Dossier : journal des psychologues n°242
Auteur(s) : Khomiakoff René
Présentation
Que peut faire une personne en situation de handicap face à l’ajustement de ses appareillages techniques ? Un travail d’appropriation, d’évaluation de ses compétences, d’accompagnement, peut être entrepris grâce à la pluridisciplinarité des acteurs.
Mots Clés
Détail de l'article
Depuis quelques années, de nombreux projets émergent, visant à concevoir des technologies d’assistance au handicap. Toutefois, la communauté scientifique s’accorde à reconnaître que les personnes en situation de handicap sont souvent oubliées dans la mise en place de ces projets de recherche ou de conception (Tréhin, 2004). Cette non-prise en considération de la personne, des points de vue physique et psychologique, peut aboutir à un produit fini qui est source de refus car inadapté, ne répondant pas à ses besoins et attentes (Arciszewski, 2005). Dès lors, l’implication des personnes en situation de handicap dans la définition du cahier des charges des technologies d’assistance apparaît comme le seul moyen de garantir l’utilité de ces aides, et de définir un produit final qui réponde pleinement à leurs attentes et besoins spécifiques (Bérard, 2004).
Cet article propose, à partir de l’évolution des connaissances de ce qu’est le handicap et d’un modèle théorique récent, de mettre en relief l’importance de la dimension subjective dans l’appropriation des technologies d’assistance chez les personnes en situation de handicap. À ce niveau, la subjectivité intervient tant sur le vécu et les représentations du handicap que sur la technologie d’assistance. Alors quelles recommandations le psychologue peut-il donner pour que cette appropriation soit la plus effective possible ? Les éléments de réponse qui sont avancés relèvent d’une approche pluridisciplinaire de la question.
Qu’est-ce que le handicap ?
Si chacun de nous a une idée de ce qu’est le handicap, comment celui-ci est-il scientifiquement défini aujourd’hui ? Depuis les années quatre-vingt, un certain nombre d’auteurs ont proposé des modèles explicatifs pour identifier et clarifier les composantes de la notion de handicap (Delcey, 2002). La littérature nous conduit à recenser un certain nombre de modèles (Wood, 1980 ; Fougueyrollas et al., 1998 ; Organisation mondiale de la santé, 2002 ; Hamonet & Magalhaes, 2000) qui permettent globalement :
◆ d’améliorer la communication entre la personne en situation de handicap, sa famille et les professionnels de la santé,
◆ de proposer une classification des différentes dimensions du handicap,
◆ de mesurer et quantifier les éléments constituant le handicap.
Ces modèles ont fait l’objet de critiques, car ils accentuent les effets de stigmatisation, sont trop complexes pour un usage clinique au quotidien, ou ont différents champs constitutifs du handicap imprécis et de nombreux recoupements ou répétitions.
Le Système d’identification et de mesure du handicap (SIMH) de Hamonet et Magalhaes (op. cit.) est le seul modèle qui dépasse ces critiques. Il se défend de classifier, mais il permet de mesurer et quantifier les éléments constituant le handicap. Il utilise un langage commun et positif, et les propositions de définitions du handicap présentées dans le SIMH reposent sur :
◆ la simplicité des termes, qui permet la compréhension par tous, même en l’absence de formation au vocabulaire médical, et qui favorise la traduction dans toutes les langues,
◆ la précision des concepts qui ne laisse pas la place aux ambiguïtés,
◆ la cohérence entre les définitions et le contenu des chapitres qu’elles recouvrent,
◆ l’originalité et la globalité avec l’introduction de la dimension « subjectivité » qui fait défaut dans les autres propositions existantes,
◆ la possibilité d’intégrer le devenir et donc le futur par la réadaptation,
◆ la souplesse et la malléabilité qui permettent de construire un très grand nombre d’outils adaptés à l’objectif recherché par la mesure du handicap.
Le SIMH définit le handicap comme « la rencontre entre une personne et une situation particulière (obstacle) qui nuit à l’accomplissement d’une ou plusieurs activités. Ces obstacles peuvent être la conséquence d’une modification du corps, des capacités ou de sa subjectivité, mais aussi des situations particulièrement exigeantes ou contraignantes pour l’individu » (Hamonet et al., 2001, p. 24). Dès lors, la notion de handicap peut être conceptualisée selon ces quatre dimensions : le corps, les capacités, les situations de vie, la subjectivité (figure 1).
