La psychologie : une discipline éclatée

Le Journal des psychologues n°230

Dossier : journal des psychologues n°230

Extrait du dossier : L’examen psychologique : intérêt et renouveau
Date de parution : Septembre 2005
Rubrique dans le JDP : Actualités
Nombre de mots : 1300

Auteur(s) : Gérin Yves

Présentation

La question de fond, reformulée cinquante ans après G. Canguilhem, à savoir « Qu’est-ce que la psychologie ? », peut-elle encore être posée ? L’éclatement définitif et polymorphe de la discipline peut-il être entériné et signaler une disparition proche ? Une disparition de la psychologie dans ses trois axes – pratique, recherche, enseignement – peut se concevoir, dès lors que des fractures irréductibles ont pour conséquence la désagrégation et l’incohérence.

Détail de l'article

Les nouvelles avancées de la neuropsychologie et de la neurophysiologie se précisent. Les découvertes spectaculaires de la neuro-imagerie indiquent l’avènement d’une nouvelle configuration et un certain département universitaire de psychologie est dirigé par un neurophysiologue. L’ère du scientisme, d’un sujet de la science, avance inéluctablement à l’hôpital, à l’université, dans les laboratoires.

 

Dérives et compromissions
Le constat est alarmant, il est vrai : des pratiques peu structurées, un discours universitaire schizophrénique où cohabitent des enseignements antinomiques et incompatibles, des pratiques de recherche définitivement déconnectées du social, l’incapacité de s’opposer aux dérives psychologisantes massives en cours, le romantisme d’une fascination du modèle psychanalytique, le refus et le refoulement d’envisager objectivement les conflits internes ravageurs.

 

Les critiques déjà anciennes de Foucault conservent, à ce propos, toute leur pertinence vis-à-vis d’un champ en déshérence, traversé par des tensions et des violences diffuses dont l’enjeu est l’accès à des postes institutionnels devenus, dans une conjoncture trouble, hautement sécurisants. Foucault n’annonçait-il pas, en effet, la compromission technocratique qui est bien celle à laquelle de nombreux psychologues se soumettent, pratiques d’une expertise, psychothérapie, accompagnement, soutien ; des pratiques prophétiques sollicitées par le social et le politique à des fins de régulation d’une société en crise. À des compromissions graves, une dégradation des pratiques, ne s’oppose plus un discours universitaire refoulant délibérément l’articulation : théorie, pratique et clinique.

 

C’est dans une certaine indifférence que la recherche fondamentale en psychologie évolue à l’intérieur des laboratoires officiellement reconnus, où s’établit ce qui tient lieu de doctrine psychologique dominante et à partir de laquelle s’effectue le contrôle institutionnel et politique de la psychologie universitaire. L’essentiel est dans cette perspective, où comportementalisme, behaviourisme et cognitivisme se rejoignent, de définir des protocoles expérimentaux rigoureux permettant l’évaluation de problèmes comportementaux. Cette ligne dominante, celle du rapport INSERM tant décrié, détermine des options pédagogiques et théoriques retentissant sur l’enseignement et la formation. Elle s’impose de plus en plus largement à l’intérieur des départements de psychologie, aux résistances plus ou moins structurées des psychopathologues, psychanalystes et autres cliniciens, qui sont souvent satisfaits d’avoir de haute lutte pu accéder à l’establishment universitaire, et, de ce fait, sont étonnamment discrets. On évoquera, ce qui est trop méconnu, l’extrême violence propre aux recrutements universitaires, et le rôle majeur du CNU, gouvernement de la psychologie aux mains des cognitivistes comportementalistes.

 

Comme l’a montré Foucault, là encore, un discours universitaire, faussement consensuel, entretient une illusoire notion de magistère disciplinaire qu’il reste iconoclaste et dangereux de dénoncer, eu égard aux représailles et à l’expulsion de qui dénonce.
Le mythe d’une psychologie scientifique s’entretient donc à de nouvelles évolutions neurocognitivistes dont on méconnaît délibérément qu’elles excluent toute implication relationnelle et transférentielle au nom d’un parti pris opératoire et abstrait.
L’évolution vers la médecine technicienne et déshumanisée est nette. Une situation paradoxale, des rapports de force internes à l’université, laissent libre cours à une destruction de la psychologie occultée puis expulsée par les neurosciences et leur champ de savoir neurosensoriel, neurocognitif et biologique, pragmatique, auxquels certains intitulés de postes d’enseignement, recherche, pratique, dévolus à des psychologues, ne font qu’ouvrir complaisamment l’espace.

