Dossier : journal des psychologues n°328
Auteur(s) : Bardou Émeline
Présentation
Il existe différents espaces où les parents peuvent être soutenus. C’est le cas, notamment, des lieux d’accueil enfants-parents, construits sur le modèle des Maisons vertes de Dolto, ou encore des crèches parentales, où les parents sont acteurs du projet éducatif aux côtés des professionnels. Passer au crible l’histoire et les fondements théoriques et éthiques de ces espaces dédiés aux enfants et à leur famille permet de s’interroger sur ce qui fonde la notion même de coéducation et sur la légitimité du statut de chacun, du cadre et du fonctionnement institutionnel.
Mots Clés
Détail de l'article
Un enfant grandit auprès de ses parents et de sa famille dans un environnement de plus en plus large qui implique d’autres enfants, d’autres adultes dont des professionnels. Il est au croisement de différents modèles éducatifs (familiaux et professionnels, notamment) qui peuvent paraître incompatibles ou être envisagés comme complémentaires. Connaître les pratiques familiales, chercher à les prendre en compte dans le lieu d’accueil permet d’assurer une continuité éducative entre les différents lieux de vie de l’enfant. La diversité des pratiques et des modèles introduits, s’ils sont en cohérence, participent alors à une construction identitaire de l’enfant qui intègre l’ouverture sur le monde, tout en reconnaissant et valorisant la culture familiale.
Une particularité des lieux d’accueil et d’écoute enfants-parents (LAEP) et de la structure crèche est d’accueillir les enfants de la naissance à six ans, et donc d’accueillir des parents en devenir, c’est-à-dire des adultes avec un rôle émergent à découvrir, une parentalité en construction, dans un contexte sociétal où les modèles familiaux traditionnels sont remis en question, tant dans les rapports de couple, de procréation, de filiation, d’identité, amenant des logiques plus individuelles que collectives, ainsi qu’un isolement massif des jeunes parents.
Les lieux d’accueil et d’écoute enfants-parents et la crèche associative à gestion parentale sont des lieux de rencontre et d’élaboration sur le processus de parentification, en permettant une confrontation des expériences, des modes d’éducation, et l’abord de questions telles que celles relatives à la coéducation ou encore à la parentalité. La parentalité désigne l’ensemble des réaménagements psychiques et affectifs qui permettent à des individus d’être parents. Cette définition sous-tend l’idée d’un processus maturatif, loin du côté inné de la parentalité, mais soutenant plutôt l’idée que l’on apprend à devenir parents. La fonction parentale renvoie aux réaménagements incessants en fonction de l’âge et de l’évolution de l’enfant, du parent, dans un mouvement perpétuel.
Cette fonction parentale impose la médiation du rapport à l’enfant, en supposant qu’au moins un Autre se mêle de l’éducation… Se dessinent les traits de la classique triangulation oedipienne. Il s’agit donc de médiatiser le rapport du parent à son enfant… Traditionnellement, dans l’organisation familiale classique, la triangulation du lien parent-enfant s’opère par la position de maternage du côté de la mère et la position de séparation du côté du père. Mais la triangulation n’est pas seulement possible par ce seul scénario. Le fait qu’un Autre vienne décentrer le parent, détourner son attention et son amour exclusif, constitue une aide à la parentalité. La coéducation, c’est donc se mêler du lien entre un parent et son enfant, c’est permettre au parent de s’inscrire dans un ou des liens qui vont médiatiser son rapport à l’enfant.
La coéducation renvoie à « la volonté de placer les parents et citoyens dans une position active, participative », sous-tendant « l’idée d’une participation égale, ou du moins sans relation de hiérarchie, des parents et des professionnels à l’éducation d’un enfant, et ce, depuis des places différenciées » (Moisset, 2009).
UNE TENTATIVE DE DÉFINITION DE LA COÉDUCATION
Le terme « coéducation » renvoie aux relations parentsprofessionnels relatives à l’éducation des enfants, et cela concerne les différents milieux extra-familiaux, tels que les crèches, l’école, les lieux éducatifs et thérapeutiques, les lieux d’accueil, etc.
Le préfixe « co » implique que l’acte d’« éduquer » va s’effectuer « avec », ce qui signifie la présence d’au moins deux personnes à effectuer l’action d’éduquer, parfois simultanément, parfois successivement.