Figure 1 – Le Système d’identification et de mesure des handicaps.
◆ Le corps comporte tous les aspects biologiques du corps humain, avec ses particularités morphologiques, anatomiques, histologiques, physiologiques et génétiques.
◆ Les capacités réunissent les fonctions physiques et mentales (actuelles ou potentielles) de l’être humain, compte tenu de son âge et de son sexe, indépendamment de l’environnement où il se trouve.
◆ Les situations de la vie résultent de la confrontation entre une personne et la réalité d’un environnement physique, social et culturel. Il est important de connaître le milieu social dans lequel la personne vit et les exigences que celui-ci lui impose, car le handicap résulte de l’interaction entre le milieu social et l’individu.
◆ La subjectivité correspond au point de vue de la personne – incluant son histoire personnelle – sur son état de santé et son statut social. Il représente le vécu émotionnel des événements traumatisants (circonstances d’apparition et d’évolution, annonce et prise de conscience de la réalité des faits et acceptation de vivre avec sa nouvelle condition) qui viennent compromettre ou supprimer l’équilibre de vie de la personne.
Ces dimensions identifiées dans le SIMH correspondent à quatre dimensions positives constituant tout être humain (Hamonet et al., op. cit.). De plus, le modèle théorique du SIMH a pour spécificité de repérer une nouvelle dimension du handicap : la subjectivité, qui est la dimension « la plus importante pour toute démarche d’adaptation–réadaptation » (Hamonet & Magalhaes, op. cit., p. 39). En ce sens, le SIMH est proche de l’optique de certains chercheurs qui proposent de compléter les approches interactives du handicap par une dimension du jugement qui correspond « au point de vue, à l’évaluation subjective par la personne de ses incapacités ou des obstacles qu’elle rencontre » (Robine, Ravaud, & Cambois, 1997, cité par Ravaud, 1999, p. 74).
Le SIMH est un outil qui vise à évaluer le fonctionnement du sujet dans une approche globale et intégrative du handicap. L’approche psychologique de la personne en situation de handicap ne doit plus se limiter à une évaluation des performances cognitives et à l’accompagnement de ce qu’il est habituel d’appeler « travail de deuil ». Une nouvelle dimension doit être donnée à l’appréciation de la subjectivité qui devient « la dimension cachée du handicap » (Hamonet, 2000).
Il apparaît ici primordial d’associer la personne concernée à sa propre évaluation, mais aussi de mieux connaître son interprétation personnelle sur les circonstances de survenue du handicap, son état actuel et les possibilités d’évolution.
Une façon de compenser le handicap : les technologies d’assistance
La norme ISO 9999 définit les aides technologiques comme « tout produit, instrument, équipement ou système technique utilisé par une personne handicapée, fabriqué spécialement ou existant sur le marché, destiné à prévenir, compenser, soulager ou neutraliser la déficience, l’incapacité ou le handicap » (ISO-9999, 2002). Les technologies d’assistance incluent non seulement les appareillages classiques, mais aussi les outils ou systèmes techniques susceptibles de faciliter le déplacement, la manipulation, la communication, le contrôle de l’environnement, les activités simples ou complexes de la vie quotidienne, domestique, scolaire, professionnelle ou sociale.
Cependant, la maîtrise des aides technologiques pose un certain nombre de problèmes qui concernent précisément l’attitude spécifique de la personne à besoins spécifiques dans sa relation avec la machine (technologie, robot…) et l’environnement dans lequel le binôme homme-machine évolue. Ces difficultés cumulent une dimension technique, liée aux possibilités du robot et à ses contraintes d’utilisation, et une dimension humaine, liée aux perceptions subjectives de la technologie d’assistance et à l’impact de ces perceptions sur l’apprentissage de la technologie (Khomiakoff, Czternasty, & Vandromme, 2004).