 

La dualité neuroscience/psychologie est décisive et indique la recherche de nouvelles causalités neuropsychiques auxquelles les psychologues ne sauraient s’accorder disparaissant, de facto, de nouvelles recompositions et nouveaux rapports de pouvoir. Tout ce qui autoriserait l’exigence d’une psychologie de l’intersubjectivité, du sujet, de l’inconscient, régresse en même temps qu’une éthique qui lui donne sens et consistance. Des discours et des pratiques scientifiques opérant, au nom de la psychologie, sur des sujets s’imposent ainsi, bataille d’arrière-garde des dénonciateurs du rapport INSERM, largement mis en pratique par de nombreux laboratoires de psychologie où les revendications se font beaucoup plus discrètes.

 

Où sont les psychologues cliniciens ?
Apparemment les plus nombreux, leur masse ne fait pourtant pas le poids. Présents au plus près de la scène sociale, ils évoluent dans une multiplicité de secteurs ; ce qui pourrait faire croire à leur pouvoir. Travaillant sur la parole de l’autre, l’écoute, la souffrance psychique, ils ont un rôle décisif de soulagement, de pacification, mais si leur pratique est utile, elle n’est pas véritablement irremplaçable, elle ne saurait méconnaître qu’elle est aussi tributaire d’une violence sociale déshumanisante à laquelle ils n’ont plus accès.
Une pratique inscrite dans le social qui a créé sa propre dynamique doit rester particulièrement critique à toutes les sollicitations psychologisantes, sociales, politiques, idéologiques, ambiantes. Des psychologues, généralistes de terrain, sont constamment aux prises avec des patients appelés, chaque jour, à lutter contre les conflits de toutes natures, dont sociaux, qu’ils subissent quotidiennement.

 

Des psychologues, et c’est essentiel, ne sont pas formés, paradoxe invisible ou aveuglant, à ces pratiques professionnelles complexes et redoutables, dangereuses pour leurs patients et pour eux-mêmes, dès lors qu’elles restent insuffisamment élaborées. La formation théorique à la psychologie n’admet pas, sauf exception, ces réalités méthodologiques et épistémologiques essentielles. La pratique reste à l’écart, n’est relue, filtrée et épurée qu’à partir d’une vulgate psychanalytique définitivement désaccordée de son lieu formateur intrinsèque qu’est la cure.

 

La psychologie clinique correspondant à une évolution significative et rigoureuse de la complexité intrinsèque de l’articulation théorie-pratique en psychologie ne s’impose plus à l’université. Les concours de recrutement, les maquettes d’« enseignement », les cursus, la rejettent. Des ensembles composites, incohérents jusqu’à la schizophrénie, continuent à dominer à l’intérieur de départements où aucune politique globale et cohérente ne saurait être réfléchie par les tenants d’options divergentes.
L’hypocrisie domine ici, ou bien le mépris, vis-à-vis du devenir aléatoire d’étudiants pour qui le stage est dans les conditions actuelles un simple alibi, parfois même non pris en compte dans les validations.
 

Une formation universitaire défaillante
Alors que la formation contient, on le sait, statistiques, expérimentations, physiologie, anglais, des matières immuablement présentes, détournant toute recherche de projets cohérents. La formation à l’approche clinique en psychopathologie, si elle n’est pas introuvable, est cependant, le plus souvent, relativement isolée, marginalisée, banalisée. Elle n’est pas un élément déterminant structurant des projets. La formation universitaire à la psychologie clinique et ses développements en matière de recherche sont velléitaires, lacunaires, réduits à portion congrue. La théorisation de la clinique, support des travaux fondamentaux de M. Huguet, a pratiquement disparu avec elle. La clinique de l’Autre non pas psychanalytique, mais psychologique et clinique, de l’opacité du sujet, est-elle encore celle d’un discours d’interprétation ou bien, plutôt, celle d’une attention aux motivations implicites et inavouées d’un sujet ? L’enseignement universitaire de la psychanalyse et de la métapsychologie s’avère à cet égard d’une autre nature que celle d’une éthique du travail psychanalytique sous transfert.

 

Celle-ci suppose la reconnaissance du relationnel, du langage, dans une dialectique sociale et culturelle et, en même temps, initie la démarche psychothérapique. Elle se constitue comme un espace de recherche de sens, de signification. Confrontés aux nouveaux aspects polymorphes directement intriqués dans le social, de la souffrance psychique à l’impossibilité d’effectuer à ce niveau des cures, les psychologues cliniciens restent en dette vis-à-vis de leur savoir universitaire.
N’appartient-il pas à celui-ci de réaffirmer la consistance d’une praxis de la psychologie, qui donne toute son importance à l’expérience projective du psychologue clinicien qui, dans son travail, articule la question de la souffrance, du relationnel et, donc, de la psychothérapie ?

 

Bibliographie
Raoult P.-A ., 2005, « Psychothérapie et psychologie clinique », in Le Journal des psychologues, 227 : 6-11.
Jalley E., 2004, La Crise dans la psychologie, Paris, L’Harmattan.
Parot F., 2000, Psychologie, Université de tous les savoirs.   

Pour citer cet article

Gérin Yves  ‘‘La psychologie : une discipline éclatée‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/la-psychologie-une-discipline-eclatee

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