La convention collective 1966 reconnaissait la singularité de la pratique du psychologue et de ses prérequis en lui octroyant des conditions d’exercice particulières. Elle lui reconnaissait aussi la nécessité de tenir compte de ses temps de réflexion, d’écriture, de formation continue ou personnelle sans lesquels il ne pouvait s’affranchir de sa mission auprès des usagers et des équipes. Édicté il y a quarante ans, qu’en est-il de ce droit aujourd’hui ?

Histoire d’un temps spécifique

À l’origine

Extrait de l’article 4 de l’annexe IV de la Convention collective du 15 mars 1966 : « […] psychologues : vingt-quatre heures de travail technique + réunions de synthèse et rapport terminal + travail de documentation personnel = quarante heures. »

De cette base, on en vint à déduire que les seize heures restantes pour le travail psychologique, à savoir les réunions de synthèse et de rapport terminal, ainsi que le travail de documentation personnel, se découpaient en deux séquences de huit heures, équivalant à deux cinquièmes du temps de travail global, dont un cinquième réservé au temps personnel de documentation, calculé au prorata temporis pour les psychologues salariés à temps partiel. À noter que ce temps de travail personnel de documentation et de recherche prenait en compte la spécificité de la fonction du psychologue qui se doit, d’une part, d’assurer au sein de l’institution qui l’emploie un espace ouvert de réflexion et de parole et, d’autre part, de traiter de la vie psychique – consciente et inconsciente – des usagers et se doit, pour cela, de retravailler de façon permanente son implication personnelle. La traduction concrète de cette spécificité du psychologue est donc de pouvoir consacrer une partie du temps pour lequel il est rémunéré à untemps DIRES – « documentation, information, recherche, élaboration, supervision » – pouvant être effectué en dehors de son lieu de travail et laissé à son initiative.

L’acceptation par l’institution de lui octroyer ce temps est révélatrice d’une authentique volonté de reconnaître le psychologue dans son statut, sa fonction et son rôle institutionnels.

Mais la lecture de cet article 4 laissait le lecteur (employeur, représentant du personnel, inspecteur du travail, psychologue) dans le plus grand flou. Toutes les interprétations étaient donc possibles et, par voie de conséquence, variables et variées.

Ainsi, sur le terrain, nombre de psychologues ne bénéficiaient d’aucun temps personnel de documentation. D’autres bénéficiaient d’un tiers-temps, calqué sur celui de la fonction publique hospitalière. D’autres, encore, bénéficiaient d’un temps plus ou moins variable, s’étendant, selon l’accord de l’employeur, entre deux heures hebdomadaires et douze heures pour les mieux lotis (pour un temps plein). Ce temps était généralement effectué à l’extérieur de l’établissement.

Certains employeurs exigeaient des justificatifs, tandis que d’autres accordaient une entière liberté aux psychologues d’user de ce temps personnel de documentation selon leurs besoins. Au final, certains psychologues n’ont jamais bénéficié de leur temps DIRES.

Première évolution : la jurisprudence du 4 janvier 2000

La jurisprudence du 4 juillet 2000 dit : « Mais attendu que [...] la salariée était tenue d’accomplir la totalité de son temps de travail dans l’établissement à moins d’un accord de l’employeur sur l’accomplissement d’une partie du travail en dehors de l’établissement… »

L’employeur ne peut donc pas supprimer le temps DIRES, il peut seulement contraindre le salarié à l’effectuer sur place selon cette jurisprudence du 4 janvier 2000 qui légitime le temps DIRES, d’une part, et légitime la possibilité qu’il soit effectué à l’extérieur avec l’accord de l’employeur, d’autre part.

De plus, comme un employeur n’est pas autorisé à modifier le contrat de travail d’un salarié sans son accord, par conséquent, l’obligation de lui faire effectuer sur place le temps DIRES ne peut et ne doit pas entraîner de modification de son contrat de travail. Un éventuel licenciement serait qualifié « sans cause réelle ni sérieuse » (cassation du 31 mai 2006).

Enfin, l’employeur qui serait compétent pour fixer la répartition des séquences de travail du psychologue ne serait aucunement dans l’obligation de supprimer le temps personnel de documentation des psychologues et, a contrario, il aurait la compétence de maintenir ce temps de travail pour les psychologues en fonction dans l’établissement ou le service, ou de l’octroyer aux psychologues nouvellement embauchés.