Les problèmes techniques ont notamment été étudiés par Leclaire (1997) qui a mis en évidence plusieurs critères à prendre en compte pour satisfaire les besoins des utilisateurs : poids, encombrement, emplacement et mobilité, préhension (finesse et capacité), précision, manipulation, coût, sécurité, alimentation électrique, appréciation générale et apprentissage et interface de commande de l’aide technique.
D’un point de vue psychologique, il ressort de nos lectures sur les recherches déjà menées dans le domaine que la personne n’est pas impliquée dans la conception des aides techniques (Tréhin, op. cit.). De plus, il n’y a pas d’étude des besoins et attentes de la personne, les concepteurs se contentant de les imaginer (Bérard, op. cit.). Ainsi, le produit fini n’est pas adapté à la personne et à ses besoins (Arciszewski, op. cit.), ce qui amène des problèmes d’acceptation (Morvan & Torossian, 1999).
Nous avons pu relever différents constats émis par les centres d’évaluation des technologies d’assistance (Bazier, Mercier & Witdouck, 1998). Les technologies d’assistance ont une image stigmatisante auprès des personnes en situation de handicap qui les utilisent et ne sont pas toujours compatibles avec leurs capacités et/ou avec leur environnement. En outre, lorsqu’elles sont particulièrement sophistiquées, les technologies d’assistance nécessitent un apprentissage qui peut être perçu comme trop contraignant.
Enfin, les études menées auprès de personnes paraplégiques initiées à l’utilisation d’une orthèse de marche ou d’un « bras télémanipulateur » (Morvan & Torossian, op. cit.) nous montrent que, sur le plan psychologique, quatre considérations peuvent être avancées :
◆ Les systèmes d’aides robotisés provoquent des réactions marquées, tant dans le sens de l’adhésion que du refus. Ces réactions sont toujours à resituer dans la situation d’ensemble qui concerne la personne handicapée, dans son histoire, dans son rapport au handicap et dans sa perception de l’avenir.
◆ La demande d’utilisation d’un tel système d’aide nécessite une appréciation fine du sens que la personne lui accorde. La place des attentes, des souhaits, mais aussi des déceptions, des frustrations, revêt là une importance considérable.
◆ L’acceptation du système (ou son refus) ne se pose pas en termes de causalité linéaire. Il y a peu de situations dans lesquelles les représentations négatives sont synonymes de refus, et les représentations positives sont synonymes d’adoption. En effet, le plus souvent les positions sont complexes voire contradictoires, et c’est chemin faisant que les options se clarifient. Les motivations premières peuvent masquer ce qu’il en est de l’impact traumatique du handicap, qui fait que la personne, d’une certaine manière, n’est pas encore prête à s’engager dans un tel processus.
Ces résultats permettent de préciser certains effets de la mise en service et de l’usage de systèmes d’aide automatisés dans le cadre de vie ordinaire de la personne en situation de handicap. Nous constatons une forte différenciation interindividuelle dans les modes de réaction des sujets et les répercussions de l’appropriation de l’aide technique. Il apparaît important de s’interroger sur l’adaptabilité de la machine à son utilisateur potentiel.
Figure 2 – Nos axes de réflexion en lien avec le schéma conceptuel de la notion de handicap.
La problématique de l’intégration des technologies d’assistance
L’ensemble des éléments que nous venons d’énumérer nous amène à insister sur l’importance d’étudier et de prendre en compte la dimension psychologique dans la conception d’une technologie d’assistance. En nous fondant sur la définition du handicap du Système d’identification et de mesure du handicap (Hamonet & Magalhaes, op. cit.) qui est la seule qui intègre la subjectivité, nous défendons l’idée qu’il faut concevoir une aide technique (AT) avec et pour les utilisateurs spécifiques (figure 2).
Notre réflexion porte sur l’intégration de l’aide technique par la personne à mobilité réduite :
◆ Les compétences que la personne doit posséder pour utiliser l’aide technique doivent être en adéquation avec les capacités résiduelles de son corps (action motrice sur une interface de commande par exemple) et de ses capacités intellectuelles (compréhension de la commande, utilisation efficace du système).
◆ L’image stigmatisante que l’aide technique peut renvoyer à la personne doit être prise en considération. Ce facteur subjectif est lié au vécu de la situation de handicap et peut influencer les attentes de ces personnes. Dès lors, la représentation subjective du système d’aide peut poser des problèmes d’acceptation de l’outil.