La collaboration entre parents et professionnels est importante pour l’enfant, mais également pour les parents, qui, reconnus et valorisés par les professionnels, oseront alors échanger entre eux et avec les professionnels (Clausier, 2007). Dans la démarche coéducative, les pratiques et les modèles éducatifs introduits ne doivent pas être forcément identiques, ils peuvent être différents, complémentaires, le tout est qu’ils soient discutés et cohérents pour l’enfant, permettant à ce dernier de construire son identité (Bardou et Oubrayrie-Roussel, 2014), tout en valorisant la culture familiale et en reconnaissant le parent « en devenir ». On ne devient pas parent de fait ou de nature, mais dans une identité qui se construit en référence à son histoire personnelle, avec autrui, dans un double processus de socialisation et de personnalisation (Oubrayrie-Roussel et Bardou, 2015).
La question de la coéducation se pose différemment dans un lieu d’accueil enfants-parents et dans une crèche associative à gestion parentale. Ces deux structures pouvant être reliées entre elles, en considérant le lieu d’accueil et d’écoute enfants-parents (LAEP) comme une structure d’accueil ni du côté du soin ni du côté du mode de garde, qui peut précéder ou être en parallèle d’un autre temps considéré comme un lieu de « garde » et de socialisation, que ce soit en famille, à l’école, en relai assistantes maternelles ou en crèches collectives. Dans le lieu d’accueil et d’écoute enfants-parents, les parents sont accompagnants, c’est-à-dire qu’ils sont présents tout le temps de l’accueil, sans être missionnés d’un quelconque objectif, l’accueil étant centré sur la relation parent-enfant et l’échange avec les autres parents et enfants. Le LAEP est donc considéré comme un lieu intermédiaire entre la famille et la société, où l’enfant va faire ses premiers pas dans un collectif sécurisé par la présence de « l’adulte tutélaire ». Cet espace de rencontre avec d’autres, enfants et adultes, va également permettre un cheminement à l’enfant. Alors que la crèche associative à gestion parentale est considérée comme un mode de garde, où les parents ont un rôle différent, basé sur leur implication bénévole auprès de l’association avec un rôle primordial dans la gestion de l’association et des animations au sein de la crèche, dans un partenariat et une concertation avec les professionnels, où la coéducation trouve son essence, notamment à travers la coconstruction du projet éducatif, avec un partage de valeurs éducatives communes.
L’historique de ces deux lieux différents (LAEP et crèche associative à gestion parentale) va nous permettre de comprendre comment la question de la coéducation parentsprofessionnels se pose différemment dans ces deux espaces. En crèche associative, les professionnels et les parents ont fait le choix d’éduquer ensemble à partir d’implications matérielles ou physiques du parent dans l’espace crèche, mais surtout à partir de valeurs éducatives à partager. Cette articulation permet ainsi des prolongements de l’espace familial, ou des croisements, permettant des continuités ou des complémentarités et non des ruptures entre les différents espaces de vie de l’enfant.
La coéducation devient donc une problématique de continuité dans des espaces multiples. « La coéducation, c’est alors ce que l’on peut faire sur l’environnement et comment chacun peut être dans cet environnement (1) », renvoyant à la fois à l’idéologie éducative, mais aussi à la place de chacun des acteurs (parentaux et professionnels). Les parents sont les premiers éducateurs de l’enfant, et les professionnels sont les garants de la qualité de l’accueil, constituant les deux principes fondateurs, déclinés par l’Association des collectifs enfants parents professionnels (ACEPP).
LE LIEU D’ACCUEIL ET D’ÉCOUTE ENFANTS‑PARENTS
Histoire
La Maison verte, créée par Françoise Dolto en 1979, est issue de la rencontre de l’éducation et de la psychanalyse, soutenant le principe d’une écoute précoce et permettant de rompre l’isolement actuel des parents dans l’éducation de leurs enfants.
Dans la continuité des Maisons vertes se sont créées les maisons « ouvertes », qui sont apparues au cours des années 1990. Les LAEP, appelés « maisons ouvertes » ou « de quartier », s’inspirent généralement du modèle de la Maison verte, mais ils dérogent à certaines de ses règles. Les lieux d’accueil enfants-parents semblent se déployer entre deux pôles, l’un davantage marqué par la psychologie et la psychanalyse, qui serait celui du « dire », et un second axé sur une pratique sociale communautaire et participative, qui serait celui d’une alliance subtile entre « dire » et « faire ».
