerai dans un sentiment d'incompétence qui m'amènerai doucement vers l’épuisement professionnel. Alors je prendrai rendez-vous avec un collègue qui serait peut-être dans la même situation. Ne serait-ce pas le comble pour un psychologue de finir en burn-out ?

Éric Fiat reprend Emmanuel Kant : « Les choses ont un prix mais l’homme, lui, a une dignité. »

 

Ludivine Artus.

Psychologue clinicienne et thérapeute systémique en libéral

 

Pour aller plus loin :

Fiat E., 2013, Cours sur la dignité date du 14 janvier 2013.

Fiat E., 2013, Cours sur le respect du 11 février 2013.

Fiat E., 2015, Éloge de la lenteur et de la patience.

Le Code de déontologie des psychologues

 

Partage sur les réseaux sociaux

Abonnez-vous !

pour profiter du Journal des Psychologues où et quand vous voulez : abonnement à la revue + abonnement au site internet

Restez Connecté !

de l'actualité avec le Journal des Psychologues
en vous inscrivant à notre newsletter