◆ Outre le fait que la personne doit disposer de ressources (corps-capacités) nécessaires pour utiliser l’aide technique, il est important de faciliter l’apprentissage et la manipulation de celle-ci. Cette facilitation doit tenir compte de la particularité de l’utilisateur qui, du fait de son handicap, éprouve de nombreuses difficultés tant conatives que cognitives dans l’utilisation de l’aide technique.
◆ Le point de vue de la personne sur sa situation se traduit par des besoins et des attentes spécifiques par rapport à l’aide technique. La subjectivité traduit le vécu du handicap par la personne, et permet également d’inférer la façon dont la personne va intégrer ou non l’aide technique. Les situations de la vie vont définir des besoins et des attentes, chez l’individu qui ne peut s’adapter et agir sur son environnement, en raison du désavantage dont il souffre.
L’aide technique doit ainsi tenir compte de l’intégralité de ces facteurs pour être la mieux possible adaptée à la personne. Les technologies d’assistance peuvent notamment jouer un rôle particulièrement important dans le choix d’un maintien à domicile, ou permettre, en complément d’un accompagnement social adéquat, une plus grande autonomie et une meilleure qualité de vie.
Quelles recommandations le psychologue peut-il avancer ?
Afin de mettre à disposition des personnes en situation de handicap des aides techniques efficaces, des liens étroits doivent être tissés entre les acteurs : de la recherche, du développement de produits et de leur adaptation aux capacités et aux besoins des personnes en situation de handicap. Cette approche pluridisciplinaire sollicite différents organismes de recherche où le psychologue doit avoir toute sa place. La conception d’un système d’aide utile, utilisable et accessible, permettra de faciliter et d’améliorer la vie quotidienne des personnes ayant des besoins spécifiques.
Dès lors, les aides techniques au service des personnes en situation de handicap sont un domaine complexe nécessitant des efforts de recherche intégrant la dimension psychologique et la dimension technologique. Ces efforts doivent s’accompagner d’un travail de communication de l’avancement des recherches, et d’information des personnes en situation de handicap.
La perception subjective de la situation de handicap dépend de facteurs propres à la personne comme l’âge, la situation familiale et professionnelle, mais aussi de facteurs cliniques comme le type de handicap et l’ancienneté de la déficience (Ravaud, 2003). Il semble alors important d’établir un ensemble de recommandations pour la conception et l’intégration d’une aide technique :
◆ Le vécu de la situation de handicap, les besoins et les attentes des personnes à mobilité réduite sont des éléments subjectifs que nous devons prendre en compte lorsque nous travaillons sur les technologies d’assistance.
◆ L’aide technique peut répondre aux besoins des personnes interrogées, car elle contribue à compenser le handicap en augmentant l’autonomie. Ces besoins sont des facteurs propres à la personne qui contribuent positivement à l’acceptation du système d’aide. Toutefois, nous nous demandons si le fait de disposer d’une aide technique, particulièrement élaborée, peut susciter chez la personne en situation de handicap la crainte de l’isolement. Parallèlement à la formation et à l’apprentissage, il nous semble nécessaire d’accompagner la personne sur le plan psychologique.
◆ En outre, l’aide technique doit répondre aux attentes. La particularité de l’utilisateur (due à sa problématique fonctionnelle) et ses souhaits doivent être pris en considération dans la conception.
◆ Le système d’aide doit être adapté à l’utilisateur, avant d’être testé et évalué par l’utilisateur en situation réelle, notamment en termes de moyen utilisable.
L’ensemble de ces réflexions vise à promouvoir une aide technique acceptable en termes de représentativité, utile, utilisable et adaptée à la particularité des futurs utilisateurs. Dans ce cadre, il faut s’intéresser à la dimension subjective du handicap en évaluant l’adaptation de la personne à la situation de handicap, ainsi que ses besoins et attentes pour concevoir une aide technique prenant en compte l’utilisateur. ■
BibliographieArciszewski T., 2005, « Handicap : L’esprit de la loi et la notion de besoin », Congrès national de la Société française de psychologie, Nancy. |