Dossier : journal des psychologues n°230
Auteur(s) : Le Maléfan Pascal
Présentation
Le passage de la vie estudiantine à la vie professionnelle se révèle parfois être une crise identitaire complexe, non sans lien avec le processus de l’adolescence. Comment le jeune psychologue investit-il son nouveau statut ? Comment vit-il ce qui peut être ressenti comme un isolement ? La création d’un stage postdiplôme peut jouer un rôle important dans l’élaboration de ce passage et favoriser la construction identitaire des jeunes psychologues.
Mots Clés
Détail de l'article
L e début en profession de jeunes psychologues s’accompagne souvent d’un désir nostalgique et anxieux de revenir vers l’université, et ce, en réaction à une situation où les nouveaux praticiens ont l’impression de ne pas tout savoir, de ne pas répondre à la demande, sinon à la commande, de l’institution ou de la fonction. Bien que l’université soit couramment critiquée comme cet Autre qui les aurait mal formés, les anciens étudiants nouvellement « professionnels » n’en ont pas fini avec elle. Il n’est que de voir ceux qui hantent les couloirs de leur ex-UFR pour revoir un tel ou une telle, discuter de la prise de poste ou encore, ce qui est plus fréquent, ceux qui s’inscrivent en DEA et, maintenant, en master recherche pour prolonger encore un peu un statut qu’ils sont en train de quitter.
Mais, au-delà de ce vécu alimenté d’imaginaire qui a quelques traits de la revendication adolescente, on peut supposer que le débutant psychologue est confronté à un processus plus complexe, non sans lien avec le processus d’adolescence et particulièrement avec ce qui en détermine son déclin. Cependant, s’il concerne électivement la population estudiantine entre vingt et vingt-cinq ans, il concerne aussi tout nouveau psychologue en titre, plus âgé, car toute nouvelle appellation correspondant à un franchissement réactive et sollicite les conditions de fin d’adolescence comme paradigme d’un franchissement de la subjectivation étayé sur le social. C’est cette hypothèse que nous voudrions illustrer ici.
Arguments pour une problématique
Posons que le début d’une carrière de psychologue, juste ou quelque temps après l’obtention du diplôme et du titre, est, a minima, pour le sujet qui supporte cette fonction, un moment particulier de confrontation et de crise. Confrontation, hors le cadre universitaire – c’est-à-dire sans ce prétexte à la distanciation qu’offrait le statut de stagiaire –, avec la réalité de la profession, en tant que cette réalité est maintenant « la sienne » et qu’elle oblige à reprendre le mode d’identification à ces « autres » qu’étaient les maîtres de stage. Le premier aspect du franchissement serait bien cette abolition, quelquefois brutale, de la distance entre le modèle et ce qu’il était censé incarner. Confrontation également, et cette fois pleinement, avec la subtilité et la complexité d’un exercice professionnel au croisement de l’institutionnel, du social et de l’intime. Bref, confrontation avec les remaniements psychiques et identitaires qu’implique toute mise en professionnalisation. Moment autrement dit du passage d’un savoir à s’approprier à celui d’un savoir à produire, notamment dans et par des écrits pro- fessionnels signés de son nom et, plus globalement, moment de la découverte et de la construction d’une place, d’une position, approchée lors des stages, maintenant à assumer en son nom, le signifiant psychologue devenant une nouvelle dimension du nom propre.
Tous ces aspects de la confrontation à cette nouveauté trouvent une affinité évidente avec la dynamique du déclin du processus d’adolescence, telles que permettent de les penser les propositions de Jean-Jacques Rassial sur le sujet en état limite à l’adolescence (2). Nous souhaitons ici en retenir une, centrale, celle du rôle du choix professionnel et de son produit, le nouvel identifiant donné par le nom de profession. Ce dernier prend alors valeur de nouveau nom-du-père, que le sujet littéralement s’invente au moment du choix de son orientation professionnelle. Or, ce nouvel identifiant, et ici « psychologue », participe à la validation de l’opération du nom-du-père nécessaire à l’adolescence en devenant le nouveau sinthôme d’une reconstruction symbolique renouvelant les coordonnées subjectives de l’inscription dans le lien social. Remarquons d’ailleurs que ledit lien social donne une valeur de plus en plus ajoutée à ce signifiant « psychologue », qui, voilà encore peu, avait peu de consistance. On le revendique désormais, on le défend, on le sollicite pour qu’il soit « sur place », on le promotionne, on le scénarise (il n’y a jamais eu autant de héros « psychologues » dans les livres, films ou téléfilms !), les psychologues mêmes se sentent « concernés » par la place qu’on lui donne et, de fait, il a tout pour faire partie de toutes ces nouveautés qui provoquent une sorte de précipitation, comme l’écrit J.-J. Rassial, vers tout ce qui peut faire nom-du-père. Or, le risque majeur aujourd’hui est bien que le signifiant psychologue soit devenu l’un des noms-du-père du discours du maître, prescrit par un social qui en ferait une nouvelle figure de la gouvernance du sujet, sans empathie sinon sans transfert possible, pure extériorité évaluante et normativante. Canguilhem aurait-il eu raison ?