Cependant, une confusion subsiste concernant la répartition du temps de travail des psychologues qui pourrait être de la compétence des employeurs depuis l’application de l’avenant 265-cadre en date du 1er mai 2001 et le maintien du temps DIRES.

Aujourd’hui, comme hier, de nombreux employeurs ne remettent pas en question l’usage du temps DIRES et continuent de l’octroyer aux psychologues qu’ils emploient, ce qui témoigne de la possibilité de l’existence de relations professionnelles employeurs-salariés, faisant le choix délibéré de privilégier la qualité du travail à la rentabilité économique. Cela démontre également le fait que des employeurs peuvent se sentir libres de faire le choix de fonder leurs relations autrement que sur le pouvoir et que des employeurs peuvent conserver leur autonomie face aux organismes payeurs, aux syndicats d’employeurs ou aux directeurs généraux d’associations et favoriser, par une attitude d’ouverture, un climat de respect mutuel, de confiance et de sérénité au sein des établissements ou des services qu’ils dirigent.

Le temps DIRES aujourd’hui

Depuis, et régulièrement, les accords qui régissent le temps DIRES sont en danger, et les psychologues ont à se positionner très fermement pour sa sauvegarde ou son respect.

Ainsi, la CFTC, conjointement avec le SNP, a mené une action en justice, afin de défendre la survivance de l’article 4 de la convention collective du 15 mars 1966, mis à mal par un jugement du 4 juillet 2006 du tribunal de grande instance de Paris, qui considère que ses dispositions cessent d’être applicables au profit du statut général des cadres du 12 mars 1999.

Elle a été malheureusement déboutée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 juin 2007.

Il s’avère pourtant que les psychologues n’étant pas des personnels paramédicaux, cet accord-cadre ne devrait pas modifier leurs conditions de travail. Au terme de cet arrêt, aucune disposition conventionnelle ne réglementant, depuis le 9 août 1999, la répartition des séquences de travail des psychologues, il faut en déduire qu’elles sont de la responsabilité des employeurs, conformément au droit commun. Un avenant à la CC 66 spécifique aux psychologues pourrait pallier cette situation délicate.

Par ailleurs, que la répartition du temps de travail soit de la compétence de l’employeur ne devrait pas supprimer pour autant ce temps de travail, précieux et fructueux pour les psychologues, pour les équipes et pour les usagers, qu’il soit effectué à l’extérieur de l’établissement ou sur le lieu de travail. De même, l’obligation de son exécution sur place n’aurait évidemment aucun sens, car il ne permettrait que des lectures d’ouvrages ou de revues spécialisées, ce qui serait loin de recouvrir le champ et l’esprit du temps personnel de documentation et de recherche qui s’étend, le plus souvent, vers la psychanalyse individuelle ou groupale, la supervision, le contrôle des pratiques par des pairs, etc., ne pouvant être effectués qu’à l’extérieur de l’établissement ou du service.

En outre, l’employeur – garant du fonctionnement et de l’organisation de l’établissement – qui serait compétent pour gérer la répartition du temps de travail des psychologues ne le serait-il pas également pour accorder le temps DIRES aux psychologues, comme il le faisait par le passé avant l’application de l’avenant 265-cadre du 21 avril 1999 ? De fait, l’employeur peut légitimement et légalement accorder aux psychologues un temps personnel de documentation ; aucune loi, ni décret ni circulaire ne le lui interdisent, surtout pas l’avenant 265-cadre ou l’accord-cadre du 12 mars 1999 !

Quelles retombées ?

Afin d’éclairer les conditions d’exercice actuelles sous la CC 66, voici une synthèse des retombées des nouvelles dispositions conventionnelles.