Le lieu d’accueil et d’écoute enfants-parents est un lieu qui protège du dehors, des autres institutions extérieures, parfois vécues comme intrusives, car situées par les parents du côté du soin ou de l’éducatif, amenant des défenses psychologiques et un évitement pour certains parents en difficulté pour s’adapter ou faire confiance aux professionnels de l’enfance. C’est un lieu « autonome » (des autres institutions) et « étanche » qui pourrait servir d’espace transitionnel entre la famille et la société. C’est une forme d’espace intermédiaire à d’autres institutions qui permet de faire du lien et du réseau avec les autres institutions, notamment en travaillant la demande en fonction des besoins repérés et la confiance des parents. Définition « Ni une crèche, ni une halte-garderie, ni un centre de soins, mais une maison où mères et pères, grands-parents, nourrices, promeneuses sont accueillis… et leurs petits y rencontrent des amis. » (Dolto, 1979.)
Ce sont des lieux qui accueillent, de manière libre et sans préinscription, des enfants (de moins de six ans) accompagnés d’un adulte référent pour un temps déterminé, dans un lieu aménagé, avec des professionnels.
Le LAEP constitue un espace de jeu libre pour les enfants, mais également un lieu de parole et de réassurance pour les parents, dans une perspective de favoriser, conforter, soutenir la relation parents-enfants, en dehors de toute visée thérapeutique ou injonction éducative. Plusieurs objectifs sont associés aux LAEP :
• Conforter la relation parents-enfants en valorisant le rôle et les compétences des parents. Ils prennent en compte la diversité des structures familiales, des formes d’exercice de la fonction parentale et de la reconnaissance de la place de chacun des parents en tant qu’éducateur de son enfant. Le LAEP propose le plaisir d’être ensemble dans les jeux et les échanges.
• Favoriser le développement et l’autonomie de l’enfant en permettant la mise en évidence de ses compétences. L’enfant peut, en sécurité, y faire l’expérience de la séparation et se confronter aux règles et aux limites, se préparant ainsi à l’entrée dans la vie sociale.
• Lieux « tiers intermédiaires » permettant aux enfants une socialisation et le passage d’un monde encore familial à un monde déjà social, ils constituent, à travers des rencontres et des séparations, une expérience fondamentale pour les enfants et leurs parents. Du côté des enfants, la socialisation est perçue avec le double bénéfice de faciliter une entrée future à l’école ou en structure d’accueil et de lui offrir un espace relationnel riche et varié, en confrontant l’enfant à la dimension « d’être avec les autres », au fait de rendre la séparation possible et non traumatisante et d’être confronté à des règles, des limites.
• Lieux de prévention de l’isolement social et d’élaboration de nouvelles solidarités, permettant de favoriser les échanges et les rencontres entre adultes.
• Lieux de prévention précoce des troubles de la relation enfants-parents, ils contribuent à prévenir des situations de négligence ou de violence, en dehors de toute visée thérapeutique ou injonction éducative. Postures déontologiques et professionnelles Plusieurs principes guident la posture et la déontologie du lieu d’accueil et d’écoute enfants-parents, notamment :
• Le lieu d’accueil n’a pas de fonction d’animations éducatives, mais plutôt une médiation de la relation parents-enfants à travers le jeu et la parole.
• Le principe de gratuité ou de participation modérée garantit le cadre spécifique de ce lieu d’accueil.
• L’accueil de l’enfant se fait en présence du parent ou d’un adulte référent.
• La liberté de fréquentation par la famille et l’enfant, avec une libre adhésion des familles, un accueil souple, sans inscription au préalable, avec le principe de confidentialité et d’anonymat concernant les enfants et les familles accueillies.
• L’attitude empathique et bienveillante de l’accueillant, avec une présence psychique et physique qui se situe entre l’observation en retrait et l’interaction en action (ni dans le mouvement ni dans le conseil). D’ailleurs, la neutralité de l’accueillant est perceptible avec l’anonymat de la profession habituellement exercée. Cette posture de l’accueillant permet de définir une dynamique coéducative particulière à ce type de lieu d’accueil, à travers une éthique professionnelle propre, qui participe ainsi aux fondements et à la légitimité du lieu d’accueil et d’écoute enfants-parents.