La prise de fonction est aussi une crise identitaire qui suppose un temps, celui du commencement, plus ou moins long comme le refroidissement du fameux canon, dont les effets ont pu être repérés à l’occasion d’un stage d’aide à la mise en professionnalisation pour psychologues débutants, proposé dans le cadre de la formation continue de l’université de Rouen. Avant de voir quels sont ces effets, nous allons donner quelques indications sur ce stage.
Relevons d’abord que son déroulement dans le cadre de la formation continue, un peu à distance de l’université donc, est un élément important dans l’investissement de ce temps de postformation et de commencement. De même, la décision de l’appeler « stage » plutôt que « diplôme universitaire » a servi la mise au point d’un espace intermédiaire entre la formation de base et la réalité de la pratique, répondant à ce temps intermédiaire dans la dynamique psychique de la prise de fonction du premier poste.
Pourquoi ce stage ?
Outre ce que nous venons de préciser sur la nécessité d’accompagner un moment de passage, la première raison ne concerne pas spécifiquement la profession de psychologue. Considérons, en effet, que l’obtention d’un titre ne garantit pas immédiatement des compétences pleines et entières et qu’il faut encore un apprentissage et quelques approfondissements pour en user. Une participante du stage l’a parfaitement dit en soulignant qu’elle ne se sentait pas encore une « professionnelle » bien que recrutée à temps plein et qu’elle était encore en formation. D’ailleurs, plusieurs participants étaient statutairement des « stagiaires », en période probatoire donc, ce qui n’est pas sans peser sur les conditions d’élaboration d’une position de professionnel à part entière.
La deuxième raison à la proposition d’un tel stage repose sur le constat que la formation de base est lacunaire, notamment en ce qui concerne l’initiation à la professionnalisation. L’enseignement, depuis la licence et surtout la structure des maquettes de l’ancien DESS et du nouveau master, compte tenu du temps de formation d’une seule année, laisse encore trop peu de place à une réelle articulation entre transmission des savoirs, transmission des pratiques et de l’éthique professionnelles, et recherche.
L’idée est donc bien de proposer un temps de formation complémentaire aux psychologues qui débutent leur carrière, approfondissant et actualisant ainsi les aspects législatifs, statutaires, organisationnels, éthiques et déontologiques de la profession, mais abordant également la dynamique de la construction d’un cadre de pratique spécifique en fonction du champ d’intervention.
Ce stage, qui se déroule sur un an, se centre sur des thèmes au plus proche des fonctions usuelles et transversales des psychologues, telles que la fonction de supervision ou d’analyse institutionnelle, la fonction psychothérapique, l’expertise, etc., et comporte un groupe de supervision et d’élaboration de la pratique.
Treize stagiaires en ont composé la première promotion. Ils sont apparus motivés, et les problèmes posés étaient très divers, à l’image de leurs insertions professionnelles : psychologue de la police, psychologue pénitentiaire, psychologue de l’ASE, psychologue en psychiatrie infanto-juvénile, etc. Parmi les questions évoquées par les uns et les autres au cours des séances de supervision, on peut noter : l’indépendance professionnelle, l’éthique du psychologue dans une commission d’exécution des peines, le travail dans l’urgence, la transmission d’informations dans un dossier ou en synthèse…
Cet aperçu montre que c’est surtout l’aspect déontologique et éthique des pratiques qui vient au premier plan. Il n’y a rien là d’étonnant, car c’est l’aspect qui se découvre comme indissociable de la clinique et de toute action du psychologue. Du reste, le stage a été construit pour approfondir cette dimension souvent seulement effleurée pendant la formation de base. Chaque stagiaire peut ainsi faire le constat que c’est l’aspect unifiant de la profession, au-delà des divergences théorico-cliniques et de la diversité des champs. Ce qui confirme qu’un tel stage doit rester transversal et intéresser n’importe quel psychologue. Il préfigure donc ce qui pourrait être proposé dans une formation de base allongée mais restant généraliste.