Concernant les nouvelles embauches de psychologues

Comme par le passé, depuis le 15 mars 1966, il convient de négocier le temps DIRES au cours de l’entretien d’embauche. Aujourd’hui, nous constatons que de nombreux directeurs continuent d’accorder un temps personnel de documentation et de recherche aux nouveaux psychologues qu’ils embauchent. Comme par le passé, ce temps est alors laissé à l’initiative des psychologues et effectué à l’extérieur de l’établissement. Il est recommandé de faire notifier ce temps DIRES dans le contrat de travail. En effet, l’expérience montre qu’un directeur peut remettre en cause un usage verbal en respectant la procédure légale en vigueur. Le temps DIRES, accordé par les employeurs aux psychologues qu’ils embauchent, varie le plus souvent du tiers temps au cinquième de temps, la fourchette restant cependant aussi variable qu’aléatoire, faute de texte précis et clair, y compris l’article 4 de l’annexe IV.

Concernant les psychologues embauchés avant le 1er mai 2001 (application de l’avenant 265-cadre du 21 avril 1999)

Il convient de différencier les psychologues dont le temps DIRES est notifié dans le contrat de travail ou dans un accord d’entreprise et ceux dont le temps DIRES est accordé par un usage verbal.

Temps DIRES notifié dans le contrat de travail : La loi Aubry II ne permet aucune modification du contrat de travail par l’employeur, portant sur les éléments essentiels dudit contrat (rémunération, fonction et qualification, durée du travail, horaires, lieu de travail, convention collective), sans recevoir préalablement l’accord du salarié. Le refus du salarié ne peut pas être analysé comme une démission. En cas de refus du salarié, l’employeur peut soit renoncer à la modification du contrat de travail soit licencier le salarié sans cause réelle et sérieuse ; il devra alors s’expliquer sur les raisons l’ayant conduit à imposer au salarié la modification de son contrat de travail.

En outre, il n’est pas éthiquement et syndicalement défendable de proposer au salarié un contrat de travail plus défavorable que le précédent.

Une note rédigée en janvier 2005 par le Syndicat national au service des associations du secteur social et médico-social (SNASEA) a précisé que les psychologues, dont le temps personnel de documentation était notifié par écrit dans leur contrat de travail, conservaient le bénéfice de ce temps : « La répartition du temps de travail des psychologues est donc bien de la compétence de chaque employeur, en fonction des spécificités de l’emploi, sauf si les psychologues disposent, dans leur contrat de travail, d’une clause spécifique de répartition. »

Cette précision devrait permettre de mettre fin à la polémique engagée par les employeurs qui décident autoritairement la suppression du temps DIRES stipulé dans un contrat de travail, bafouant sans scrupule le respect du code du travail. Tous les psychologues dont le temps personnel de documentation serait attaqué sont invités à opposer cette note et à demander le soutien des représentants du personnel et l’intervention de l’inspecteur du travail pour le respect de leur contrat de travail.

Il est clair que les psychologues qui bénéficient d’un temps personnel de documentation notifié dans leur contrat de travail le conservent et devront continuer de le conserver à l’avenir, dans les conditions dudit contrat. Pour les psychologues concernés, le litige avec leur employeur relèverait de la compétence du conseil de prud’hommes.

Temps DIRES signé par accord d’entreprise et collectif (L. 131-1 et L. 132-19-1 du code du travail) : La dénonciation d’un accord d’entreprise ne peut être entérinée qu’après l’accord de l’inspecteur du travail. Un nouvel accord d’entreprise signé par l’inspecteur du travail doit généralement remplacer le précédent devenu caduc.

Le temps DIRES accordé à l’ensemble des salariés ou aux psychologues d’une association ou d’un établissement ne peut donc être dénoncé dans ce cadre, sauf à dénoncer l’accord d’entreprise pour une raison motivée.

Temps DIRES accordé par l’employeur par usage verbal (le plus courant) : La décision d’un directeur qui voudrait supprimer le temps DIRES est contraire à la jurisprudence, puisque la Cour de cassation du 4 janvier 2000 a légitimé ce temps de travail effectif. De même, exiger du psychologue qu’il effectue son temps DIRES sur son lieu de travail, quand celui-ci l’effectuait à l’extérieur de l’établissement, entraîne de facto une modification de ses horaires, voire de ses jours d’intervention et de la durée de présence effective hebdomadaire au sein de l’établissement. L’accord écrit du psychologue est alors également indispensable.