LES CRÈCHES PARENTALES
Définition
Parmi la grande diversité des initiatives parentales, la crèche parentale est une structure associative de petite taille (vingt-cinq places au maximum par dérogation). Les parents, membres de l’association et porteurs des projets associatifs, sont les responsables de la crèche. Ils participent bénévolement à la vie de la crèche et partage la responsabilité dans le cadre d’une coéducation parentsprofessionnels autour de l’enfant avec des professionnels salariés (équipe professionnelle) pour l’accueil des enfants et parfois pour des tâches administratives (définition de l’ACEPP). Les crèches parentales ont la volonté commune d’impliquer les parents à travers des modalités qui leur sont propres, selon les contextes. Ainsi, la participation bénévole des parents peut se repérer dans des activités pédagogiques (accompagnements dans des sorties éducatives, ateliers thématiques ponctuels), dans des commissions (bricolage, courses, ménage, gestion, organisation, communication, fêtes…), dans l’animation de la vie associative, de la politique petite enfance locale dont les parents sont acteurs ou bien dans leur implication au sein du projet éducatif…
Histoire
Historiquement, les crèches parentales ont été créées par les parents eux-mêmes, dans le but de refléter leurs convictions éducatives et leurs aspirations citoyennes, en embauchant des professionnels qui se doivent, en principe, de mettre en oeuvre ces convictions. Les crèches parentales sont nées au début des années 1980, dans la lignée des expériences des crèches « parallèles » des années 1968. Les crèches parentales ont été constituées par des parents qui souhaitaient un mode d’accueil collectif, alors qu’il était très difficile d’obtenir une place dans les crèches à cette époque, en nombre très inférieur aux besoins. Au-delà de cette pénurie, les crèches collectives publiques étaient considérées par les parents comme excessivement hygiénistes et peu perméables aux apports nouveaux des recherches psychopédagogiques concernant le développement de l’enfant, notamment l’importance de la stimulation de ses compétences précoces et la dynamique coéducative.
Cette cohabitation parents-professionnels s’est accomplie quasi involontairement, devenant un état de fait, allant de soi, voire parfois une obligation statutaire (2), ce qui n’est pas sans conséquence sur les conceptions de coéducation dans certaines structures. En effet, l’intérêt de ce partage parentsprofessionnels doit être de plus en plus explicité, l’idéologie sous-tendant la coéducation s’étant dissipée avec le temps ; cette forme de mode de garde, devenant parfois, notamment en milieu rural, la seule possibilité de disposer d’un lieu d’accueil collectif petite enfance et également d’embauche de professionnels, ne correspond donc plus toujours à une volonté coéducative dans la pratique.
Un glissement progressif s’est effectué, en lien avec l’investissement parental dans ces crèches associatives à gestion parentale où, initialement, l’investissement des parents était centré sur des appréciations éducatives, en collaboration avec les professionnels. Aujourd’hui, nous retrouvons une autre tendance qui tient à l’implication des parents non pas dans des principes éducatifs où la coéducation trouve son essence dans un partenariat riche avec les professionnels, mais plutôt dans des questions de gestion ou de logistique (faire les courses, participer au bricolage, prendre des notes, s’occuper des finances, des festivités), impliquant le faire, l’acte et non la pensée ou la réflexion, ni l’échange, perdant l’essence même de la définition de la coéducation.
Fonctionnement et postures professionnelles
Ce statut associatif à gestion parentale amène à passer « d’un lieu clos, exclusivement professionnalisé et dominé par des représentations professionnelles sanitaires ou éducatives, à un espace social inédit incluant la culture familiale dans l’espace social institutionnel et éducatif au profit de l’enfant » (Favre, 2001). Ce qui différencie vraiment les crèches parentales des autres espaces institutionnels (y compris l’école maternelle) tient à la conception coéducative, et le prolongement possible de l’espace familial, alors que les autres espaces éducatifs (école, crèches publiques…) constituent des espaces résolument coupés, et souvent soigneusement coupés, des autres espaces de vie de l’enfant. La prolongation ou l’intersection des espaces, c’est le parent qui l’assure dans les crèches parentales. Les parents, en tant que gestionnaires de la structure, ont donc le triple statut d’employeurs, de parents et d’usagers, ce qui introduit plusieurs paradoxes et ambiguïtés liés à ces multiples fonctions. L’équipe pédagogique est garante de la qualité de l’accueil au quotidien. Elle est constituée de façon pluridisciplinaire de salariés de la petite enfance, dont un responsable technique diplômé qui a la fonction de direction. Un autre critère à prendre en compte dans ces fonctionnements associatifs tient aux changements répétitifs de gestionnaires : lorsque les parents quittent la structure, d’autres y deviennent alors acteurs, pas forcément par choix éducatif, mais par nécessité. Par ailleurs, de moins en moins de parents souhaitent donner de leur temps, questionnant la notion même de bénévolat. Ces fonctionnements, empreints de ruptures avec les gestionnaires, peuvent fragiliser la notion de coéducation, l’équipe professionnelle devenant alors la seule référence stable et portant alors le projet éducatif parental au second plan.