De quelques questions sur les débuts en profession
Les échanges avec les stagiaires ont fait apparaître assez nettement la dynamique de la prise de fonction d’un premier poste que nous avons plus haut identifiée à une crise identitaire.
La crise se manifeste d’abord dans l’attente de ce premier poste. Temps d’incertitude auquel chacun souhaite échapper au plus vite, qui renforce d’autant l’idéalisation de ce poste où, sans doute, toute l’imagerie du psychologue trouvera à se concrétiser… Avec cependant une question que beaucoup de participants au stage se sont posée : s’agit-il de glisser d’un statut d’étudiant vers celui de professionnel ? Existe-t-il, au fond, une continuité d’identité ou faudra-t-il une rupture ? La réponse, pour tous, dans l’après-coup, est qu’il s’est agi d’un temps particulier, intermédiaire, entre idéalisation et soumission aux idéaux de l’institution, et qui a pris fin avec un second emploi correspondant davantage à un choix selon d’autres coordonnées.
Passé l’obtention du poste tant rêvé, la crise vient ensuite de la rencontre avec toutes les situations où il faut soutenir ce que veut dire réellement « psychologue », et d’abord pour les autres, les collègues et partenaires de l’institution, ainsi que pour les usagers ou patients. Là aussi, tous reconnaissent que c’est une période de grands questionnements. Eux qui pensaient qu’avec le DESS en poche et le premier poste décroché, « tout était arrivé », il leur a fallu se rendre compte qu’ils devaient recommencer à changer, à s’adapter, qu’au-delà de l’appellation nouvelle endossée il allait falloir lui donner une consistance qu’eux seuls devaient trouver, notamment en développant leur propre pensée sur la rencontre avec la dimension tragique de l’exercice. « Penser, ça aide à tourner les pages », dira une stagiaire. Pour une autre, la question récurrente qui poussait à penser était : « Comment savez-vous que vous faites bien ? ! » Découverte, autrement dit, que, là pas plus qu’ailleurs, et en premier pour eux-mêmes, il n’y a de garantie que symbolique. Pas d’Autre de l’Autre, ce qui est un point de passage structural adolescent, de nouveau parcouru en la circonstance, tout comme une position néodépressive où la vanité du savoir universitaire est mise à mal. « On est forcément décevant », confiera un stagiaire. Pour un autre, c’est de s’apercevoir que le « langage universitaire », comme il le dénommait, ne servait pas à grand-chose pour se faire comprendre, et qu’il fallait en passer d’abord par les signifiants de l’institution pour trouver à échanger. Bref, chacun a dû démontrer chaque jour de ce nouveau statut occupé d’abord dans une certaine euphorie à quoi peut bien servir un psychologue. D’évidence, son rôle passe par la parole qu’il est capable de tenir, et non dans un silence aux allures faussement analytiques, si ce n’est pas comme effet d’une sidération. Mais une parole qui porte et provoque la pensée, car elle s’énonce d’une place, d’une position, qualifiée de « position de funambule » par une stagiaire, celle de tiers inclus. Place délicate, car ayant une valeur disruptive dans la vie institutionnelle et pour le psychologue lui-même, autrement dit pas sans risques pour l’économie narcissique et prix à payer pour s’inscrire dans la différence des places. Rien ne vient apprendre à l’occuper, mais tout concourt à en construire les coordonnées. Il ne s’agit donc plus d’apprentissage ni d’enseignement pour cerner cette fonction de tiers inclus, mais d’une nécessité de formation où prime l’échange entre pairs, à distance de l’expérience professionnelle, dans un temps et un lieu intermédiaires.
La proposition du stage dont nous venons de parler a souhaité montrer que la formation continue peut avoir un rôle à jouer dans l’élaboration de ce passage et la construction identitaire des psychologues. Or, la dynamique de ce temps de formation est d’amener à une conclusion, un franchissement, soit un déclin des processus de création de soi-même qui signent l’adolescence, repris ici à l’occasion de la nouvelle identité devant être assumée. Se créer comme sujet, de surcroît « psychologue », pourra alors laisser la place, par exemple, à former d’autres psychologues, le désir de devenir maître de stage et référent en position de transmetteur pour un autre en devenir, étant la marque d’un intérêt pour une filiation professionnelle dont il s’agit maintenant d’endosser la parentalité psychique.
Notes
1. Texte extrait d’une intervention au colloque interuniversitaire sur la formation des psychologues cliniciens à Toulouse, les 24 et 25 juin 2004.
2. Rassial J.-J., 1999, Le Sujet en état limite, Paris, Denoël