Les psychologues concernés par ces modifications de leur contrat de travail, contre leur volonté, doivent demander le soutien des représentants du personnel et de l’inspecteur du travail, ils peuvent aussi entamer une action prud’homale si leur avocat considère leur dossier suffisamment solide et motivé. Les actions solidaires et collectives sont à ce jour efficaces pour conserver le temps DIRES à l’extérieur de l’établissement et à l’initiative des psychologues.

Les séquences de travail de l’accord-cadre du 12 mars 1999 ne concernent pas les psychologues. Par conséquent, leurs séquences de travail relèvent, comme par le passé, de la responsabilité de l’employeur.

En conclusion

Les employeurs qui invoqueraient des directives émanant des syndicats d’employeurs ou la jurisprudence pour supprimer le temps DIRES des psychologues (ou le refuser aux nouveaux embauchés) s’appuieraient sur des prétextes infondés. Rien, ni personne, ni le code du travail, ni la CC 66 initiale, ni l’avenant 265-cadre, ni la jurisprudence n’interdisent aux employeurs d’accorder un temps DIRES aux psychologues, y compris par accord d’entreprise.

Il faut donc que l’ensemble des psychologues se mobilise pour que le temps DIRES soit effectivement considéré, une fois pour toutes, par un avenant comme faisant partie de la spécificité de la profession. Pour ce faire, nous renvoyons les psychologues à notre argumentaire et à l’article de la vie syndicale paru dans le bulletin n° 190 de Psychologues & Psychologies, édité par le Syndicat national des psychologues.

Danielle Mercier-Couderc
Secrétaire sectorielle
des conventions collective
Responsable de la CC 66 au SNP

QUELQUES RAPPELS

L’article 32 des « dispositions permanentes » de la convention collective du 15 mars 1966 mentionne la « promotion sociale et le perfectionnement » pour l’ensemble des salariés : « […] Le personnel reconnaît l’obligation morale d’un perfectionnement professionnel permanent […]. »

L’article 13 de l’annexe n° 6 (avenant 265-cadre du 21 avril 1999) mentionne la « formation, le perfectionnement et la recherche » pour les cadres : « […] Eu égard aux responsabilités exercées, les cadres devront régulièrement actualiser leurs connaissances par des actions de formation, de perfectionnement et de recherche en accord avec l’employeur. »

L’avenant n° 265 : « […] L’accord-cadre du 12 mars 1999 ainsi que les avenants à cet accord, n° 1 du 14 juin 1999 et n° 2 du 25 juin 1999, ont été agréés par le ministre de l’Emploi et de la Solidarité par arrêté du 9 août 1999. Dès lors, à compter de cette date, les dispositions propres aux psychologues, résultant de l’article 4 de l’annexe IV, ont cessé, conformément à la volonté des parties signataires, et de manière définitive, de s’appliquer à ces derniers […]. »

Le jugement en première instance rendu le 4 juillet 2006 par le TGI de Paris
« […] Le ministre de l’Emploi et de la Solidarité a agréé, le 16 juillet 1999, l’accord-cadre du 12 mars 1999. Il en résulte qu’à partir de cette date, les dispositions de l’article 4 de l’annexe IV ont cessé d’être applicables aux psychologues, désormais régis par les dispositions du statut général des cadres prévues par l’annexe 6 de l’avenant 265-cadre du 21 avril 1999 et non par les dispositions particulières. Il convient de débouter le syndicat et la fédération de toutes leurs demandes. […] Par ces motifs […], le tribunal […] déboute le Syndicat général enfance handicapée des personnes salariées des établissements sociaux et médico-sociaux (SGEIH-CFTC) et la Fédération nationale des syndicats chrétiens santé sociaux de toutes leurs demandes […]. »

Le jugement en cour d’appel rendu le 14 juin 2007
« L’avenant 265 […]. L’accord-cadre du 12 mars 1999 ainsi que les avenants à cet accord, n° 1 du 14 juin 1999 et n° 2 du 25 juin 1999, ont été agréés par le ministre de l’Emploi et de la Solidarité par arrêté du 9 août 1999. Dès lors, à compter de cette date, les dispositions propres aux psychologues, résultant de l’article 4 de l’annexe IV, ont cessé, conformément à la volonté des parties signataires et, de manière définitive, de s’appliquer à ces derniers […]. »