LA COÉDUCATION ET LE SOUTIEN À LA PARENTALITÉ DANS CES DEUX LIEUX D’ACCUEIL
En crèche parentale
En crèche associative, un soutien à la parentalité peut être mis en place par les équipes de professionnels et de parents bénévoles qui font le choix d’organiser des moments d’échange entre parents et professionnels, prenant sens dans les projets de l’association, notamment à travers l’animation de groupes de parole de parents ou de soirées-débat. Ces actions de soutien parental s’inscrivent dans le champ des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement aux parents (REAAP).
Ces réseaux ont été créés à la suite de la conférence de la famille de 1998 qui insistait sur la nécessité de « soutenir la parentalité et les liens familiaux fragilisés ». La charte des REAAP prévoit « la mise à disposition des parents de moyens leur permettant d’assumer pleinement et en premier leur rôle éducatif » et pose comme principe premier de « valoriser prioritairement les rôles et les compétences des parents ». Les REAAP ne conçoivent la parentalité que comme devant être nécessairement partagée, partage de l’enfant qui, dans le sens anthropologique, est ce qui permet à l’enfant de devenir adulte. Les principes du REAAP soutiennent les parents, car la place des parents et celle des professionnels sont pensées d’une manière analogique, et non pas équivalente. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de soutenir la valeur des parents et l’importance de l’intervention des professionnels avec deux limites : la limite des parents en tant qu’ils ne peuvent / doivent pas tout faire ; la limite des professionnels, en tant qu’ils ne savent pas tout faire, ne connaissent pas tout. Ces conceptions de la parentalité selon le REAAP sont en adéquation avec celles soutenues par les crèches parentales.
Il est important de souligner que bien d’autres moments formels ou informels dans la vie associative d’une crèche parentale soutiennent la question de la coéducation parentsprofessionnels (échanges quotidiens, sorties éducatives, animations festives…)
L’idéologie coéducative des crèches parentales se traduit essentiellement par l’élaboration d’un projet éducatif par les parents (reflétant les valeurs éducatives parentales), décliné en projet pédagogique par les professionnels (qui illustrent les manières d’appliquer ces valeurs éducatives) dans un consensus mutuel. Ces projets éducatifs et pédagogiques sont des outils indispensables de la coéducation.
Les formations communes constituent un autre outil à la coéducation, ouvertes conjointement aux professionnels et aux parents, permettant de développer une connaissance mutuelle, situant l’enfant au coeur des préoccupations et des interventions communes.
Le dialogue reste un outil incontournable de la coéducation. Dès les premiers liens, les parents ont besoin d’être dans une relation de confiance, en se sentant écoutés, reconnus dans leurs attentes, et en sentant leur enfant en sécurité dans le lieu d’accueil (Clausier, 2007) permettant d’aborder par la suite les pratiques éducatives en crèche et à la maison au sujet de problématiques développementales ou éducatives (opposition, séparation, autonomie, sanction, etc.).
En LAEP
Un soutien à la parentalité est l’un des axes forts de ces lieux d’accueil enfants-parents, laissant s’exprimer une conception de la coéducation dans des dimensions particulières :
• Permettre à la famille de reconnaître ses qualités, ses possibles, ses ressources, plutôt que de pointer les manques ou les dysfonctionnements.
• Accueillir tous les modèles parentaux (familles monoparentales, hétéroparentales, homoparentales…), ainsi que les référents accompagnant les enfants dans leur place particulière (grands-parents, oncles, tantes, etc.).
