Les psys causent à la télé

Le Journal des psychologues n°230

Dossier : journal des psychologues n°230

Extrait du dossier : L’examen psychologique : intérêt et renouveau
Date de parution : Septembre 2005
Rubrique dans le JDP : Université > Recherche
Nombre de mots : 1500

Auteur(s) : Abssi-Bazilier Djamel

Présentation

« Cette recherche a été accomplie dans le cadre d’un dea d’analyse du discours médiatique et a été l’occasion pour Djamel Abssi-Bazilier de prolonger de façon universitaire un investissement de plusieurs années sur les questions de psychanalyse. Ce travail a été apprécié très favorablement par le jury de dea et je suis fort heureuse qu’il donne lieu aujourd’hui à une publication dans une revue de psychologie. »

Détail de l'article

Jusqu’où les émissions de télévision sollicitant des psychanalystes, des psychiatres ou des psychologues, peuvent-elles évoluer dans la forme ? Comment ces trois professions se distinguent-elles via le petit écran ?
 

La psychologie vulgarisée
La télévision américaine offre un exemple d’évolution possible de la logique de la réponse à tout. Les questions que cela pose peuvent nous être utiles. Une émission quotidienne d’une heure, diffusée par la chaîne NBC, est animée et présentée par le personnage central, Phil, un psychologue. Le titre de l’émission porte le nom du présentateur Dr Phil. Son audience atteint les quatre millions et demi de téléspectateurs. Le principe du programme consiste à entendre des personnes présentes sur le plateau demander des conseils au psychologue. L’émission a beaucoup fait parler d’elle. Elle est très critiquée par les confrères jugeant qu’il s’agit d’une psychologie de commando, de marines selon les propos de l’un d’eux, le psychologue Stuart Fischoff. Quant au ton très brutal, il est assumé par l’animateur comme un ingrédient du spectacle dont il a la responsabilité : « Vous savez, c’est un show, si ce n’est pas divertissant, s’il n’y a pas d’histoires passionnantes, personne ne regardera », explique-t-il aux journalistes. Lors d’une émission, une mère, s’adressant à la vedette, se plaint que sa fille soit devenue obèse parce qu’elle a abusé des hamburgers. Le psychologue réplique à la mère et à la fille, toutes les deux présentes sur le plateau : « Vous croyez que vous avez besoin d’une étiquette sur un double cheese burger pour savoir que cela fait grossir ?! »

 

L’émission américaine illustre une démarche développée au-delà des limites des émissions françaises. Pour aller à « l’essentiel », les producteurs ont fait le choix de ne pas s’encombrer d’intermédiaires, et l’expert peut très bien lui-même présenter et animer l’émission. Toujours dans la même optique, pour donner des « réponses à tout » et des occasions de spectacle, le show multiplie le nombre de témoins, et donc de situations, de questionnements adressés à l’ancien psychologue du Texas. Cela donne davantage de conseils et légitime la phrase publicitaire qui annonce tous les jours l’émission : « Aujourd’hui, tout va changer dans votre vie. » On peut s’interroger également sur le choix de la profession de la star de la télévision américaine : psychologue. Est-il anodin que cela soit un psychologue ? À la différence de la psychiatrie ou de la psychanalyse, la psychologie est inscrite dans le langage courant : tout le monde peut « être psychologue » dans la vie de tous les jours. Le détour par une émission américaine invite à interroger les psychologues professionnels sur la lisibilité de leur profession sur les lieux où la psychologie se vulgarise. Cette nomination de la psychologie dans le discours courant n’a pas lieu pour les psychiatres et psychanalystes.
 

Question de recherche
L’omniprésence des psychologues, psychiatres et psychanalystes à la télévision, permet-elle une bonne visibilité de leurs compétences et de leurs spécificités respectives ou engendre-t-elle, au contraire, un brouillage des différences entre chacun de ces trois métiers pour finir par ne considérer qu’une catégorie d’experts désignée par la triple apocope : psy ?
 

Deux dimensions de recherche
D’une part, le recueil du discours des acteurs – ceux qui sollicitent et ceux qui sont sollicités – a lieu sous la forme d’entretiens. Ils sont interrogés sur leur rapport à la télévision et sur cette présence massive à la télévision des psychologues, psychiatres et psychanalystes. D’autre part, une observation de la pratique de ces acteurs à travers l’étude de quelques émissions choisies pour leurs différences dans la forme et pour la diversité des invités répondant à la sollicitation. Ces émissions s’ajoutent au corpus de cette étude.
 

Quelques résultats
La pratique télévisuelle de tous les intervenants, quel que soit le métier, entre dans une logique et une dynamique dont ils n’ont pas la maîtrise, mais qu’ils acceptent et légitiment de fait, par leur simple présence. Toutes les dimensions d’une intervention sur un plateau de télévision amènent les acteurs vers les plus petits dénominateurs communs aux trois métiers, qu’il s’agisse :
• de la légitimité à donner des explications,
• des conseils et des vérités générales,
• du renvoi à un ouvrage publié,
• ou de l’utilisation du vocable « psy » pour présenter tous les métiers.

