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Enclin à dénoncer le néolibéralisme et, par la même occasion, le néofascisme qui en découle du fait de l’exacerbation de l’individualisme, Roland Gori se penche aujourd’hui sur la normalisation technique de l’humain. Dans son dernier ouvrage, il montre comment elle impose une forme de système totalitaire. Cet impensé anthropologique des libéralismes conduit l’auteur à la question du désert politique.
D’où cette interrogation persistante : comment restituer au politique sa fonction essentielle dans l’humanisation de l’espèce ?
L'histoire serait-elle un éternel recommencement ? Les pratiques libérales de gouvernement en organisant la société sur les valeurs bourgeoises de compétition et d'individualisme ne conduisent-elles pas à terme au désordre social et à l'apathie politique ? Sans céder au "démon de l'analogie" en Histoire, l'ouvrage montre les liens étroits qui, depuis la fin du XIXe siècle jusqu'à nos jours, unissent les crises politiques des libéralismes aux discrédits des institutions parlementaires, à l'émergence des populismes, et aux violences destructrices des guerres et des terrorismes. A chaque fois le monde de la sécurité, établi sur les promesses sociales et politiques de la raison, de la responsabilité morale, de l'autonomie de la volonté individuelle, de l'émancipation par le développement des techniques et des sciences, à chaque fois ce monde s'effondre. A chaque fois, la raison et la liberté se révèlent comme des illusions hypocrites permettant la soumission sociale des peuples. A chaque fois l'espace authentique du politique se réduit comme peau de chagrin au profit de dispositifs aliénants, mais efficaces, contraignant les individus à s'adapter aux automatismes des machines et des procédures. A chaque fois l'accroissement des richesses collectives s'accompagne du profit de quelques-uns aux dépens de tous.
Nombreuses sont les recherches qui décrivent l'impact du capitalisme néolibéral sur nos modes de vie, sur la culture, sur les façons de vivre ensemble, en un mot : sur les sujets. Il est indéniable qu'aucune société ne saurait se protéger totalement des effets d'une logique commerciale qui impose sa marque en tant que pratique, mais aussi en tant que modèle prêt-à-penser. Le marché, le saint-Marché - saint parce qu'il prétend occuper l'espace de la transcendance - n'agit plus seulement sur l'acte d'achat. En venant se poser dans une logique de saturation, il entraîne avec lui tout un dispositif de déni du manque, attaquant ainsi les racines mêmes de la parole. Après avoir vécu dans une société de consommation, nous entrons dans l'ère de la société de saturation qui entraîne, quoi qu'elle en veuille, une véritable haine de la parole, laquelle se manifeste dans les faits de discours par la perversion du statut de la parole. Le saint-Marché a pris la place précise de toutes les transcendances. Il prône une saturation sans cesse appelée à être dépassée et indéfiniment renouvelable, totalement antagoniste avec la structure même du langage reposant sur le manque. C'est ainsi que cette saturation, mode d'action et facteur de la haine de la parole, agit de fait sur les articulations entre la sphère symbolique et le réel. Ne le voit-on pas à l'œuvre dès aujourd'hui dans l'exercice des "métiers de parole" ? Ceux dont l'outil principal, justement, est la parole : la justice (attaque des juges par les politiques), la presse (discréditée, délaissée et parfois se discréditant elle-même à des fins consuméristes), la sphère psy (où le conditionnement voudrait remplacer la parole), et finalement la politique elle aussi ; et où la capacité de se référer à un acte de parole est teinté de discrédit qui ne peut qu'entraîner un esprit de mécréante généralisée. La haine de la parole explore cette situation en essayant d'en éclairer les mécanismes, et veut montrer qu'une véritable écologie politique de la parole est d'une impérieuse nécessité et sans doute d'une grande urgence.