• Soutenir la relation entre l’enfant et son parent, la séparation qui permet à l’enfant de s’individuer et se construire psychiquement à partir d’un attachement suffisamment sécure pour s’ouvrir aux autres et au monde, et ainsi se séparer.
• Partager les expériences de parents, en permettant de rompre avec la solitude et l’isolement, dans un bain d’égalité et d’identification avec les autres parents. Soutenir la parentalité, c’est plutôt renforcer la densité et la qualité du lien social sur lequel les parents vont pouvoir s’appuyer pour médiatiser leur rapport à l’enfant. Accompagner, c’est aider les parents à comprendre qu’ils ne sont pas seuls à éduquer leurs enfants. Ce qui aide le parent, c’est donc d’avoir affaire à l’autre.
Le positionnement particulier des accueillants en LAEP apporte un certain renoncement à une place de savoir et aux professions traditionnelles (c’est une position qui n’est ni dans l’éducatif, ni dans la pédagogie, ni dans la psychologie), qui s’abstient des conseils, en n’étant pas dans des positionnements professionnels d’expertise. Ce positionnement professionnel d’accueillant tient compte de la singularité de l’histoire de tous les parents, en restant à une place de témoin, dans une place de passage, sans interprétation ni savoir dans le respect de l’autre.
CONCLUSION
La notion de coéducation pose la question de la légitimité du statut, de la fonction, du cadre et du fonctionnement institutionnel (Escots, 2010). La légitimité des places des professionnels s’appuie sur leurs connaissances, leur formation et leur expérience du collectif d’enfants. La légitimité des places du parent s’appuie sur l’intuition, la connaissance affective de leur enfant et sur la responsabilité de son présent et de son devenir.
En crèche associative, toutefois, le triple statut d’usager, d’employeur et de parent, sans avoir les diplômes ni le statut qui légitiment toutes ces places, est un paradoxe qui rend difficile la reconnaissance de ses multiples fonctions. Malgré ces ambiguïtés, la coéducation ne peut exister que sur la base de la reconnaissance des places de chacun, avec un rôle propre dans le développement de l’enfant. Ce sont les renversements constants de rôles, de places entre parents et professionnels, employeurs-bénévoles / salariés, qui apparaissent comme une des conditions de la « double contrainte paradoxale ». Une double contrainte désigne l’ensemble de deux injonctions qui s’opposent mutuellement, augmentées d’une troisième contrainte qui empêche l’individu de sortir de cette situation. Ce qu’on appelle « soutien à la parentalité » dans les lieux d’accueil et d’écoute enfants-parents n’est en aucune façon la transmission d’un « bon modèle », mais un accompagnement dans un cheminement toujours singulier. Cet « accompagnement à la fonction parentale » n’est pas revendiqué comme une référence en tant que telle, mais plutôt un état de fait, une pratique coéducative où la confrontation avec les expériences des autres parents apporte une légitimité singulière. En permettant l’implication des parents, le lieu d’accueil favorise les relations entre parents et donc le lien social. D’autre part, participer à la vie quotidienne est pour eux une occasion de partager leur façon de faire, leurs difficultés, mais aussi leurs ressources, et donc de permettre un échange de savoirs qui les valorisent et développent leurs compétences (ACEEP).
Un autre enjeu pose la question du pouvoir institutionnel non pas sur l’enfant, mais sur l’espace où est accueilli l’enfant avec les sentiments défensifs de désappropriation des parents, mais également des professionnels amenant parfois des processus de rivalité disqualificatoires entre parents et professionnels.
La coéducation nécessite donc de penser et d’ajuster les complémentarités d’intervention, afin d’éviter toute réaction défensive. La question de la coéducation sous-tend une problématique d’enjeux institutionnels et de pouvoirs qui implique des remises en question de rôles et de places. Ces mouvements paradoxaux inscrivent ces lieux sous le signe de la crise nécessitant une éthique, une déontologie professionnelle, une supervision et une coordination professionnelle de qualité (Favre, 2001).
Notes
1. Collot B., 2010, « Coéducation et parentalités partielles », Conférence pour le séminaire interpartenarial sur la famille du 4 décembre 2010 à Bordeaux.
2. Collot B., 2012, Éduquer, coéduquer, une question de pouvoirs, TheBookEdition.com.