 

Dans cette dynamique, les explications, conseils et vérités générales, énoncés pour aider les téléspectateurs à comprendre les comportements humains, se débarrassent de tous leurs fondements qui permettraient de cerner les démarches propres à chaque métier pour aller à ce qui est estimé être l’essentiel résumé en quelques secondes. Les conditions dites « de la télévision » amènent certains acteurs à styliser et réduire leurs discours au point qu’en disparaît leur objectif propre.

 

Les responsables des émissions de télévision, rédacteurs en chef, présentateurs et animateurs, sont les principaux metteurs en scène de la dynamique télévisuelle. À ce titre, leurs choix des premiers acteurs, le casting en quelque sorte, est pris dans cette même logique de spectacle. Ce prisme conduit les seconds acteurs à considérer les premiers comme représentants d’une seule catégorie : psy. Si des nuances apparaissent dans le discours de présentation des animateurs d’émissions, c’est le plus souvent pour préciser le thème abordé ou l’objectif de l’émission (psy généraliste, psy pour enfant, psy de magazine féminin…), mais en aucun cas pour tenir compte ou présenter les spécificités de chaque profession.

 

Les psychiatres ? Le simple fait que la télévision les interroge particulièrement à propos des questions dites « de société » – comme l’homoparentalité, par exemple – questionne sur l’étendue de la notion de santé mentale et donc sur le champ de leurs interventions.
Les psychanalystes, quant à eux, sont partagés sur le fait de répondre aux sollicitations de l’audiovisuel. Ceux qui acceptent l’invitation ont deux principaux arguments : leur discipline a, en un peu plus d’un siècle, élaboré un savoir et une conception du sujet qu’ils souhaitent transmettre ; la télévision est un moyen important de faire savoir qu’il n’y a pas que les médicaments pour sortir de la douleur psychique. Mais ils sont confrontés à un paradoxe : aller dans un lieu qui digère mal leurs spécificités au point que, paradoxalement, la transmission du savoir peut y renforcer des oppositions, des résistances à ce savoir.

 

Aussi, les passages à la télévision des psychiatres et des psychanalystes ont pour conséquence de les mettre (eux en tant qu’intervenants sur le petit écran et non comme praticiens dans leur cabinet) dans une même catégorie professionnelle issue d’une même discipline au sens large : la psychologie, comme on dit « avoir de la psychologie », qui désigne une aisance dans la qualité des relations aux autres plus que des compétences repérables dans un champ de travail spécialisé. Pour reprendre le terme utilisé par une spécialiste intervenant dans l’émission Zone interdite, la télévision « psychologise » les différentes professions.

 

Deux autres paramètres de la télévision contribuent à ce brouillage. D’une part, le temps laissé aux spécialistes pour exposer leur réflexion. Ce temps relativement court, mais surtout tronqué lors de l’émission quand ce n’est pas au montage, ne permet pas aux experts d’échapper à un format standard, celui de la fiche-réponse ou une fiche-conseil cherchant, le plus souvent, à aller à « l’essentiel ». Dans ce contexte, les fiches non discutées deviennent non discutables. D’autre part, le sentiment qu’à la télévision, qu’avec la télévision, il y a réponse à tout. Ce sentiment est d’abord alimenté par les séries d’émissions qui visent justement à expliquer de nombreux aspects des comportements humains et à résoudre tous les problèmes : J’ai décidé de maigrir, J’arrête de fumer, L’Entretien d’embauche, Êtes-vous faits pour vivre en couple ?… sans compter les émissions qui prétendent aider le téléspectateur dans les démarches administratives ou retrouver une personne comme Faire simple ou Y’a que la vérité qui compte. En intervenant dans ce genre d’émission, les spécialistes produisent le sentiment qu’ils apportent une réponse à toute question de type psychologique, légitiment les émissions, lors de chacune de leurs interventions.

 

L’ensemble des médias est positionné comme partenaire de la vie de chacun d’entre nous, apportant des réponses aux questions que les téléspectateurs se posent ou pourront un jour se poser, comme les témoins le suggèrent. C’est à la télévision que revient le privilège de donner des réponses à tout : ce n’est plus tel ou tel spécialiste qui a répondu, mais la télévision elle-même, et ce, d’autant plus que le propos du spécialiste fait partie d’un ensemble (reportages, témoignages, réactions du public…) et que cet ensemble constitue l’offre de « réponse à tout ». Déjà uniformisés, les experts prennent alors le risque d’être absorbés dans cette fonction du média. Cette intégration renforce la position d’expert – expert de la télé ou expert vu à la télé –, mais efface les différences entre les psychologues, psychiatres et psychanalystes.

Pour citer cet article

Abssi-Bazilier Djamel  ‘‘Les psys causent à la télé‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/les-psys-causent-a-la-tele

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