Dossier : journal des psychologues n°230
Auteur(s) : Jamme Claire
Présentation
L’actuel gouvernement, sous l’égide du ministre Xavier Bertrand, a mis en discussion les modalités et le niveau de la formation des professionnels de la santé mentale (cf. Le Monde du 10 juillet 2005). Vous publiez, par ailleurs, dans votre numéro 229, un communiqué du SIUEERPP, s’inquiétant de la réduction de la place de la psychanalyse dans la formation des futurs praticiens.
Mots Clés
Détail de l'article
Il semble, en effet, que la réflexion du ministère bute sur une appréhension superficielle et réductrice de la maladie mentale. Sauf quand des faits divers spectaculaires et meurtriers rappellent son existence, il semble que le « malade mental », dans notre société, n’« existe » pas.
En dehors du tapage médiatique alors activé, un voile d’ignorance hypocrite recouvre une réalité non réductible à une gestion à court terme.
Aujourd’hui, on recherche l’efficacité au moindre coût. On fait semblant de croire que les traitements courts, les camisoles chimiques, les psychothérapies cognitives et comportementales, l’hypnose, suffisent à « délivrer » un patient psychotique de son mal. On paraît penser que la pénurie de psychiatres pourra être compensée par l’embauche d’« accompagnants en santé mentale ». On veut faire l’économie d’une vraie formation.
Mais le malade mental est d’abord un « sujet », c’est-à-dire un être de parole, avec son histoire particulière, un sujet unique, au corps et à l’esprit en souffrance.
Le psychiatre ne peut donc pas se contenter d’être un prescripteur de médicaments, un hypnotiseur ou un comportementaliste : il doit utiliser deux formations, médicale et psychanalytique, s’il veut remplir son rôle.
Car, après l’épreuve du diagnostic (qui requiert une longue pratique), il aura recours dans les cas les plus graves à des médicaments dont lui seul a la maîtrise (arrêtons de croire que ces molécules sont anodines et à la portée de tous…). Les neuroleptiques, les antidépresseurs et les tranquillisants représentent un progrès considérable, à condition que leur compétence permette aux spécialistes de les prescrire à bon escient, à doses limitées : aussi la Caisse nationale de l’assurance maladie a-t-elle raison de vouloir limiter leur consommation.
Mais ces traitements ne peuvent se substituer à une psychothérapie rigoureuse. Le psychiatre, formé à l’épreuve de la psychanalyse, saura reconnaître le petit enfant, s’adresser à lui. Il saura écouter le patient dans sa singularité, car ses propos sont signifiants. Le psychiatre Jean Oury disait très justement que son rôle auprès de ses patients était de « tenir levé le rideau de la scène » (c’est-à-dire de la vie), afin qu’ils ne sombrent pas hors de notre communauté.
C’est dire que l’on ne peut faire l’économie d’une formation de spécialistes, et cette formation est longue, car elle met à l’épreuve aussi bien le corps que l’esprit du psychiatre. à tous les niveaux, les soignants doivent avoir une solide formation spécifique, car leur art est de faire en sorte que ces malades puissent transformer positivement leur souffrance psychique et rester socialisés.
Dans le cas contraire, les malades mentaux psychotiques sont parqués dans les prisons, dans les hôpitaux, jetés dans la rue ou abandonnés à leur sort avec leur famille, souvent hallucinés, suicidaires, parfois meurtriers, toujours souffrants.
Que veut-on aujourd’hui ? Moins de personnel, moins de formation, moins de moyens…
Les courtes vues de certains, sous prétexte d’économies, mettent en danger non seulement les malades, mais aussi leurs familles, les proches et les soignants…